Le 25 juin 1975, le Mozambique déclare son « indépendance totale et complète » vis-à-vis du Portugal, puissance européenne qui colonise le territoire depuis la fin du XVe siècle. L’avènement de ce nouvel État africain s’est produit après une guerre de libération menée depuis 1964 par le FRELIMO, Front de libération du Mozambique. Retour sur les moments clés de la colonisation à l’indépendance.

Par :Miguel Martins/RFI
Une escale obligée de la nouvelle ligne de commerce
Vasco de Gama aborde les côtes du Mozambique peu avant 1500. Le navigateur portugais faisait route vers l’Inde et ses prestigieuses épices, un commerce qui enrichissait à l’époque les marchands vénitiens et génois. Lisbonne s’applique à mettre en place une nouvelle route maritime, en contournant l’Afrique, pour acheminer ses fameuses denrées indiennes et asiatiques jusqu’en Europe. Pendant longtemps, l’actuel Mozambique constitue la principale escale de cette ligne maritime et, notamment, l’île qui a fini par donner le nom au pays tout entier.
Ainsi, cette côte orientale africaine restera sous la coupe de l’administration mise en place à Goa, en Inde, jusqu’à la seconde moitié du XVIIIe siècle. Sur l’îlot du Mozambique s’organise une « fructueuse contrebande d’or, d’ivoire et d’ébène avec les comptoirs de l’Inde », écrit Armelle Enders (1).
Les richesses du territoire
Au-delà de son rôle logistique joué dans le commerce entre les Portugais et les Indiens, le Mozambique suscite également la convoitise pour ses richesses. Les Portugais, déjà au fait de la réputation de l’or qui arrivait sur les ports de l’Océan Indien provenant de l’intérieur des terres, remontent le fleuve Zambèze. Ils cherchent à démanteler les réseaux de marchands arabes et à soumettre les royaumes, pour accaparer les richesses minières, l’ivoire et le coton.
Plus tard, la traite négrière achemine la main d’œuvre vers les territoires français de l’Océan Indien, au Brésil, notamment pour des plantations de canne à sucre. Le nord du pays est particulièrement touché par ce commerce.
Pacification et ultimatum
Des compagnies concessionnaires prennent le relais, alors même qu’en cette fin du XIXe siècle, la Conférence de Berlin impose une occupation effective des territoires face aux puissances européennes qui revendiquent également leur « part » de l’Afrique. Le Portugal ayant soumis son projet de « Carte rose » s’estimant légitime pour administrer tous les territoires reliant ses deux principales colonies africaines : de l’Angola, sur la façade atlantique, jusqu’au Mozambique, sur l’Océan Indien.
Mais en 1890 l’Angleterre, allié traditionnel du Portugal, n’apprécie guère et le somme de quitter ces territoires (couvrant la Zambie, le Zimbabwe et le Malawi). Cecil Rhodes, colonialiste ambitieux, est déterminé à établir un empire britannique depuis le Caire jusqu’au Cap par voie ferroviaire.
Conquête du territoire
L’occupation du Mozambique se fait au prix de campagnes dites de pacification qui se traduisent par d’innombrables guerres. L’historien français René Pélissier dénombre 160 campagnes entre 1854 et 1916.
La présence portugaise fait face à une résistance farouche et elle se limite donc pendant longtemps à quelques sites fortifiés côtiers et certaines routes fluviales. L’épisode de la capture de l’empereur Ngungunhane, en 1895, à la tête de l’Empire de Gaza, dans le sud du territoire, marque durablement les esprits. Déporté à Lisbonne, il est exhibé devant des foules de curieux, avant de décéder en 1906 sur l’île Terceira, aux Açores.
Dans le territoire de l’actuel Mozambique, le Portugal mettra en place un système de concessions de terres pour trois générations à l’intérieur des terres – les « prazos da coroa » -, impliquant une élite aux origines diverses, y compris des ressortissants d’Asie portugaise.
Système colonial
Si l’esclavage finit par être aboli au XIXe siècle, un processus qui a néanmoins connu bien des atermoiements jusqu’au début du XXe, le travail forcé est généralisé. L’État colonial exige le paiement d’impôts en espèces, contraignant les populations locales à travailler dans les plantations.
L’historien mozambicain Luís Covane a relaté en juin 2025 à RFI : « Le but étant de récolter l’impôt pour garantir de la main d’œuvre dans les plantations des colons portugais qui n’avaient pas la capacité de payer des salaires ». (2) L’ancien ministre de la Santé, Hélder Martins, souligne qu’en près 500 ans de présence coloniale au Mozambique seul « 1% de la population avait le statut d’assimilé », excluant, quasi systématiquement, les « indigènes » de l’accès à l’éducation, à la santé ou du droit à la propriété.
