Nous n’allons pas trop tôt nous lancer dans un « tout ça pour ça ?», quand bien même le contenu de la sortie médiatique du président Patrice Talon, hier sur France 24 et Rfi, n’est pas nouveau pour les Béninois. Possible qu’elle soit exclusivement réservée à la Communauté internationale. Toutefois, du point de vue de la forme, c’est l’une des rares fois que le chef de l’Etat béninois a manqué de sérénité lors d’un entretien sans doute préparé. Beaucoup d’hésitation dans le choix des mots et des arguments à servir pour convaincre. A l’arrivée, on retient trois choses essentiellement de l’entretien.
1-S’il y a eu des morts, c’est parce que ‘’les chasseurs recrutés’’ ont provoqué
Interpellé sur les violences nées des législatives exclusives d’avril 2019 qui ont fait plusieurs morts, le président de la République n’a reconnu qu’une estimation de 4 morts officiellement. Pas plus. Et s’il en avait eu plus que « le chiffre 4 », c’est certainement parce que les chasseurs recrutés par des acteurs politiques exclus de l’élection, ramassaient immédiatement leurs morts, effaçant ainsi toute trace d’identification de leur origine. C’est du moins ce qu’on peut retenir de la réponse servie par Patrice Talon à l’international hier. Mieux, s’il faut situer les responsabilités, c’est parce que lesdits chasseurs ont fait l’option « de tirer sur les policiers, les militaires et même sur les civils » qu’il y a eu « parfois riposte de la protection du bien public et de protection de soi » du côté des agents de sécurité. Sur cette façon de voir, doit-on comprendre par là qu’avant, pendant et après les élections, de Tchaourou à Kandi en passant par Savè, Bantè, Parakou et même Cotonou, les 1er et 2 mai, les dégâts matériels et morts enregistrés sont partis des tirs des chasseurs auxquels l’armée a riposté ?
2- Retour au bercail de Yayi : visiblement le seul souci actuel de Talon
A bien lire la quinzaine de minutes qu’a durée la diffusion de l’entretien, on peut se demander si le centre d’intérêt n’est pas plutôt Yayi Boni, le prédécesseur de Patrice Talon. Il semble que pour le Pouvoir de la Rupture, Yayi Boni à l’extérieur, n’est pas bon signe tant à l’interne qu’à l’international. Et, Patrice Talon, même s’il se refuse de faire un lien entre ce feuilleton Yayi et la fermeture des frontières nigérianes, il veut bien voir Yayi Boni au bercail. Qu’il vienne coller son image au dialogue politique que d’aucuns qualifient d’exclusif, initié par Patrice Talon pour montrer aux Béninois et à la Communauté internationale qu’il fait table rase du passé. C’est l’interprétation logique de l’appel pressant du président Talon au président d’honneur du parti Fcbe qui vit depuis un moment loin de sa terre natale après une cinquantaine de jours d’assignation à résidence à Cotonou, pendant la période postélectorale. « C’est tout mon souhait, que le président Boni Yayi rentre au Bénin. C’est un ancien président du Bénin. Le président Boni Yayi est désormais une personnalité particulière dans l’espace de vie au Bénin… », déclare-t-il. Et ce n’est pas tout ! Même si Patrice Talon dit reprocher à son prédécesseur son implication dans les contestations des élections législatives dernières, il tient à le voir revenir chez lui : « C’est désormais du passé. Mais malgré cela, mon souhait, c’est qu’il rentre et qu’il montre au peuple béninois que même s’il a désapprouvé la manière dont les élections se sont passées, par la mise en œuvre de nouvelles lois, et que cela a pu amener la violence, nous sommes capables de tirer un trait sur cet événement difficile pour nous et que chacun, dans la sagesse, continue de contribuer à un environnement de paix et de développement (…) C’est pour ça qu’il serait bien que le président Boni Yayi rentre d’autant qu’aujourd’hui plus personne ne doit craindre les suites de son action à cause d’amnistie. Il n’a plus rien à craindre même s’il avait des inquiétudes quant à l’interpellation d’un juge sur ce qui s’est passé. C’est fini ! », laisse entendre le chantre de la Rupture/Nouveau départ.
3- Du « J’aviserai », il y en a encore eu
La fermeté de ton sur ce que Patrice Talon fera un mandat unique, comme promis lors des campagnes pour la présidentielle de 2016, c’est du passé, visiblement. Une fois encore, c’est à un ‘’ j’aviserai’’ basé sur trois conditions que les téléspectateurs ont eu droit. Mais avant, le chef de l’Etat du Bénin fait le désintéressé par les calculs politiques de 2021 : « Etre réélu éventuellement ou non, être candidat éventuellement ou non, ne conditionne pas mon action au quotidien ». Et il poursuit : « Cette candidature éventuelle dépend de trois choses. Ça dépend de ma disponibilité personnelle, de mon état d’esprit. Ça dépend de l’environnement politique dans lequel nous sommes puisque les réformes en cours tendent à renforcer le rôle des partis politiques. Le troisième facteur duquel dépend une candidature de Patrice Talon, c’est la mise en œuvre de mon action actuelle. Et, je suis relativement satisfait de la définition de l’action gouvernementale même si dans la mise en œuvre, il nous a fallu plus de temps que prévu. Ces trois facteurs demain, détermineront mon choix. Mais je vous dis, j’aviserai en tenant compte de ces trois facteurs demain si je dois être candidat ou non ». Sur cette réponse précisément, Patrice Talon semble brouiller un peu les pistes, mais à bien lire entre les lignes, il n’y a plus rien à aviser. Tout semble être clair désormais. Et sauf revirement spectaculaire, il cherchera à être candidat à sa propre succession. Et pour cause. Sur les trois conditions qu’il s’est fixées pour aller à nouveau ou non à la conquête du pouvoir, deux semblent être au vert. Il faut souligner que pour Patrice Talon, la réforme du système partisan est en marche. Il ne l’a jamais caché. D’ailleurs, il s’oppose à toute idée tendant à la remettre en cause. Le récent dialogue qu’il a initié en est une parfaite illustration. Donc, on peut dire que cette condition posée est déjà réunie. La condition sur son action gouvernementale aussi est aussi acquise puisque sur place face aux journalistes, lui-même dit qu’il est relativement satisfait des résultats malgré le retard mis pour démarrer la fondation. Et qu’est-ce qui peut bloquer encore la candidature de Talon en 2021 ? La seule condition qui lui reste à réunir, et qui ne dépend pas forcément de lui, c’est peut-être sa disponibilité liée en grande partie à son état de santé. C’est ce qu’il semble dire en filigrane.
Il faut dire que sur France 24, la diffusion de l’entretien enregistré au Palais de la République à Cotonou, n’a duré qu’une quinzaine de minutes. L’intégralité, soit 53 minutes, étant sur le site de la chaine de télévision française, nous pourrions revenir sur d’autres pans.
Worou BORO