Ancien ministre et directeur scientifique du Laboratoire d’analyse régionale et d’expertise sociale (LARES), Prof John Igué se prononce sur la fermeture des frontières nigérianes. Dans un entretien accordé à votre…

Prof John Igué à propos de la fermeture des frontières nigérianes : “La lutte contre la contrebande est un prétexte”

Prof John Igué à propos de la fermeture des frontières nigérianes : “La lutte contre la contrebande est un prétexte”

Ancien ministre et directeur scientifique du Laboratoire d’analyse régionale et d’expertise sociale (LARES), Prof John Igué se prononce sur la fermeture des frontières nigérianes. Dans un entretien accordé à votre journal, le conseiller au club du Sahel et de l’Afrique de l’ouest de l’OCDE, à Paris estime que la lutte contre la contrebande est un prétexte pour voiler les vraies raisons. Lisez plutôt!

 

Le Nigéria a fermé depuis ses frontières avec le Bénin et les béninois s’impatient de reprendre les échanges commerciaux avec le géant voisin. Quelle lecture faites-vous, pensez-vous qu’on devrait en arriver là ?

 

Non, on ne devrait pas en arriver là. La lutte contre la contrebande est un prétexte. Ce qui se passe, c’est la déliquescence de notre diplomatie vis-à-vis du géant voisin dont le Bénin a besoin. Pas plus. Si non comment comprendre depuis le 20 aout jusqu’à aujourd’hui, il n’y a pas eu d’actions d’envergure pour aller vers l’ouverture de la frontière. Ce n’est pas pour la première fois que nous avons des incidents avec le Nigéria. Les gens ne dorment pas. Or, ce pays est très important pour le Nigéria parce que sans les pays voisins, le Nigéria ne sera plus aujourd’hui un Etat unitaire face à la guerre du Biaffra. C’est le refus des voisins à faire le jeu de la France qui a permis au Nigéria d’être un pays unitaire aujourd’hui. Donc les nigérians sont très sensibles à çà et savent que leur sécurité dépend de leurs voisins immédiats. Si on en arrive à la situation actuelle, c’est à partir des malentendus dont la solution est d’une simplicité extraordinaire. Les relations entre le Bénin et le Nigéria, c’est comme les relations entre une liane et un arbre. Quand la liane s’entrelace autour du grand arbre, il y a une fonction d’interdépendance qu’on appelle la relation de “Saprophisme“. Donc tu me donnes, je te donne. C’est cette notion qu’il faut développer ici et montrer qu’on le veuille ou non, nous sommes condamnés à rester ensemble. Puis le problème est réglé.

La seule évidence aujourd’hui est que cela traine quant à la réouverture des frontières. Comment expliquez-vous cela ?

Toujours est-il que l’impact est de plus en plus perceptible sur notre capacité productive. Ce n’est pas la peine de faire la politique de l’autruche. Son impact a commencé par être sévère pour le pays. Je donne l’exemple du secteur pétrolier. Le “kpayo“, c’est 90% du besoin national. Savez-vous ce que cela représente des milliards de FCFA d’importation ? Si l’Etat devrait importer l’équivalent de l’essence “kpayo”, c’est beaucoup d’argent or pour le Kpayo, l’Etat ne dépense aucune de ses devises. C’est énorme comme avantage pour le Bénin. Un pays soucieux doit veiller à cela. Parce que où trouver l’équivalent pour importer l’essence. La destruction de 60 000 emplois et les répercussions sur la vie sociale, est-ce qu’on l’a prévu ? Cela suffit pour que nous restions actifs à ce qui se passe entre nos deux pays. Je ne veux même pas évoquer ce que la réexportation apporte aux recettes douanières et au Trésor. Quand on allait privatiser la Sonacop, je fais partie de ceux qui sont allés voir les autorités nigérianes pour demander qu’ils nous couvrent. Parce que si on fait passer la Sonacop dans les mains des nationaux comme Séfou Fagbohoun, les cartels internationaux qui étaient intéressés vont lui créer des problèmes. Donc on a demandé au Nigéria de nous couvrir et ils nous ont demandé d’estimer nos besoins en carburant. Quand on a évalué, cela fait 10% de la consommation de la ville de Lagos seulement. Et sur la base de cela, les autorités nigérianes nous ont laissé nous approvisionner sur leur marché. Tout le monde doit être conscient des réalités de nos relations avec le Nigéria. C’est le Nigéria qui fait le Ghana aujourd’hui. L’investissement publique au Ghana est assurée par les nigérians à 40%, le reste ce sont les indiens. Or nous sommes plus proches du Nigéria. C’est clair que nous n’avons pas de la diplomatie. Mais il faut qu’on sache que s’il y a un problème, la France ne viendra pas à notre secours contre le Nigéria. Parce que c’est dans ce pays qu’ils se beurrent aujourd’hui en Afrique et non en Côte d’ivoire, au Sénégal et au Gabon. Ils feront juste des tentatives de médiation hypocrite mais ils ne nous protégeront pas, il faut que les béninois le savent et qu’ils en soient conscients.

Etes-vous sceptiques quant à la réouverture des frontières avec le Nigéria ?

Je n’ai pas d’état d’âme mais si le Bénin ne met pas en place une politique préventive dynamique, cela peut rester comme cela des années. Parce que ce n’est pas la première fois. Entre Avril 1984 et février 1986, nous avons connu deux ans de fermeture de frontière donc ça peut durer longtemps mais les conditions à l’époque étaient meilleures que celles d’aujourd’hui. Parce que des problèmes diplomatiques étaient meilleures à l’époque.

 

Propos recueillis par Aziz BADAROU