Roland Riboux, c’est tout un parcours entre l’Europe, le Moyen-Orient et l’Afrique. En 1996, après le Cameroun et le Nigeria, l’ancien cadre du Crédit Lyonnais foule le sol béninois et devient le PDG de Fludor Bénin, filiale du holding agroalimentaire TGI, pour conduire le projet d’installation de l’huilerie du groupe à Cana, à 108 km au nord de Cotonou. L’usine entre en production en mai 2000, année où le Franco-Béninois est porté à la tête de l’Association des Industriels de la Filière Oléagineuse des pays de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (Aifo-Uemoa). En 2002, il fonde le Conseil des Investisseurs Privés au Bénin (Cipb), qui réunit aujourd’hui plus de quarante grandes entreprises et a contribué, ces dernières années, à l’amélioration du climat des affaires au Bénin. A travers cet entretien, M. Riboux revient sur les acquis de l’engagement du Cipb et évoque sans complexe les questions économiques et les réformes de l’heure.
Selon vous, comment se porte l’économie béninoise ?
Elle sort d’une période très difficile du fait de la chute du Naira qui a impacté complètement tout un pan de l’économie béninoise tourné vers la réexportation sur le Nigeria. Par contre, on voit maintenant apparaître la deuxième excellente récolte de coton (600 000 tonnes) et une récolte de cajou (120 000 tonnes) à des prix très élevés. A cela, il faut ajouter une remontée du cours du pétrole qui a engendré une certaine embellie du côté de l’économie nigériane. Tout cela devrait en principe permettre une relance de la consommation.
Le gouvernement a donc eu raison d’entreprendre des réformes économiques…
Ce sont des réformes qui étaient attendues depuis longtemps. Je parlerai plutôt de réformes d’ordre socio-économique puisqu’elles ont aussi un impact sur les comportements. Il faut, en effet, essayer de remettre le système dans une direction où il y a plus de rigueur et d’honnêteté. Lorsqu’on prend le secteur du coton, ces réformes ont boosté la production. On était à environ 400 000 tonnes. Aujourd’hui, on est à 600 000 tonnes et tout le monde est payé à temps. Les intrants arrivent aussi à temps et les producteurs sont beaucoup plus motivés lorsque ce qui leur est dû est payé à bonne date et entièrement au cours de la même campagne. Il y a quelques années, il fallait que la campagne démarre avant que les semences ne soient disponibles ou commandées. Il y a aussi la réforme concernant le Programme de Vérification des Importations (Pvi). Celui-ci permet une évaluation plus précise et plus exacte des valeurs qui rentrent dans le pays. Au niveau du Cipb, nous avons rencontré les dirigeants de Bénin Control et avons constaté qu’ils sont dans une optique de discussion avec les opérateurs économiques. C’est une façon plutôt nouvelle de voir les choses ; d’ailleurs, Bénin Control va se lancer dans une démarche ISO. De manière générale, ces réformes sont pertinentes et doivent être poursuivies. Mieux, d’autres secteurs doivent être touchés comme celui de l’anacarde. En somme, il faut que le pays se dote d’une véritable politique industrielle : l’industrie est un passage obligé vers le développement global d’un pays.
Malgré les réformes, le Bénin n’a pas encore une bonne position dans le Doing Business…
Il faut poursuivre les efforts dans le sens de l’amélioration des performances dans Doing Business. Vu la position du Bénin sur ce classement, on est encore très loin des bons chiffres. C’est un travail de longue haleine. L’une des tâches les plus importantes du gouvernement va être de réunir les conditions pour une administration performante. Quand on a une administration tatillonne, inefficace, anti business, on ne peut pas avoir une bonne position sur le classement Doing Business. Par contre, une administration pro business, efficace, qui répond rapidement aux demandes des opérateurs économiques, propulsera le Bénin vers une position convoitée sur ce classement. Par exemple, le Cipb a œuvré pour obtenir deux résultats très intéressants : la limitation des dommages-intérêts dans le cadre d’un licenciement abusif et la publication des décisions de justice par un tribunal de commerce qui gère spécifiquement les litiges entre opérateurs économiques. Ce sont deux éléments que Doing business devrait prendre en compte.
