Le syndicalisme policier dans notre pays date de plus de dix ans. Cela n’a été possible qu’après des négociations délicates et ardues entre la hiérarchie policière, les politiques et le…

Empêcher la mise entre parenthèse du droit syndical à la Police, un devoir de toutes les forces sociales

Empêcher la mise entre parenthèse du droit syndical à la Police, un devoir de toutes les forces sociales

Le syndicalisme policier dans notre pays date de plus de dix ans. Cela n’a été possible qu’après des négociations délicates et ardues entre la hiérarchie policière, les politiques et le personnel de la Police Nationale. La cour constitutionnelle a même été sollicitée par le personnel de la Police à l’époque. Ce fut donc une rude bataille gagnée par des hommes et des femmes qui avaient la volonté de jouir de leur droit constitutionnel et de leur liberté.

Sous d’autres cieux, ce droit syndical est légalement reconnu même au personnel de la gendarmerie. Certes ces corps professionnels ont des spécificités qui les distinguent des autres catégories de travailleurs et qui leur impose finalement une forme de syndicalisme « encadré » bien différent de la pratique des syndicats dits généralistes. Le SYNAPOLICE, à ma connaissance, n’a jamais, dans l’exercice de son droit syndical, été pris en défaut sur le respect des règles de fonctionnement relatives au caractère paramilitaire et fortement hiérarchisé de la Police. D’ailleurs, des restrictions règlementaires ont été prévues justement pour tenir compte de la délicatesse du métier d’armes qu’ils exercent. Ainsi, le droit syndical du personnel de la Police au Bénin, ne leur confère point le droit de grève qui leur est formellement interdit. Le décret portant statut de la Police le stipule clairement en même temps qu’il prévoit d’autres dispositions qui font du syndicat de la Police, un syndicat un peu singulier dans le microcosme syndical de notre pays.
Quelles peuvent donc être les raisons évoquées par la commission de réformes pour formuler cette proposition incongrue de supprimer le droit syndical aux forces unifiées dénommées police républicaine ?
Une mutualisation ou une rationalisation des forces doit-elle conduire à une remise en cause des acquis sociaux ?
La commission peut-elle faire cas des griefs probables ou des craintes qu’elle nourrit et qui fondent une telle proposition dans un contexte de démocratie.
Les membres de la commission savent-ils que la Cour Constitutionnelle avait demandé, sans réponse, au ministre de l’intérieur à l’époque de la création du SYNAPOLICE, de lui indiquer en quoi le syndicat en milieu policier serait nuisible à la République ?
Les syndicats peuvent jouer un rôle important dans l’organisation et le fonctionnement de la Police et de la Gendarmerie Nationales. Ils peuvent être utiles dans la mise en place de ce que l’on peut appeler la « cogestion ». Notamment, dans les commissions paritaires qui statuent sur la gestion de carrière des agents en uniforme.
La restriction majeure déjà violatrice des Conventions de l’OIT, qui impose aux policiers béninois, l’interdiction de recourir à la grève, leur retire déjà un moyen de pression considérable à l’encontre d’un gouvernement et de sa politique. Le syndicat peut exister en compensation de cette restriction pour avoir une fonction de soupape dans un corps qui est sujet aux abus dans notre pays. On a déjà vu, récemment en 2015, le SYNAPOLICE, par son action, obliger un Ministre de l’Intérieur à restituer des fonds détournés, qui étaient destinés à couvrir la sécurisation des élections législatives et municipales.
Il faut que les auteurs de cette proposition s’approprient la mission première d’une organisation syndicale à savoir « l’étude et la défense des droits ainsi que les intérêts matériels et moraux, tant collectifs qu’’individuels, des personnes visées par leurs statuts ». Certes, L’entité administrative qu’est la police a un statut bien particulier vis à vis des autres catégories professionnelles en ce sens que l’institution policière dispose de moyens d’actions considérables pour imposer la légitimité du pouvoir. Mais il serait illusoire et même suicidaire d’oublier que tout en étant particulier, le personnel paramilitaire demeure, par son statut de salarié, similaire aux autres travailleurs de l’Etat obligés à un service public. Ils ont besoin de disposer d’espaces d’expression de leurs frustrations, de leurs aspirations, de leurs propositions
