Au cœur du dispositif national de lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme du Bénin, la Cellule Nationale de Traitement des Informations Financières (CENTIF), joue un rôle capital dans le déclenchement de l’action publique contre le Blanchiment de Capitaux et le Financement du Terrorisme (BC/FT) et par conséquent, contre les infractions ou crimes lucratifs sous-jacents.
Monsieur le Président, présentez-nous la CENTIF-Bénin
La CENTIF du Bénin a été créée à travers le décret n°2006-752 du 31 décembre 2006 en application des dispositions de l’ancienne loi n°2006-14 du 31 octobre 2006 portant lutte contre le blanchiment des capitaux au Bénin. Suivant ce décret, la CENTIF était un service administratif placée sous la tutelle du Ministère chargé des Finances avec une autonomie financière. Mais depuis l’adoption de la nouvelle loi, la loi 2018-17 du 25 juillet 2018 relative à la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme en République du Bénin, un nouveau décret, le décret n° 2018-347 du 25 juillet 2018 portant attributions, organisation et fonctionnement de la CENTIF pris en application des dispositions de cette nouvelle loi, confère désormais à la CENTIF, le statut d’Autorité Administrative placée sous la tutelle du MEF, dotée de l’autonomie financière et d’un pouvoir de décision autonome sur les matières relevant de sa compétence (Art 59 de la loi citée supra).
Quelles sont les missions assignées à la CENTIF ?
Deux missions essentielles découlent des attributions de la CENTIF définies à l’article 60 de la loi 2018-17 : une mission opérationnelle ; une mission stratégique. La mission opérationnelle consiste à recevoir, analyser et traiter les renseignements propres à établir l’origine des transactions ou la nature des opérations faisant l’objet de déclarations de soupçon qui lui parviennent de ses assujettis : c’est sa principale fonction en tant que Cellule de Renseignement Financier. Ensuite, la mission stratégique consiste à conseiller l’Etat, à émettre des avis sur la mise en œuvre de la politique nationale en matière de lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme : ceci revient à susciter des réformes pertinentes ou à proposer des mesures visant le renforcement du dispositif de lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme au Bénin.
Comment la CENTIF arrive-t-elle à remplir ces deux missions et avec quels moyens ?
Les moyens dont dispose la CENTIF sont essentiellement juridiques. En effet, pour mener à bien ces deux missions cruciales, la loi lui a conféré plusieurs prérogatives qui lui permettent d’atteindre efficacement ses objectifs. A titre illustratif, je peux citer le droit d’opposition à l’exécution d’une opération suspecte pour 48h (article 68 de la loi 2018-17) ; le droit de communication étendu lui permettant l’accès à toutes les sources d’informations nécessaires à la conduite de ses investigations (article. 70 de la loi 2018-17) ; l’inopposabilité du secret professionnel à ses requêtes (article 96 de la loi 2018-17) ; l’obligation faite aux institutions financières et aux Entreprises Professionnelles Non Financières Désignées, c’est-à-dire les avocats, les notaires, les experts comptables, les agences immobilières, le secteur des jeux et des casinos, les agences de voyages, les hôtels et bien d’autres, … de procéder à des déclarations d’opérations suspectes à la CENTIF (article 79 de la loi 2018-17) ; les informations fournies à la CENTIF par les autorités de contrôle, les officiers de police judiciaire, les instances nationales et des ordres professionnels à sa demande ou sur leur initiative (articles 60 alinéa 2 et 75 alinéa 2 de la loi 2018-17) ; le recours par la CENTIF aux moyens d’investigation dont disposent les ministères en charge des Finances, de la Justice et de la Sécurité et d’autres organismes pour la recherche des infractions induisant des obligations de déclaration (l’alinéa 5 de l’article 60 de la loi 2018-17) ; les correspondants de la CENTIF auprès des services centraux de l’administration publique (article 63 de la loi 2018-17) et de ses déclarants auprès de tous les assujettis (article 64 de la loi 2018-17) qui sont les points focaux de la CENTIF.
Quelles sont les activités les plus importantes menées par la CENTIF-Bénin ces dernières années ?