L’une de vos critiques renouvelées à l’égard des gouvernements successifs, c’est le niveau élevé de la fiscalité au Bénin…
La fiscalité béninoise est très lourde en effet. Personne ne peut le nier. Ce qui nous inquiète le plus, c’est le fait que récemment, on est revenu sur des points qui nous paraissaient pleins de bon sens, comme par exemple le fait qu’il n’y avait qu’une simple caution à remettre lorsqu’on contestait une décision de la Direction des Impôts, en matière de fiscalité. Désormais, le fait de devoir, en cas de contestation d’une décision de l’inspecteur des impôts, faire un dépôt qu’on récupèrera le jour où l’administration le voudra, ne rassure pas. Par contre, nous nous félicitons de la mise en place de procédures dématérialisées pour le paiement des impôts.
Depuis 2002 qu’il a été créé, le CIPB s’est imposé comme un cercle de réflexion et de propositions. Quels sont vos grands acquis aujourd’hui ?
Nous avons eu des résultats assez satisfaisants. Nous animons deux cadres de concertation, l’un avec le Ministère des Finances, l’autre avec le Ministère de la Justice. Pour ce qui est de la fiscalité, nos plaidoyers ont contribué à la baisse du taux de l’impôt sur les sociétés de 35% à 25% pour les industries, et de 35% à 30% pour les autres activités. Désormais, l’administration fiscale dispose d’un délai pour répondre au contribuable. Depuis 2012, ce délai court de trois à six mois maximum. En outre, les réformes sur le droit d’enregistrement contenues dans les plateformes successives ont été prises en compte dans la vague de réformes mises en œuvre en juillet 2016 par le biais de la loi de finances rectificative. Quant au volet justice, suite à l’action du CIPB, la loi rend à nouveau le titre foncier définitif et inattaquable après un délai d’un an réservé aux contestations habituelles. Nous poursuivons la réflexion sur l’encadrement des dommages-intérêts pour les juridictions commerciales. Nous sommes également très satisfaits de la création du tribunal de commerce de Cotonou, d’autant plus que ce tribunal publie désormais ses décisions en ligne. Ce qui devrait rassurer les investisseurs : ils pourront voir, au fil des commentaires faits par les professeurs d’université ou les juristes qui se pencheront sur les arrêts, que la qualité des décisions est bonne.
Par ailleurs, nous poursuivons d’autres combats sur l’exubérance démographique et la nécessité d’arriver à une transition pour pouvoir obtenir un dividende démographique réel. L’autre lutte, c’est avec le mouvement « Cajou demain » pour que le Bénin se dote le plus rapidement possible d’une agro-industrie dans le secteur du cajou avec l’atteinte des objectifs du Programme d’Actions du Gouvernement, dont l’ambition est que le Bénin parvienne à une production annuelle de 300 000 tonnes de noix de cajou brutes et fasse en sorte qu’il y ait au moins 150 000 tonnes de noix transformées sur place.
Pourquoi le Cipb s’évertue-t-il à faire la promotion du cajou ?
Les chiffres sont assez évocateurs. Si on regarde combien rapporteraient 300 000 tonnes de noix de cajou brutes dont la moitié est exportée et l’autre transformée sur place, on arrive à un chiffre d’affaires de 50 à 100% supérieur à celui de la filière coton.
Est-ce pour cette raison que vous appelez les Béninois à développer ce que vous appelez « l’esprit planteur » ?
Tout à fait. C’est un peu comme en Côte-d’Ivoire. Nous voulons faire comprendre à nos concitoyens que si les cultures annuelles c’est bien, les cultures pérennes, c’est pas mal aussi. Le Béninois aime soit acheter de vieux camions en Europe et les faire rouler sur des routes surchargées, soit construire de petites maisons à mettre en location. Ce serait beaucoup plus intéressant pour le pays (et pour lui-même) s’il s’investissait dans la plantation de quelques hectares d’anacarde au village. Les terres béninoises sont favorables à cette culture. On a déjà planté dans le passé des anacardiers pour éviter l’érosion des sols. Les terres se sont révélées propices à cette culture. Il y en a qui sont excellentes sur à peu près les 2/3 du territoire de notre pays.
Comment se porte le secteur dans lequel vous intervenez, l’agro-industrie ?