Emile Durkheim affirmait, en parlant des groupes professionnels de revendications pour la classe ouvrière, qu’ « Une nation ne peut se maintenir que si, entre l’Etat et les particuliers, s’intercale toute une série de groupes secondaires qui soient assez proches des individus pour les attirer fortement dans leur sphère d’action et les entraîner ainsi dans le torrent général de la vie sociale ». Le syndicat, lorsqu’il est bien géré, fait partie de cette série de groupes sociaux secondaires utiles pour l’apaisement social.
Ceci me paraît une réponse appropriée aux détracteurs des syndicats de fonctionnaires en général et des syndicats de corps paramilitaires en particulier. Les Policiers et Gendarmes béninois, comme tout autre travailleur, peuvent être victimes d’une inégalité ou d’un préjudice quelconque. Ils ont donc le droit au même titre que les ouvriers à des organisations de défense de leurs intérêts, à défaut ils se sentiraient seuls face au rouleau compresseur administratif pas toujours objectif dans le traitement des agents.
Le syndicat apparaît dans ces conditions comme un élément fort de décompression et d’évacuation, par l’individu, de la contrainte liée aux spécificités de la corporation. C’est donc un rôle de médiation sociale que l’organisation syndicale peut être amenée à jouer au sein d’un corps enclin aux abus de toutes sortes. Dans un contexte d’interdiction du droit de grève, il ne me paraît pas judicieux d’interdire le droit de se syndicaliser. Par exemple, l’adhésion à un syndicat par un policier ou un gendarme, lui offre l’occasion de trouver un appui supplémentaire important pour une demande de mutation, un reclassement ou toute autre réclamation légitime.
On peut se dire objectivement que cette proposition doit certainement beaucoup à l’image désastreuse du syndicalisme en général dans notre pays. Mais s’en tenir à la guéguerre apparente qu’entretiennent des organisations syndicales déphasées qui ne soignent pas le discours syndical tenu à l’encontre des adversaires et qui, parfois, affichent indécemment leur complicités avec les forces politiques (gouvernement ou opposition) pour jeter l’eau et le bébé serait une erreur de jugement majeure. Vouloir remplacer les organisations syndicales de la Police par des délégués du personnel, montre bien la méconnaissance des réalités du monde du travail par la hiérarchie militaire de notre pays. La Police et la Gendarmerie sont des corps de la fonction publique et sont régis par un statut bien précis. Les délégués du personnel sont élus dans les entreprises privées dont le personnel est régi par le code du travail. Les policiers et gendarmes seront-ils désormais de l’espace privé dans notre pays ?
Cette proposition, un recul sur le plan de la liberté syndicale, interpelle toutes les forces sociales du pays. Il faut la combattre par les moyens classiques de protestation, mais aussi par les arguments et les recours institutionnels. Au-delà, il s’agit aussi d’une question d’image publique pour le syndicalisme au Bénin. Pourquoi l’action syndicale apparaît-elle si nuisible aux yeux des autorités de notre pays ? Pourquoi ne la voit-on plus comme une force de propositions et de construction de performances ? Pourquoi son utilité semble-t-elle noyée par son apparence de frondeur et d’opposant à la nouveauté et au progrès ?
Sans donner raison à ceux qui pensent, à tort, que le syndicat n’est porteur que de crises et de désordres, il nous faut veiller à un changement de comportement dans l’action syndicale. Les organisations syndicales doivent s’éloigner des domaines de la futilité, en évitant par exemple d’occuper abusivement l’espace médiatique pour commenter les faits qui relèvent du micro-trottoir. Cela donne l’illusion d’une présence de terrain, alors que cela contribue à galvauder complètement l’action syndicale véritable et avilit la fonction de responsable syndicaliste. Tant que l’essentiel de l’action syndicale consistera à tirer dans les pattes de l’adversaire, à balancer des piques et jeter de pathétiques cris de ralliements, c’est la proximité avec les militants et l’opinion publique qui en pâtira. Tant que l’argumentation du discours syndical ne se dépêtra pas du superflu pour être porteur de contributions pertinentes et d’ouverture au dialogue responsable, l’action syndicale aura encore souvent à faire face aux manœuvres pour empêcher sa libre expression.
L’essentiel de ce que je souhaiterais que nous retenions est que le tollé doit être général pour aider le pouvoir en place à éviter ce piège grotesque où veulent le conduire les auteurs de la proposition de suppression du droit syndical à la nouvelle force républicaine en gestation. Il faut que le Président TALON sache que les « conseilleurs » ne sont pas les payeurs.
Anselme AMOUSSOU, CSA-Bénin