La dernière partie de l’occupation coloniale se déroule sous un régime dictatorial durant presque 50 ans (1926-1974), sous l’égide de António de Oliveira Salazar, puis Marcello Caetano.
À partir de 1930, l’Acte colonial énonce dans son Titre I qu’il est « de l’essence organique de la nation portugaise de remplir la fonction historique de posséder et de coloniser des possessions d’outre-mer et de civiliser les populations indigènes qui s’y trouvent. » (3) Les autorités y encouragent la sédentarisation de populations européennes : au Mozambique le nombre d’Européens installés passe de 18 000 en 1928 à 200 000 en 1973. Le Portugal fait le pari de la rigueur budgétaire en misant sur les matières premières africaines.
Le coton du nord du Mozambique joue un rôle majeur, en échange de quoi le territoire mozambicain est contraint d’importer les tissus fabriqués en métropole.
Un massacre et l’émergence de la lutte de libération
Dans les années 1950-60 la plupart des colonies anglaises ou françaises accèdent à l’indépendance, alors même que le Portugal réfute toute forme de désengagement en Afrique. Et ce, malgré la perte de Goa, Damão et Diu, territoires portugais récupérés par l’Inde en 1961.
En juin 1960, le Massacre de Mueda, dans le nord, marque un tournant décisif dans la lutte de libération au Mozambique. Les revendications paysannes d’un juste prix pour sa production agricole sont alors réprimées dans le sang.
En 1962 le Frelimo, Front de libération du Mozambique, est fondé à Dar es Salam, dans l’actuelle Tanzanie.
La lutte de libération
L’ancien président mozambicain Joaquim Chissano rappelle en juin 2025 à RFI que le mouvement « essayait de trouver des moyens susceptibles de pousser les portugais à accepter la résolution des Nations unies de 1960 sur la décolonisation. » (4)
L’intransigeance affichée par Lisbonne génère la formation d’un mouvement de libération, inspiré des luttes armées engagées dans les autres territoires africains sous domination coloniale portugaise : en Angola (1961) et en Guinée-Bissau (1963). L’Algérie contribue et « 250 hommes y ont été formés, inspirés par la lutte des Algériens » contre la France, détaille Chissano, conduisant au déclenchement de la lutte armée le 25 septembre 1964. Des groupes sont déployés dans quatre provinces du centre et du nord (Zambézia, Niassa, Cabo Delgado et Tete).
En 1969, le président du Frelimo, l’universitaire Eduardo Mondlane, meurt au siège du parti à Dar es Salam, en ouvrant un colis piégé. Le régime colonial portugais poursuit néanmoins sa guerre, malgré les pertes humaines et financières (la moitié du budget de l’Etat).
Le Massacre de Wiriyamu, en décembre 1972, dans le Centre du territoire, entache davantage l’image internationale du Portugal. Au moins 385 personnes sont exécutées, accusées de collaboration avec les indépendantistes.
Ce n’est qu’en 2022 que le premier ministre portugais António Costa présentera des excuses officielles, reconnaissant le massacre causé, souligne Mustafah Dhada, historien mozambicain et enseignant à l’Université de Californie. (5)
Une indépendance trop attendue
Le coup d’État militaire à Lisbonne, le 25 avril 1974, est le coup de grâce porté au régime dictatorial. Les capitaines de la Révolution des œillets reconnaissaient que la « solution au problème de l’Outre-mer serait politique et non pas militaire ». Accroché à ce nouvel espoir, le Frelimo entame des négociations avec la puissance coloniale, selon Óscar Monteiro, militant et membre de la délégation en charge des négociations. (6).
La Guinée-Bissau, dont l’indépendance a été proclamée en 1973, est reconnue en septembre 1974. C’est également en septembre 1974 que le Mozambique obtient le même statut via les Accords de Lusaka. L’indépendance est proclamée le 25 juin 1975.
Une décolonisation tardive et précipitée
Le barrage hydroélectrique de Cahora Bassa, inauguré en 1974, est présenté comme le plus grand exploit de tout l’Empire portugais.
Cependant, au moment de l’indépendance, en 1975, les carences sont évidentes : 93% des Mozambicains sont analphabètes, le territoire dénombre à peine 171 médecins pour 10,5 millions d’habitants, selon l’Institut mozambicain de statistiques. (7)
Les Européens quittent massivement le pays, souvent opposés à l’indépendance.
