Une fois encore, le peuple béninois se remémore l’agression des mercenaires conduits par le français Bob Denard, au petit matin du 16 janvier 1977. Des hommages ont été rendus aux…

Devoir de mémoire/16 janvier 1977: Les confidences d’un survivant de l’attaque des mercenaires…

Devoir de mémoire/16 janvier 1977: Les confidences d’un survivant de l’attaque des mercenaires…

Une fois encore, le peuple béninois se remémore l’agression des mercenaires conduits par le français Bob Denard, au petit matin du 16 janvier 1977. Des hommages ont été rendus aux soldats tombés en défendant la patrie. Faut-il le rappeler, l’opération “crevette“ déclenchée contre le peuple béninois fut un échec grâce à la détermination des soldats béninois à défendre la patrie au péril de leur vie. Si sept (O7) soldats sont tombés dans la bataille, les premiers militaires ayant essuyé les tirs des mercenaires n’ont pas péri dans l’attaque. Dans un dossier réalisé par votre journal, il y a quelques années, nous avions pu recueillir les confidences d’un survivant de cette agression. L’adjudant-chef Sanni Mouftaou vit toujours mais traine des séquelles. De l’alerte à la préparation de la riposte “Kérékiste“, l’homme s’était retrouvé au cœur. Ce jour, les militaires apprenaient à utiliser pour la première fois, des AKM. Lire, en nouvelle publication, l’intégralité du dossier…

L’un des quatre ou cinq premiers militaires ayant été la cible des mercenaires, l’adjudant-chef Sanni Mouftaou, contrairement aux sept soldats tombés sur le champ de bataille, a survécu à l’attaque du 16 janvier 1977 mais il traine toujours des séquelles. Des séquelles qu’il traînera sans doute jusqu’à la fin de son séjour terrestre. Coup de chance ou malchance, celui que le Président Mathieu Kérékou appelait affectueusement “petit“ était entré dans l’armée en 1974 soit à peine trois ans avant l’agression. Aujourd’hui bien âgé et père de cinq enfants, le soldat à la retraite se remémore toujours comme si c’était hier, cet évènement douloureux qui a marqué l’histoire du Bénin.

Assis dans la cour de sa maison R+1, construite dans l’un des quartiers les plus calmes d’Akpakpa à Cotonou, l’homme qui jouit de sa retraite depuis 2004, nous ouvre volontiers, ses portes. Un peu trapu, les années ne l’ont surtout pas encore affaibli. Mais où était-il ce 16 janvier 1977 ? « Le 16 janvier 1977, j’étais de garde à la Présidence. Au petit matin, nous avons commencé par entendre des coups de feu à l’aéroport, donc nous avons pris un camion militaire pour aller nous enquérir de la situation qui prévalait afin de rendre compte. Arrivé au niveau de la place des martyrs d’aujourd’hui, j’ai constaté qu’aux environs de sept heure, la route était totalement déserte. Nous étions au nombre de 4 soldats. Lorsque nous avions dépassé la radio nationale (Ortb), le ministère des finances, avant d’arriver là où a été érigé maintenant l’Asecna, il y avait des cocotiers un peu partout à l’époque, en allant j’ai constaté qu’il y avait des gens qui progressaient vers la ville. Quelques instants après, ils nous ont vu et sont rentrés du côté gauche en allant vers l’aéroport. Quand nous sommes arrivés à leur niveau, puisque nous étions dans un camion militaire, ils ont ouvert le feu sur nous », nous a confié l’adjudant-chef, El Hadj Sanni Mouftaou. La riposte a-t-elle démarré en ce moment ? « Je n’ai plus compris tellement mais moi j’ai sauté du camion puisqu’on ne s’était pas préparé pour la riposte, on y était allé juste pour faire le constat et rebrousser chemin. Quand je sautais du camion, je ne savais même pas que j’avais déjà reçu de balles au niveau du bras et du genou. Je me suis mis à courir mais je faiblissais et arrivé devant la maison d’un monsieur, un ancien député Malick Ibrahim, je me suis arrêté. Il m’a aperçu depuis sa fenêtre car lui aussi avait entendu des coups de feu et venait voir ce qu’il en est. Il me demanda par la fenêtre : c’est qui çà ? Et je lui ai répondu “C’est moi, venez s’il vous plait“. En voulant sortir il m’a mis dans son véhicule et il m’a dit où est-ce qu’il faut aller ? Je lui ai demandé de me conduire d’urgence au camp. Et il me demanda ce qui se passait et je lui ai répondu que je ne savais rien mais j’avais vu des blancs qui tiraient et qui ont tiré sur nous. C’est lui qui m’a conduit au camp. Avant mon arrivée au camp, j’avais déjà perdu tellement de sang que j’étais essoufflé. Au camp, c’était le Docteur Dankoro qui était le médecin-chef au service de santé des armées à l’époque, il s’est tout de suite occupé de moi en me demandant ce qui se passait. J’ai eu la force de lui dire que j’ai vu les blancs qui tiraient à l’aéroport » a-t-il relaté. Donnant ainsi l’alerte car ses frères d’armes avec qui il était dans le camion sont jusque-là restés introuvables. C’était du sauve-qui-peut. Le camion militaire, abandonné par ses camarades, a été récupéré par les mercenaires pour ramasser leur arsenal de guerre et avancer vers la ville, nous apprend-t-il. Selon ses confidences, ce jour, le Bénin avait un match de football à Lomé et la délégation béninoise était réunie au camp pour y prendre départ. Donc l’alerte a pu limiter les dégâts, si non des victimes auraient été dénombrées au sein de la délégation s’ils avaient avancé vers l’aéroport. Mais lui, jeune soldat déjà criblé de balles par les mercenaires ne pouvait plus combattre aux côtés de ses frères d’armes. Cependant, il se réjouit d’avoir donné à temps l’alerte. Ce qui fit venir alors le Président Mathieu Kérékou, lieutenant-colonel à l’époque, au camp pour préparer et amorcer la riposte. Mais un fait insolite n’a pas échappé au soldat Sanni Mouftaou qui, 42 ans après cette agression, nous en parle.

