Les Journées de l’enfant africain (Jea) se succèdent et égrènent leur lot de défis. Pour cette édition, le challenge porte sur la lutte contre le mariage des enfants. Claudes Kamenga, représentant résident de l’Unicef au Bénin, explique, dans cette interview, les enjeux liés à cette lutte. Il fait par ailleurs un focus sur les actions de l’Unicef au Bénin depuis l’édition 2016 de la Jea.
La Nation : La Journée de l’enfant africain 2017, coïncide avec le lancement de la campagne « Tolérance zéro contre le mariage des enfants ». Qu’est-ce qui justifie un tel engagement au profit de la couche ?
Une étude sur le comportement, les attitudes et les pratiques (Cap) sur la violence et les abus sexuels y compris le mariage des enfants, menée par le ministère en charge des Affaires sociales avec le soutien de l’Unicef en 2015, a clairement montré que le mariage des enfants est une pratique communément banalisée et acceptée dans tout le pays.
Au Bénin, une fille sur 10 âgée de moins de 15 ans est mariée et trois filles sur 10 le sont avant 18 ans. Au nord du pays, dans l’Atacora, l’Alibori et la Donga on atteint presque 4 filles sur 10 mariées avant 18 ans (37%).
Quand les enfants sont mariées durant leur enfance, leurs perspectives de mener une vie épanouissante diminuent considérablement, enclenchant un cycle de pauvreté qui se perpétue de génération en génération.
Les filles épouses sont plus susceptibles d’être déscolarisées et victimes de violences domestiques, d’être contaminées par le Vih/Sida et de mourir suite à des complications durant la grossesse et l’accouchement. Les enfants de mères adolescentes ont un plus grand risque d’être mort-nés, de décéder juste après la naissance ou d’avoir un poids insuffisant à la naissance.
Face à cette situation honteuse, nous soutenons la « Campagne nationale Tolérance zéro au mariage des enfants ». Notre souhait est d’enrayer les violences sexuelles que subissent les enfants.
La Campagne vise à briser la culture du silence, lancer un dialogue social sur la banalisation des violences et abus sexuels infligés aux enfants y compris le mariage des enfants ainsi qu’à contribuer à la création d’un environnement protecteur pour tous les enfants. La Campagne permettra la mise en œuvre d’activités de dialogue et de sensibilisations des adolescents, des parents, des leaders d’opinion, des médias et des membres de la communauté. Elle visera aussi à accroître la capacité de tous et spécifiquement des enfants et des adolescents à connaitre leurs droits, à savoir comment se protéger et à utiliser les services de protection de l’enfant.
J’exhorte les autorités nationales et locales, les Partenaires techniques et financiers, les leaders religieux, les Organisations de la Société civile et de jeunes, les médias, les parents à dire « Non au mariage des enfants » et à s’engager dans cette campagne.
Si les tendances actuelles se poursuivent, le nombre de filles et de femmes mariées durant leur enfance dans le monde avoisinera 1 milliard d’ici 2030, 1 milliard d’enfances perdues, 1 milliard de destins brisés. Il nous revient à toutes et à tous d’agir sans plus attendre !
Que peut-on retenir des efforts de l’Unicef au Bénin en faveur des enfants depuis la dernière édition de la Journée de l’enfant africain (Jea) à ce jour?
L’Unicef accompagne le Gouvernement pour mettre les droits de l’enfant au centre des politiques publiques afin d’améliorer leur environnement social et culturel et garantir leur bien-être. Nous travaillons pour que chaque enfant ait accès aux soins de santé, à une éducation de qualité et puisse vivre dans un environnement protecteur.
Lors du premier Sommet de la Fille à Lusaka en Zambie en 2015, l’ensemble des pays africains ont unanimement reconnu l’urgence d’agir contre la pratique du mariage des enfants. Un long chemin a été parcouru depuis l’année dernière.
Nous avons appuyé les autorités pour mettre en œuvre la Politique nationale de protection de l’enfant (Pnpe) notamment en renforçant les capacités des acteurs du secteur judiciaire et des services sociaux.
Nous avons également travaillé au quotidien avec la plateforme des jeunes qui avait organisé la marche contre le mariage des enfants en 2016. Nous les avons soutenus dans l’organisation d’une caravane qu’ils ont brillamment animée sur tout le territoire national dans le but de sensibiliser les populations et créer un mouvement social contre les violences faites aux enfants y compris le mariage des enfants.
L’Unicef soutient de nombreuses organisations non gouvernementales telles l’Institut des filles de Marie-Auxiliatrice (Ifma) des Sœurs salésiennes dans le Sud, Caritas dans le Centre et le Foyer St Joseph dans le septentrion. Grâce à ces partenariats et aux actions des Centres de promotion sociale (Cps), on dénombre plus de 2600 enfants victimes de tous les types de violences pris en charge en 2016.
