En 2024, la Banque Centrale des États de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO) affiche un bénéfice net record, dépassant les 685 milliards de FCFA, tandis que le Bénin, membre de l’Union…

Instabilité sécuritaire et prospérité financière : une lecture sociologique du paradoxe béninois

Instabilité sécuritaire et prospérité financière : une lecture sociologique du paradoxe béninois

En 2024, la Banque Centrale des États de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO) affiche un bénéfice net record, dépassant les 685 milliards de FCFA, tandis que le Bénin, membre de l’Union Économique et Monétaire Ouest-Africaine (UEMOA), subit les attaques terroristes les plus sanglantes de son histoire. Cette juxtaposition entre prospérité macroéconomique régionale et effondrement sécuritaire local interroge. Peut-on lire dans cette opposition apparente une forme de déconnexion structurelle entre la finance régionale et les réalités sociales périphériques ? Cette tension est le reflet d’un système économique où la performance agrégée masque des vulnérabilités profondes.

  1. Centralisation financière et marginalisation périphérique

Selon David Harvey, la logique du capitalisme néolibéral tend à accumuler la richesse par dépossession (2003, The New Imperialism). On peut lire dans la réussite de la BCEAO un effet de centralisation des instruments financiers au profit des villes (Dakar, Abidjan), pendant que les zones vulnérables comme le nord du Bénin deviennent des zones sacrifiées, exposées à la violence.

Saskia Sassen (2005), dans sa théorie des villes globales, explique que la concentration des capitaux dans certains espaces conduit à la fragilisation d’autres territoires périphériques. La BCEAO, institution centralisée et technocratique, reflète cette dynamique : elle performe dans un écosystème globalisé, tandis que des espaces déconnectés de la logique de rendement deviennent des poches de crise.

  1. Insécurité et financiarisation : un couple pervers ?

L’insécurité au Bénin induit une augmentation des dépenses militaires et une sollicitation accrue de l’appareil financier régional : émissions de bons du trésor, emprunts d’État, renforcement de la dette publique. Or, comme le montre Susan Strange (1996), dans The Retreat of the State, la montée en puissance des marchés financiers sur les décisions politiques crée des logiques où les crises deviennent des opportunités de profit pour les institutions financières.

La BCEAO, bien que publique, s’inscrit dans cette logique où la volatilité et l’instabilité deviennent paradoxalement des facteurs de dynamisme économique (via les taux d’intérêt, les placements sécurisés, ou les réserves d’or valorisées en contexte d’incertitude).

  1. Une paix sans justice économique : l’illusion du développement

Achille Mbembe, dans Critique de la raison nègre (2013), montre comment les institutions postcoloniales africaines perpétuent des logiques de gouvernance sans sujet, où l’économie est détachée de la vie concrète des populations. Le bénéfice de la BCEAO devient ainsi un symbole d’un développement abstrait, incapable de répondre aux besoins de sécurité, d’emploi ou d’infrastructure des populations locales.

Le fait que la vie humaine se dégrade dans les zones périphériques, pendant que les chiffres de croissance s’améliorent dans les centres, est le symptôme d’un modèle extractif : les ressources humaines et naturelles des zones vulnérables (nord Bénin) sont captées sans contrepartie, reproduisant des dynamiques coloniales dans un habillage moderne.

La coexistence entre une intensification du terrorisme au Bénin et une prospérité record de la BCEAO n’est pas qu’un paradoxe ; c’est le symptôme d’une économie régionalisée qui a perdu ses ancrages sociaux et territoriaux. Cette dissociation nourrit un sentiment d’abandon et de frustration, terreau fertile pour les logiques extrémistes. Une véritable solution ne peut être seulement militaire ou sécuritaire : elle doit être économique, territoriale, sociale et éthique. Autrement, comme l’avait prévenu Frantz Fanon, « chaque génération doit dans une relative opacité découvrir sa mission, la remplir ou la trahir. »

VINCENT ADANHOUNME Economiste-Sociologue