Au cours de ces trois dernières années, plusieurs activités et réformes pertinentes ont été réalisées sous l’impulsion de la CENTIF. Je ne pourrai pas toutes les présenter ici mais pour répondre à votre question, je parlerai de deux ou trois grands projets réalisés. D’abord, le projet de réalisation de l’évaluation nationale des risques de blanchiment de capitaux et de financement du terrorisme : il s’agit d’un projet capital coordonné par la CENTIF sous la supervision attentive du Ministre de l’Economie et des Finances en personne Romuald WADAGNI. Cet exercice qui est une exigence majeure des normes du Groupe d’Action Financière, a été réalisé au niveau national et au niveau de tous les secteurs financiers et économiques avec l’implication de tous les acteurs publics et privés. A travers une étude consolidée et transversale des menaces et vulnérabilités nationales et sectorielles, l’évaluation nationale des risques a permis l’identification, l’analyse et la compréhension des risques de blanchiment de capitaux et de financement du terrorisme auxquels le Bénin est exposé tant au niveau global de l’activité économique qu’au niveau des secteurs financier et non financier assujettis. Le rapport de cette évaluation nationale des risques et ses recommandations ont été approuvés par le Gouvernement en Conseil des ministres le 14 novembre 2018 et les résultats ont été ensuite largement diffusés auprès de toutes les parties prenantes qui ont par la même occasion, été sensibilisés sur les dispositions de la loi relative à la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme. Une seconde grande activité non moins importante menée par la CENTIF ces dernières années a été de contribuer à travers les nombreuses séances de formations et de sensibilisations des Responsables de conformité et des Directeurs Généraux des Banques, à l’intégrité et à la sûreté du système bancaire et financier du Bénin. Ainsi, les banques du Bénin possèdent aujourd’hui de dispositifs de conformité anti-blanchiment solides et efficaces. En outre, elles ont acquis le réflexe de la mise en œuvre systématique des obligations de vigilance et de connaissance de leurs clients. En effet, elles ont toutes renforcées leurs procédures de contrôles des opérations à leurs guichets pour éviter d’être exposées aux risques de blanchiment de capitaux ou de financement du terrorisme aux conséquences énormes. Enfin, comme troisième exemple, la CENTIF a substantiellement contribué à former les autorités d’enquêtes et de poursuites pénales, les policiers, les agents des eaux et forêts, les douaniers et les magistrats sur plusieurs thématiques de la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme. Ainsi, la plupart des agents des unités de la Police Républicaine en charge de la répression des infractions sous-jacentes telles que la Brigade Economique et Financière, l’Office Central de Répression de la Cybercriminalité, l’Office central de répression du trafic illicite des drogues et des précurseurs, la Brigade Criminelle ainsi que plusieurs magistrats aussi bien de la Cour de Répression des Infractions Economiques et du Terrorisme que des tribunaux de première instance, ont été formés sur les techniques d’enquêtes financières et de poursuites pénales en matière de lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme.
Que peut-on retenir des risques de blanchiment de capitaux et de financement du terrorisme identifiés dans ce rapport ?
Alors sur les risques identifiés, disons pour résumer que suivant les conclusions du rapport sur l’ENR, le risque de blanchiment de capitaux est très élevé au Bénin tandis que celui lié au financement du terrorisme se situe à un niveau moyen. Les principales faiblesses ou insuffisances qui étaient à la base de ces conclusions au moment de l’évaluation étaient liées essentiellement : à la faiblesse du cadre juridique qui régissait la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme au Bénin, un cadre qui ne répondait pas aux recommandations du Groupe d’Action Financière, le GAFI. Ce cadre ne permettait pas en effet de prévenir ni de réprimer efficacement ces fléaux ; à la porosité des frontières ; à l’utilisation massive de l’espèce dans les transactions ; au faible niveau de conformité des institutions financières et non financières assujetties à la loi relative à la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme ; au défaut ou à la faiblesse de supervision et de contrôle de certains secteurs sensibles.
Quelles sont les recommandations formulées dans ce rapport pour corriger ces insuffisances ?