L’agro-industrie est un secteur assez vaste. Il y a non seulement l’huile, mais aussi la bière, le cajou, la noix de karité, etc. De manière générale, notre pays est connu pour la qualité de ses différentes matières premières. Nous sommes, à Fludor, à la fois sur le cajou, le karité et l’huile produite à partir des graines de soja et du coton. Les quantités que nous souhaitons nous sont fournies. Mais pour ce qui est des prix, nous sommes dépendants des marchés : nous sommes exposés à la concurrence des huiles malaisiennes et à des phénomènes de manipulation des prix par les acheteurs internationaux en ce qui concerne le cajou.
Un débat agite actuellement le continent africain : la création d’une monnaie unique par les Etats africains en lieu et place du CFA…Qu’est-ce que vous en pensez ?
C’est une question à la fois intéressante et inquiétante. Le fait qu’on s’attache à ce genre de problème en rejetant la responsabilité sur la France, c’est comme si on cherchait un bouc émissaire en situation d’échec. Le Fcfa, c’est un peu comme l’Euro, qui est la monnaie de l’Allemagne et de la Grèce, deux pays aux caractéristiques économiques très différentes. Ce n’est pas une excellente monnaie, puisqu’elle concerne des pays dans des situations très différentes les unes des autres. Par exemple, la Côte-d’Ivoire fait face à des situations auxquelles le Bénin n’est pas forcément confronté. Le Bénin dépend fortement du Nigeria, dont le cours de la monnaie, le Naïra, est influencé par celui du pétrole et du dollar américain ; l’économie de la Côte-d’Ivoire ne dépend pas du tout du sort du Nigeria. Déjà, on est dans une situation où des pays qui utilisent une même zone vont avoir des problèmes différents avec leur monnaie. Le Fcfa est, par exemple, actuellement surévalué par rapport au Naïra en termes de taux de change. Ce qui fait que les Nigérians viennent vendre ici très facilement leurs produits, parce que le Naïra a été déprécié ; par contre, nous autres avons du mal à vendre nos propres produits au Nigeria. Le Fcfa n’est pas la meilleure monnaie imaginable. Mais si on le supprime, il faudra créer la confiance autour de la nouvelle monnaie qui le remplacera. Ça veut dire que les réserves de change déposées auprès du Trésor français dont on se plaint qu’elles sont pléthoriques, devront être beaucoup plus importantes pour susciter la confiance. Je ne sais pas comment font les Ghanéens, mais j’imagine qu’ils doivent régler leurs importations en dollars ou en Euro, mais jamais en Cedis. Les pays qui quitteraient le Fcfa devront donner la preuve qu’ils savent gérer correctement leur monnaie. Quelles garanties a-t-on qu’un gouvernement sait gérer sa monnaie ? Si vous regardez en Europe, avant l’Euro, les seuls qui géraient leur monnaie avec discipline, c’étaient les Allemands et les Néerlandais (et les Suisses qui ne sont jamais entrés dans l’Euro) ; les autres pays devaient dévaluer périodiquement leur monnaie. Que se passerait-il chez nous ? Qui peut garantir que la discipline imposée par la BCEAO serait la même que la nouvelle entité Banque Centrale sera amenée à mettre en œuvre ? Et même si on créait une monnaie pour toute la zone CEDEAO, ce sera la monnaie du Nigeria en réalité, parce que c’est l’économie la plus puissante (comme l’Euro est en fait aligné sur l’Allemagne) ; la monnaie ‘’commune’’ monterait et descendrait au gré des soubresauts de l’économie nigériane. Donc à vouloir remplacer le Fcfa pour tous les défauts qu’on lui trouve, on n’aboutirait qu’à une monnaie présentant d’autres défauts, et en tout cas moins stable que le Fcfa.
Comment voyez-vous l’économie béninoise dans 10 ou 20 ans ?
Il y a deux scenarii. Si le Bénin sait gérer sa démographie et s’il sait prendre les bonnes décisions quant aux secteurs qu’il souhaite développer, notre pays a un très grand avenir ; ce sera peut-être une sorte de Suisse de l’Afrique de l’Ouest. Je préfère ne pas penser à ce qui se passerait si nous ne savons pas susciter la transition démographique qui nous permettrait de bénéficier de ce fameux dividende démographique, qui est devenu récemment le cheval de bataille des Organes des Nations unies.
Propos recueillis par Moïse DOSSOUMOU