Sous la poussée de textes législatifs récemment adoptés, la loi portant lutte contre la corruption au Bénin de 2011 est aujourd’hui dépouillée d’une des innovations qui faisaient jusqu’alors sa force : la sévérité de son régime répressif. C’est l’un des constats majeurs d’une étude réalisée en septembre dans le cadre du Projet de renforcement des OSC dans la détection et la dénonciation de la corruption (2D Corruption) mis en œuvre par ALCRER en association avec le FONAC grâce au soutien du programme RePaSOC (11e FED).
Dans le code pénal adopté en 2018, des peines généralement plus douces ont été édictées contre la corruption et autres infractions connexes. Certes le code ne modifie pas les peines d’emprisonnement pour la corruption active et passive mais elle diminue le montant de l’amende minimale qui est désormais de 200 000 FCFA contre 1 million dans la loi de 2011. En revanche, la peine maximale d’emprisonnement pour le conflit d’intérêts est ramenée à 2 ans contre 5 ans auparavant. De même, le trafic d’influence, infraction connexe à la corruption, est désormais punissable d’un emprisonnement minimal de 2 ans alors qu’il était de 5 ans dans la loi portant lutte contre la corruption. L’enrichissement illicite, c’est-à-dire la situation d’un agent public qui ne peut justifier l’origine licite de son patrimoine par ses revenus perçus légitimement dans l’exercice de ses fonctions, est punissable par le code d’un à 5 ans contre 5 à 10 ans par la loi de 2011.
L’étude a cité une quinzaine de cas où le législateur s’est montré clément en diminuant l’emprisonnement ou l’amende. Cette « variation du législateur » n’est pas uniquement observable entre le nouveau code pénal et la loi de 2011. Il en est de même entre cette dernière et la loi sur le blanchiment adoptée en 2018 : l’emprisonnement pour le blanchiment de capitaux qui était de 10 à 20 ans dans la loi de 2011 est ramené dans la fourchette de 3 à 7 ans.
De même, le code pénal était attendu pour confirmer l’imprescriptibilité des crimes de corruption affirmée à l’article 21 de la loi portant lutte contre la corruption. La loi n°2019-1l du 25 février 2019 portant renforcement juridique et judiciaire de la gouvernance publique qui reste le premier texte législatif national à caractériser l’infraction économique, n’a pas non plus rappelé ce principe majeur au cœur, jusqu’à présent, de la politique pénale anti-corruptive du Bénin.
Les lois spéciales dérogent aux lois générales
Les auteurs de l’étude soulignent que la « clémence » résultant de cette « dernière volonté du législateur » est d’autant plus formelle que le nouveau code pénal, en ses articles 1000 et 1008, a abrogé toutes dispositions antérieures contraires. En pratique, les juges auront naturellement tendance à appliquer les peines les plus douces c’est-à-dire à faire recours davantage au code pénal qu’à la loi de 2011 manifestement menacée de désuétude.
Face à cette situation de divergence entre les textes dans la répression de la corruption et des faits assimilés, que faut-il faire ? L’étude propose deux alternatives simples et évidentes : ou amender la loi n°2011-20 pour se conformer aux peines du nouveau code pénal, ou toiletter ce dernier pour revenir aux quanta de 2011. Une troisième alternative est évoquée par l’étude pour permettre à la loi de 2011 de conserver son « droit de cité » malgré les dispositions du nouveau code pénal : le recours à la règle latine ‘’specialia generalibus derogant’’ (les lois spéciales dérogent aux lois générales). Aux termes de cette règle, « lorsque deux cadres juridiques peuvent s’appliquer à une situation (ici la corruption), l’un spécifique (loi de 2011) et l’autre général (code pénal de 2018), c’est le cadre spécifique qui doit être appliqué ». Mais en fait, dans un contexte où une partie de l’opinion considère que les peines de la loi de 2011 étaient trop élevées et concrètement inapplicables, il y a peu de chance que les juges se souviennent de cette règle.
Les organisations de la société civile qui se sont réunies, le 3 septembre 2019, pour valider le rapport de l’étude, ont dénoncé les nouvelles peines comme un « recul défaitiste » du législateur et ont appelé au maintien des peines prévues dans la loi de 2011 dans le cadre du processus de relecture de ladite loi envisagée par l’Autorité nationale de lutte contre la corruption et le Ministère en charge de la justice.
En dehors des contradictions entre le code pénal, la loi sur le blanchiment et la loi sur la corruption, d’autres insuffisances ont été relevées par l’étude. La déclaration de patrimoine et la déclaration d’intérêts sont faiblement encadrées. Par exemple, le retard dans la déclaration de patrimoine n’est pas punissable pour l’ensemble des assujettis. La loi de 2011, elle-même, laisse subsister des incohérences en matière de sanction, donnant l’impression qu’il y a des infractions de corruption de second degré ou de moindre nuisance : par exemple, le détournement est moins puni (1 à 5 ans) que la corruption active ou passive (5 à 10 ans). La loi comporte également des mentions à des textes législatifs déjà abrogés (ou en voie de l’être). L’étude propose que ces références soient « rafraîchies voire corrigées ».
Le choix d’un code de lutte contre la corruption
Sur la base des constats, des recommandations ont été faites pour améliorer le cadre juridique de lutte contre la corruption. Outre la correction des contradictions notées entre les textes, l’étude a appelé à la consécration, dans la nouvelle monture de la loi portant lutte contre la corruption, de certaines notions ou principes tels que : la notion d’infraction économique ou à caractère économique ; la notion de faute de gestion comme une infraction connexe à la corruption ; l’obligation de poursuite des faits de corruption et le droit pour les associations de lutte contre la corruption d’ester en justice et de se constituer partie civile dans les procès de corruption.
Fustigeant l’éparpillement, entre plus d’une quinzaine de textes, des dispositions qui encadrent la lutte contre la corruption, l’étude a suggéré la technique de codification consistant à « regrouper tous les textes épars en un code unique portant lutte contre la corruption et autres infractions connexes ». Selon les auteurs de l’étude, « cette option a l’avantage de mieux gommer les contradictions internes du cadre normatif actuel éparpillé en plusieurs textes et d’offrir une règlementation plus harmonieuse et mieux lisible pour le juge et le justiciable ».
Ces diverses recommandations ont été discutées par les OSC qui se les ont appropriées. Dans une déclaration commune qui a été remise au ministre en charge de la justice et au représentant du président de l’Assemblée nationale, le 22 novembre dernier, elles ont appelé à « la mise en place d’une politique pénale nationale où la corruption sera soumise à un traitement spécifique à la hauteur de sa nocivité particulière sur le devenir de la nation ».
La mise en place d’une loi spécifique portant lutte contre la corruption est une recommandation des principales conventions internationales et régionales (ONU et UA) auxquelles le Bénin est parti. Celle adoptée en 2011 a le mérite d’avoir mis en place un régime complet comprenant à la fois des mesures de prévention, de détection, de poursuite et d’évaluation de la corruption.
Gervais LOKO
Coordonnateur du Projet de renforcement des OSC pour la détection et la dénonciation de la corruption (Projet 2D Corruption)