Plusieurs recommandations ont été formulées dans le rapport de l’évaluation nationale des risques de blanchiment de capitaux et de financement du terrorisme. Comme je vous l’ai déjà dit, le Conseil des Ministres sous la présidence de son Excellence le Président TALON, a approuvé en sa séance du 14 novembre 2018 le rapport de l’évaluation nationale des risques de blanchiment de capitaux et de financement du terrorisme et a instruit le Ministre de l’Economie et des Finances, le Garde des Sceaux, ministre de la Justice et de la Législation, le Ministre de l’Intérieur et de la Sécurité Publique et le Ministre délégué auprès du Président de la République, chargé de la Défense nationale, de prendre les dispositions nécessaires pour la mise en œuvre des recommandations formulées dans ledit rapport, conformément à un plan d’actions. En respect à cette décision du Conseil des Ministres, le Ministre de l’Economie et des Finances a veillé à l’élaboration diligente d’un plan stratégique et d’un plan d’actions pour la mise en œuvre des recommandations formulées dans le rapport. Sept (07) axes ou pôles stratégiques ont été retenus pour définir les actions et mesures à mettre en œuvre en vue de corriger effectivement les faiblesses et lacunes identifiées et faire face efficacement aux risques de blanchiment de capitaux et de financement du terrorisme dans notre pays. Il s’agit des actions et mesures visant : le renforcement du cadre juridique de la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme du Bénin, le renforcement des dispositifs de lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme des assujettis, le renforcement du cadre de supervision et de contrôle des assujettis sur la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme, le renforcement des capacités opérationnelles de la CENTIF, le renforcement des capacités stratégiques de la CENTIF, le renforcement des capacités des autorités d’enquête et de poursuite sur la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme, le renforcement de la prévention contre le financement du terrorisme au Bénin.
Quel est aujourd’hui l’état des lieux de la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme après ces travaux dont vous venez de parler ?
Pour faire un état des lieux de la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme au Bénin aujourd’hui, on peut dire que globalement, le Bénin s’est résolument inscrit parmi les pays engagés à éradiquer toutes les infractions ou crimes sous-jacents qui génèrent des flux financiers illicites. En effet, avec la volonté affichée du Chef de l’Etat, le Président Patrice TALON à instaurer une gouvernance vertueuse, la lutte contre l’impunité et toutes les formes de crimes économiques ou financiers est désormais une réalité dans notre pays. Dans ces conditions, le dispositif de lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme se révèle un excellent outil de bonne gouvernance et de lutte contre toutes les infractions sous-jacentes, notamment la corruption et ses infractions connexes, la fraude fiscale ou douanière, la contrebande ou tout autre trafic illicite. C’est dans ce cadre qu’à la suite de l’évaluation nationale des risques de blanchiment de capitaux et de financement du terrorisme, plusieurs réformes ont été entreprises par le Gouvernement pour renforcer le cadre juridique, institutionnel et opérationnel de la prévention et de la répression de toutes les infractions économiques ou financières et par conséquent, pour lutter efficacement contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme. A titre d’exemple, on peut citer : l’adoption d’une nouvelle loi relative à la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme, loi N°2018-17 promulguée par le Chef de l’Etat le 25 juillet 2018 et qui est à plus de 90% conforme aux recommandations du GAFI. Il s’agit d’une loi uniforme qui aurait dû être internalisée depuis 2015 conformément à la directive de l’UEMOA ; la création d’une Cour de Répression des Infractions Economiques et du Terrorisme (CRIET) pour poursuivre et réprimer plus efficacement toutes les infractions ou crimes sous-jacents qui génèrent des flux financiers illicites et leurs auteurs ; le renforcement des attributions et des prérogatives de la Cellule Nationale de Traitement des Informations Financières (CENTIF) à travers un nouveau décret portant AOF de la CENTIF qui lui confère désormais le statut d’autorité administrative au lieu de service administratif. Ceci permet à la CENTIF d’être au cœur du renseignement financier et de jouer un rôle central dans la coopération et la coordination nationales entre tous les acteurs impliqués dans la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme, notamment la Brigade Economique et Financière, l’Office Central de Répression de la Cybercriminalité, l’Office central de répression du trafic illicite des drogues et des précurseurs, la Brigade Criminelle, les autorités judiciaires en particulier la CRIET et les autres services de renseignement de l’Etat. la dématérialisation et l’obligation de règlement des transactions avec les régies de l’Etat par des moyens de paiement scripturaux uniquement en vue d’en assurer la traçabilité, de limiter l’usage des espèces et de lutter contre la corruption ; la mise en place d’une plateforme interconnectée de base de données entre les Impôts, la Douane, et le Trésor pour rendre automatique les vérifications et le croisement des contrôles afin de lutter contre les fraudes fiscales, douanières, documentaires ou autres. Ce sont là quelques exemples. Mais grâce au dynamisme du Ministre de l’Economie et des Finances, bien d’autres projets sont en cours de réalisation pour débarrasser l’économie béninoise des flux financiers illicites et la rendre moderne, compétitive et attrayante aux investissements nationaux ou étrangers.