Kérékou nous appris à utiliser une arme AKM pour la première fois ce jour…

« On ne connaissait pas ce qu’on appelait arme AKM, on nous avait formés avec des armes Max 36. Et c’est quand j’ai alerté que le Président Kérékou est venu au camp et a commencé par faire sortir les caisses des AKM et il nous apprenait pour la première fois à utiliser une AKM. On ne connaissait pas ce qu’on appelait AKM, les armes existaient déjà mais on n’en avait jamais fait usage. C’est ce jour que le Président Mathieu Kérékou qu’on appelait “camarade“ nous expliquait comment l’utiliser », raconte El Hadj Sanni Mouftaou. Cependant, il n’eut pas la chance de participer à l’assaut. Il aurait bien pu se venger en faisant couler le sang des mercenaires mais il devra rester hospitalisé. C’est donc clair que le maniement de l’arme AKM n’avait pas été parfaitement maitrisé par les militaires mais ils ont vaillamment défendu et libéré la patrie. La riposte surnommée par certains, “Kérékiste“ parce que conduite le Président Kérékou lui-même a, au bout de trois heures d’affrontements, été un succès malgré les pertes en vies humaines. Un message avait été lancé à la radio par le Président « Ainsi donc, un groupe de mercenaires à la solde de l’impérialisme international aux abois, a déclenché depuis ce matin à l’aube une agression armée contre le peuple béninois héroïque et sa révolution démocratique et populaire en attaquant la ville de Cotonou.(…) En conséquence, chaque mili¬tante et militant de la Révolution béninoise où qu’il se trouve, doit se considérer et se comporter comme un sol¬dat au front, engagé dans un combat sacré pour sauver la patrie en danger ». L’expertise militaire de Bob Denard n’aura pas suffi, les mercenaires remontent rapidement dans l’avion aux hélices encore vrombissantes. Les assaillants ont laissé sur le tarmac de l’aéroport des armes de fabrication française, mais surtout, une caisse censée avoir donné de précieux renseignements au régime de Kérékou.

Une balle des mercenaires ? Elle est toujours logée dans le genou droit de Sanni Mouftaou, 45 ans après…

Si le militaire Sanni Mouftaou n’a pas péri dans l’attaque, il traine malheureusement jusqu’à ce jour soit plus de 42 ans après, une balle des mercenaires dans son genou droit. « La balle qui m’a touché au bras droit a déchiqueté une partie du bras. Le docteur Dankoro m’a donc suturé. Après, il a donné des ordres aux infirmiers de ne pas me laisser manger.  Je ressentais tellement de douleur que j’ai envoyé une commission à l’un de mes frères qui était venu me voir. Etant d’Ifangni (une commune du département du Plateau), je lui ai demandé de ne rien dire à ma famille ni mon père ni ma mère… Le troisième jour, j’ai été transféré au Cnhu, et après radiographie, il a été découvert une balle logée au niveau de mon genou. Ma jambe a été plâtrée pendant 45 jours, j’avais loué à Missèbo et avant que le délai des 45 jours ne passe, le Président Mathieu Kérékou m’avait rendu visite à mon domicile… Il avait l’habitude de m’appeler “petit“,  “petit“ et nous, on l’appelait “camarade“. Il est venu chez moi et me dit “petit“, qu’est-ce qu’il y a. Il a passé un peu de temps avec moi avant de s’en aller.