Le chercheur Calton Cadeado, estime que « cette élite blanche n’était pas disposée à négocier avec la nouvelle élite dirigeante issue du Frelimo, craignant d’être “subalternisée”. » (6) Pour preuve, les installations de Rádio Clube de Moçambique sont occupées par des colons au moment où est signé l’Accord de Lusaka.
La violence à connotation raciale prend de l’ampleur, le 21 octobre, suivant à Lourenço Marques (Maputo, aujourd’hui) avec de nombreuses victimes d’affrontements survenus, à la base, entre commandos portugais et des militants du Frelimo.
Une guerre civile au temps de la Guerre Froide
Le Mozambique naît dans une région dominée par des régimes ségrégationnistes blancs, en Afrique du Sud et en Rhodésie. Óscar Monteiro, militant sénior du Frelimo, estimait qu’il fallait « s’attendre à ce que cette Afrique blanche réagisse ».
Les interférences étrangères pèseront lourdement dans les premières années tumultueuses que connaîtront des pays tels que le Mozambique, mais également l’Angola. Ces États issus de la décolonisation portugaise vont sombrer dans de longues guerres civiles.
Le contexte de confrontation idéologique entre les blocs géopolitiques de l’époque entre communistes d’un côté, et occidentaux et libéraux de l’autre, déteint rapidement sur la jeune nation indépendante.
La guerre civile éclate en 1977, au gré des influences étrangères qui vont soutenir soit le Frelimo, au pouvoir, et ses alliés du bloc de l’Est, soit la Renamo, Résistance nationale mozambicaine, comme l’Afrique du Sud de l’apartheid et la Rhodésie (devenue Zimbabwe en 1980). L’Accord de Rome de 1992 met fin à la guerre entre Frelimo et Renamo après 16 ans de conflit.
Les défis d’une nation fragile depuis 50 ans
Le désarmement de la Renamo et la réintégration de ses anciens guérilleros, ont été actés depuis plus de 30 ans.
Dans un contexte de paix souvent menacée, la Renamo remet régulièrement en cause les résultats des scrutins, depuis l’instauration du multipartisme.
Depuis 2017, les violences jihadistes touchent le nord, notamment à Cabo Delgado, région où d’importants gisements de gaz off-shore suscitent un grand espoir du gouvernement central pour booster l’économie. Le Frelimo reste dominant, malgré quelques percées locales d’autres partis. Le parti, désormais chapeauté par Daniel Chapo, a renoncé depuis les années 1990 au marxisme-léninisme pour adopter une économie libérale.
Malgré plusieurs années de forte croissance, le Mozambique reste classé 185e sur l’Indice de développement humain. (8)
Les mouvements sociaux, la menace terroriste, la présence militaire étrangère (Rwanda, Tanzanie) et les scandales financiers (dettes occultes) nourrissent un climat de défiance.
En 2025 les Mozambicains aspirent toujours à un avenir apaisé et équitable.
Notes:
- Histoire de l’Afrique lusophone, Armelle Enders, Editions Chandeigne, 1994
- Moçambique 50 anos: a ocupação efectiva do país e a segregação
- A fundação da Frelimo e o início da luta de libertação de Moçambique
- O massacre de Wiriyamu em Dezembro de 1972 e suas repercussões internacionais
- As negociações e a proclamação da independência de Moçambique
- 40 Anos de independência nacional, um retrato estatístico, Instituto nacional de estatística, 2015
- Histoire de l’Afrique lusophone : Angola, Cap-Vert, Guinée-Bissau, Mozambique, São Tomé e Príncipe, Armelle Enders/Michel Cahen, Chandeigne et Lima, 2025
Mozambique : l’indépendance et après en six dates
25 juin 1962 : Fondation du Frelimo, Front de libération du Mozambique
25 septembre 1964 : Déclenchement de la lutte armée de libération
7 septembre 1974 : Signature de l’Accord de Lusaka entre le Portugal et le Frelimo définissant le cadre de l’indépendance du Mozambique
25 juin 1975 : Proclamation de l’indépendance du Mozambique par Samora Machel, premier président du pays
4 octobre 1992 : Signature à Rome des Accords de paix entre la Frelimo et la Renamo mettant un terme à 16 ans de guerre civile
27-29 octobre 1994 : Premières élections pluralistes, victoire du Frelimo et de son candidat présidentiel, Joaquim Chissano