Le Bénin est l’un des seize pays au monde à voir pousser sur son sol le karité ou arbre à beurre (Vitellaria paradoxa). Cette générosité de la nature qui absorbe une main d’œuvre non importante ploie sous le poids de nombreuses difficultés. Le parc arboricole du karité constamment éprouvé inquiète les acteurs de la filière qui en appellent à sa protection.
Perma, à 24 km du centre ville de Natitingou au Nord du Bénin. Dans cette localité calme, célèbre par l’or qu’elle abrite dans son sous sol, Amos Kouagou développe ses activités économiques depuis la fin de ses études. Le jeune homme au teint noir ciré n’a pas choisi d’aller creuser les profondeurs comme certains de ses congénères à la recherche de l’or. Il s’est plutôt lancé dans l’entrepreneuriat et a créé «Biotope karité», une petite unité de transformation d’amandes de karité en beurre, de fabrication des produits cosmétiques à base de la bave d’escargot. 94 femmes dont 40 permanentes y travaillent.
Côté travail et revenus, Amos «s’en sort très bien ». Mais son activité reste sujette à une difficulté majeure. Les noix de karité manquent parfois à l’appel, face à la demande croissante des commandes qui pleuvent sur Biotope
karité. «La main d’œuvre est présente, disponible, expérimentée, mais parfois la matière première fait défaut », confie le jeune entrepreneur, caressant de son pouce droit, une jolie amande de karité, récoltée très tôt le matin dans la brousse (entre 4 heures et 5 heures).
Cette difficulté, Amos n’est pas le seul à s’en plaindre. Comme lui, bien d’autres jeunes qui se sont lancés dans l’auto-emploi peinent parfois à honorer leurs engagements. Si pour l’heure, ils essayent de tenir « avec l’aide des groupements de femmes qui leur fournissent les amandes de karité », la situation pourrait bien se compliquer à moyen, et peut-être même à court terme. Alima Amzath fabrique depuis bientôt 15 ans des produits cosmétiques faits à base de karité. «Il est à craindre que dans les années à venir, nous fermions tout simplement notre boutique faute de disposer du karité pour continuer à tourner», analyse la jeune dame de 40 ans dont le business florissant lui vaut des voyages fréquents dans plusieurs pays de la sous-région. « Il faut agir très vite et trouver le moyen de perpétuer cet arbre, qui pour moi est un arbre de vie », confesse-t-elle.
Une législation peu protectrice
A ce jour, au Bénin, aucune disposition spécifique ne protège le karité. Cette filière, considérée comme la troisième pourvoyeuse de devises pour le pays après le coton et l’anacarde ne bénéficie ni de lois ni de textes particuliers pour sa protection et sa conservation. Le karité est uniquement pris en compte par la loi N°93-009 du 2 juillet 1993 portant régime des forêts au Bénin. Mais ce texte, en plus d’être peu connu ne fait aucune mention spéciale de la filière en vue de sa protection.
Autre disposition, la loi n° 97-029 du 15 janvier 1999 portant organisation des communes en République du Bénin. Elle dispose en son article 94 que « la commune a la charge de la création, de l’entretien des plantations, des espaces verts et de tout aménagement public visant à l’amélioration du cadre de vie». Mais dans les faits, rien. Au niveau des communes productrices de Karité, les conseils communaux ne manifestent aucun intérêt pour la protection du parc arboricole. «C’est une question de moyens. On demande trop de choses aux communes à la fois alors que les moyens font défaut», lâche, furieux, un conseiller communal de Tchaourou.
Azizou Mora Séro n’est pas de cet avis. Ce cofondateur d’une unité de transformation de karité déplore « la négligence dont les autorités locales font montre » dans les localités où le karité pousse. « On ne leur demande pas grand-chose. Qu’ils sensibilisent les populations, interdisent et sanctionnent ceux qui coupent sauvagement les arbres et exigent des chefs coutumiers de veiller à la protection des arbres », indique le jeune entrepreneur un peu déçu du sort réservé au karité à N’dali, Pèrèrè, Ouèssè… Marinette Kodjo, experte en décentralisation rappelle pour sa part que la loi n° 97-029 du 15 janvier 1999, impose aux communes de « veiller à la protection des ressources naturelles, notamment des forêts, des sols, de la faune, des ressources hydrauliques, des nappes phréatiques et de contribuer à leur meilleure utilisation ».