Un mois et demi après, j’ai repris service mais je ne pouvais plus monter la garde… Le prof Goudote m’avait dit qu’on ne peut pas extraire la balle de mon genou. Il m’a conseillé de ne pas souhaiter aller en France retirer la balle car cela pourrait causer des dommages inestimables. Il m’a alors expliqué que quelques années après, la balle trouvera un emplacement dans ma chair et y restera pour toujours. La balle est là jusqu’à ce jour », a confié El Hadj Sanni Mouftaou. Seulement que l’homme vit le calvaire quand il fait frais.

Des douleurs atroces sont ressenties par ce dernier au niveau du genou chaque fois que le harmattan s’installe.

Mais il préfère vivre ce calvaire que d’essayer de retirer la balle. Il entend passer toute sa vie avec cette balle des mercenaires dans la chair.

 Quand le malheur nous ouvre les portes du bonheur…

Si le jeune militaire de l’époque, Sanni Mouftaou a échappé de justesse à la mort, ce n’est peut-être pas le fruit du hasard. Cet évènement va pourtant changer la vie du soldat. Se voyant contraint de quitter l’armée en raison des douleurs au genou et son incapacité à faire le sport pour gravir les échelons dans le corps, il alla taper la porte du Président Kérékou pour lui faire part de son départ. « Un jour, j’ai demandé à le voir. Et je lui ai dit que je suis yoruba et que je désirais rentrer au village pour faire le commerce de la contrebande communément appelé “Fâyawor“. Pour moi, je voulais quitter l’armée. Il m’a dit “petit“, ne fais pas ça. Les mercenaires ne vont plus revenir“.  Je lui ai dit, je rentrais au village et il m’a alors demandé ce que je voulais faire. Je lui ai dit que je veux faire transport-logistique. Dans la même semaine, il m’a offert une bourse pour aller en France et me faire former. J’ai fait l’option Permis de conduire et je suis sorti major de ma promotion. A mon retour au Bénin, il a donné l’ordre de me nommer chef section permis de conduire de l’armée. J’ai fait le CT1, CT2 permis et j’avais déjà le CI/A. Et c’est dans cette branche que j’ai évolué dans l’armée jusqu’au grade d’adjudant-chef. En 2004, je suis allé à la retraite mais avant, je dispensais des cours à la Direction générale des transports terrestres devenue aujourd’hui ANATT. J’ai été ensuite nommé examinateur de permis de conduire et c’est cela que je fais jusqu’à ce jour », nous a relaté El Hadj Sanni Mouftaou qui témoigne toute sa reconnaissance au feu Général Mathieu Kérékou. Mais son bonheur ne s’arrêtera pas là. Avant d’aller à la retraite en 2004, il a été envoyé devant une commission composée des médecins militaires du Cnhu qui a décidé de lui accorder 15% de ses salaires grâce à la rente viagère qu’on lui a donnée. Quelques temps après, il a été fait aussi Chevalier de l’Ordre national du Bénin pour services rendus à la nation. « Tout ceci me procure des avantages financiers qui me permettent de mieux vivre. Aucun autre appui financier en dehors de ceux-ci », se réjouit quand-même l’adjudant-chef à la retraite. L’autre chose est que grâce à une autre bourse offerte par le Président Mathieu Kérékou, il a accompli le Hadj à la Mecque. Qu’en est-il des autres victimes de l’agression ? « Je connais aussi un collègue de ma promotion qui a reçu aussi une balle à l’oreille mais qui percevait aussi quelque chose mais pour les autres, je n’en sais rien. Cela fait plus de 15 ans que j’ai quitté l’armée » s’est-il empressé de nous répondre. La seule évidence pour lui est que bien que ce soit un évènement douloureux, cela été déterminant dans sa vie.

Si entre-temps, l’ancien président de la Cour constitutionnelle l’avait contacté pour aller témoigner en France, ce qui n’a jamais été effectif, plus personne ne l’a contacté pour en parler. Des sept soldats béninois tués par les mercenaires lors de l’agression à savoir Paulin Thotho, Yessoufou Lassissi, Sylvain Comlan, Basile Abiodoun, Pascal N’po Dabapa, Mathieu Tossou et Alassan Kassim, l’adjudant-chef Sanni Mouftaou ne connaît que Alassan Karim. Sans nul doute, El Sanni Mouftaou reste une mémoire vivante de cet évènement historique.

Aziz BADAROU