Mais on ne peut pas parler de l’état des lieux du blanchiment de capitaux et du financement du terrorisme au Bénin, sans parler de la situation des institutions financières et celle des Entreprises professionnelles Non Financières Désignées qui sont les principales entités assujetties à la loi 2018-17. Depuis l’évaluation nationale des risques de blanchiment de capitaux et de financement du terrorisme, les disséminations des conclusions et recommandations du rapport de même que les formations et sensibilisations organisées à l’endroit des banques, des Systèmes Financiers Décentralisés de grande taille, des compagnies d’assurance, des Sociétés de Gestion et d’Intermédiation, ont permis à toutes ces institutions financières, de mettre en place et ou de renforcer leurs dispositifs de conformité en matière de lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme. Aujourd’hui, ces dernières mettent en œuvre de manière satisfaisante les mesures préventives et déclarent régulièrement les opérations suspectes conformément à leurs obligations légales en matière de lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme. Le rapport d’activités au titre de 2018 du Groupe Intergouvernemental d’Action contre le Blanchiment d’Argent en Afrique de l’Ouest, le GIABA, a d’ailleurs identifié le Bénin comme le 2ème pays en matière de déclaration de soupçons sur les 17 pays qu’il compte. Par contre au niveau des assujettis non financiers, notamment, les notaires, les avocats, les experts comptables, les huissiers de justice, les casinos et jeux, les hôtels, …, etc., beaucoup de choses restent à faire.
Quels sont les projets de la CENTIF Bénin à court, moyen et long termes ?
La CENTIF, outre ses attributions spécifiques de traitement des informations financières, joue un rôle important dans la mise en œuvre de la politique et la stratégie nationale de lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme. Elle est donc au centre de la mise en œuvre du plan d’actions issu des recommandations de l’évaluation nationale des risques avec l’appui du Comité Technique National de lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme qui est l’organe de coordination au niveau national. Sa principale activité à court terme sera la mise œuvre complète du plan d’actions issu du rapport de l’évaluation nationale des risques. Dans ce cadre, la CENTIF a planifié un large programme de formation et de renforcement des capacités en matière des diverses techniques de lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme à l’endroit de tous les acteurs notamment les autorités d’enquêtes et de poursuites pénales, les superviseurs et surtout, les entreprises professionnelles non financières désignées. A moyen terme, la CENTIF attend les conclusions du rapport de l’évaluation mutuelle du dispositif de lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme du Bénin, évaluation mutuelle qui a été réalisée par le GIABA en février 2019. En principe, les résultats de cette évaluation par les pairs devraient contribuer au renforcement du cadre juridique et institutionnel et de tous les autres mécanismes et moyens mis en œuvre pour combattre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme au Bénin. A long terme, la CENTIF dans sa mission stratégique et à travers des propositions de mesures ou réformes pertinentes, souhaite accompagner durablement le Gouvernement dans sa lutte contre toutes les formes de criminalité financière ou économique, la mauvaise gestion, la corruption, l’impunité.
Votre mot de fin Monsieur le Président ?
Comme mot de fin, je voudrais d’abord remercier le Chef de l’Etat et nos trois Ministres de Tutelle, le Ministre de l’Economie et des Finances, le Garde des Sceaux, Ministre de la Justice et de la Législation et le Ministre de l’Intérieur et de la Sécurité Publique pour leur soutien sans faille aux projets et activités portés par la CENTIF, soutien sans faille certes, mais soutien sans interférence. En effet, tout en respectant l’autonomie d’action de la CENTIF et son caractère apolitique, le Gouvernement et son Chef, le Président Patrice TALON, à travers le Ministre de l’Economie et des Finances, ont toujours doté la CENTIF de ressources adéquates pour l’accomplissement de ses missions. Je voudrais aussi, remercier tous les acteurs publics et privés impliqués dans la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme, pour tous les efforts qu’ils ne cessent de fournir. Enfin, je voudrais vous remercier, vous les journalistes d’avoir voulu vous intéresser un peu plus aux activités que mène la CENTIF. Nous aurons sûrement d’autres occasions d’échanges. Je vous remercie.
Propos recueillis par Adrien TCHOMAKOU