Le Bénin est également doté d’un Plan national forestier. « Mais sa mise en œuvre est handicapée par deux faiblesses majeures que sont la méconnaissance du plan par le grand public mais surtout des acteurs de la filière, faute de vulgarisation et les ressources limitées pour sa mise en œuvre», souligne l’Association karité Bénin (Akab) dans le rapport final sur l’étude diagnostique des contraintes, opportunités de la législation forestière et des pratiques réglementaires pour la protection du karité.
Plaidoyers…
Face au sort fait à cette filière, plusieurs acteurs s’activent à la tirer d’affaire. « Tout ce que nous pouvons faire, c’est de sensibiliser les populations pour sa protection et plaider contre les abattages sauvages», confie Nonhêmi Bodjrenou, agroéconomiste. L’entrepreneur Amos Kouagou est dans la même logique. Il met également un point d’honneur sur les actions de plaidoyer et soutient le rôle déterminant que jouent les femmes ramasseuses auprès de leurs communautés pour la protection du karité. « Malheureusement, ces actions restent limitées et les impacts sont très mineurs et à peine perceptibles », se plaint-il.
Icco Coopération, une organisation néerlandaise, est actuellement l’un des principaux soutiens de la filière Karité au Bénin à travers le projet «Lobbying et plaidoyer pour le développement inclusif de la filière karité du Bénin» qu’elle finance. A travers cette initiative, elle appuie des entités qui travaillent à l’élaboration d’un document de positionnement de la filière karité au Bénin. « Ce document sera un outil de plaidoyers aux mains des acteurs dans leur lutte pour la reconnaissance par l’état central du karité, comme filière prioritaire », indique cette organisation dans l’une de ses récentes publications. Cette reconnaissance permettrait, de l’avis de Icco Coopération, «un meilleur accompagnement de l’Etat qui pourra consentir désormais des investissements financiers, humains et en innovations importants pour accroitre la contribution de la filière à l’économie du pays ». Mais avant d’en arriver là, il faut agir pour la protection de la filière. Un challenge de plus en plus pressant face au sort que subit la filière. Les parcs de karité ont régressé en termes de nombre d’arbres, déplore Urbain Gbéou de l’Akab qui évoque une régression rapide (52 %) et une régression lente (42 %).
Un joyau traqué de toutes parts
Ce que craignent les acteurs de cette filière, face aux assauts répétés contre l’arbre à beurre, c’est que «la baisse de la production d’amandes impactera négativement les activités de l’ensemble des acteurs, et peut entraîner la disparition de la filière ». Pour les acteurs rencontrés, il faut agir en urgence. Les solutions envisagées dans ce cadre se résument à une sensibilisation des populations pour éviter la destruction des parcs à karité, l’implication des inspections forestières en vue de la répression de ceux qui détruisent les parcs…
Dans des localités comme Natitingou, N’Dali, Pèrèrè Kouandé, Kérou, Tanguiéta, Péhunco et Savè, le karité subit constamment la furie des tronçonneuses, des machettes et du feu. Il s’observe dans ces localités un abattage sauvage pour fabriquer des mortiers, du charbon de bois. « L’arbre à
karité est aussi abattu pour l’extension des superficies cultivables au profit du coton et de l’igname», déplore l’agroéconomiste Nonhêmi Bodjrenou. « A Bantè et Savè, les écorces et les racines du karité sont collectées anarchiquement pour être utilisées dans la médecine traditionnelle, constituant ainsi une menace supplémentaire pour le karité », indique un rapport publié sur la filière.
Les causes de cette destruction sont entre autres le non-renouvellement des parcs à karité, le manque de reboisement de l’espèce, le mythe de la tradition, l’élevage, la non-maitrise de la production des plants, la méconnaissance de l’importance de l’arbre à karité, la non-maitrise des valeurs économiques des produits dérivés du karité, l’agriculture, l’utilisation abusive des intrants agricoles…
Les pourcentages de destruction sont d’ailleurs très élevés. 35 % pour la fabrication du mortier, 24,43 % pour la fabrication du charbon, 16,79 % pour l’installation de nouvelles cultures, et 13, 25 % pour l’industrie du bois, selon une étude de l’Akab. Face à ce tableau, Sébastien Dohou, coordonnateur des programmes Icco au Bénin plaide pour la revue du cadre institutionnel et juridique de la protection du karité et la mise en place d’un mécanisme de protection de la ressource karité impliquant les autorités politico-administratives et les acteurs privés de la filière, « car sans les parcs à karité, les activités des chaînes de valeurs ajoutées disparaitront à coup sûr ».
Par Josué F. MEHOUENOU