Nous travaillons aussi avec l’Association des femmes avocates du Bénin (Afab) qui assiste bénévolement les enfants en situation judiciaire et veille à ce que les sanctions s’appliquent aux auteurs de violences et d’abus sur eux. En 2016, près de 500 filles et garçons ont eu accès à des conseils juridiques et plus de 480 filles et garçons victimes de violence et d’exploitation ont bénéficié de la défense effective d’un avocat lors de leurs procès.
Peut-on dire au regard de vos efforts que le respect des droits des enfants est effectif au Bénin ?
Le Bénin est l’un des premiers pays à avoir ratifié la Convention relative aux droits de l’enfant (Cde) en1990. Le pays a également ratifié la Charte africaine des droits et du bien-être de l’enfant (Cadbe).En décembre 2015, le Bénin a promulgué le Code de l’enfant qui renforce considérablement l’arsenal juridique de protection de l’enfant.
Or, l’Enquête par grappes à indicateurs multiples menée en 2014 (Mics 2014),a révélé l’ampleur des violences et maltraitances infligées aux enfants : 91,1% des enfants de 1à14 ans sont victimes d’agression psychologique ou de châtiment corporel.
De plus, une étude récente a montré que plus de 7800 enfants sont exploités dans les trois plus grands marchés du Bénin à savoir Dantokpa à Cotonou, Ouando à Porto-Novo et Arzêkê à Parakou.
Le Bénin détient un solide arsenal de lois protégeant les enfants. Cependant, on constate un manque crucial de ressources ²humaines, financières et matérielles pour permettre à ces structures d’assumer pleinement leurs rôles et d’appliquer les lois.
Le Bénin a avancé dans l’amélioration du dispositif légal mais il reste encore beaucoup à faire pour considérer que les droits de l’enfant sont respectés dans le pays.
Comment l’Unicef compte se pencher sur le sort des enfants victimes d’exploitation économique, des enfants mendiants et déscolarisés ?
L’exploitation économique des enfants communément appelée «travail des enfants » touche cinq enfants sur dix au Benin (Mics 2014). Ce phénomène a un impact profondément négatif sur les victimes, car il les prive de la scolarisation, les expose à toutes sortes de violences, risques et maladies, et hypothèque leur développement et leur épanouissement au sein de la société.
La place d’un enfant est à l’école pour apprendre à lire, écrire et compter et non dans un marché en train de porter des charges à longueur de journée ou de mendier à un feu tricolore. Contre le travail des enfants, nous soutenons le Gouvernement à doter le pays d’un cadre juridique et à former les inspecteurs du travail pour intervenir sur le terrain.
Depuis l’année passée, l’Unicef appuie les autorités pourque des descentes de terrain soient effectuées dans les marchés du Bénin afin d’interpeller les utilisateurs de la main d’œuvre infantile.
S’agissant des enfants déscolarisés ou qui n’ont jamais mis pied à l’école, l’Unicef a mis en place avec le Gouvernement, le Programme des cours accélérés dans 61communes du pays. Ce programme permet de donner en trois ans aux enfants, au lieu de six, des aptitudes nécessaires pour savoir lire, écrire, faire le calcul et passer le Certificat d’études primaires (Cep).
Depuis octobre 2016, la vulgarisation du Code de l’enfant a été lancée. En dépit de ses innovations, la protection des enfants demeure encore un défi. Quels sont les leviers sur lesquels l’institution entend s’appuyer pour améliorer la situation de la couche?
La loi n°2015-08 du 8 décembre 2015 constitue une grande avancée nationale qui harmonise les dispositions législatives relatives à la protection de l’enfant. Composé de plus de 400 articles, le Code aborde de façon holistique tous les aspects relatifs aux droits de l’enfant, en même temps que la question de la protection de l’enfant dans son entièreté avec l’objectif de réduire les injustices et favoriser le plein épanouissement de tous les enfants sans discrimination.
Cependant son application est un défi, les décrets d’application élaborés avec le soutien de l’Unicef n’étant pas encore adoptés.
Nous utilisons plusieurs leviers pour accélérer sa mise en application.D’une part, nous soutenons la formation et la sensibilisation des acteurs de la protection des enfants notamment les travailleurs sociaux dans les Centres de promotion sociale (Cps), les officiers de police judiciaire, les magistrats, les acteurs des ONG, les élus locaux, chefs religieux et traditionnels, les parents/tuteurs, les enfants, etc.
D’autre part, nous intensifions le plaidoyer auprès des leaders politiques et religieux, des médias, des Organisations de la Société civile et des jeunes afin que les textes de lois soient appliqués, que soit mis fin à l’impunité et qu’un grand mouvement social se mette en marche pour la défense des droits de l’enfant