L’usage abusif ou inapproprié du médicament constitue une préoccupation pour les instances sanitaires du monde. Dans un pays comme le Bénin où l’automédication est une pratique largement répandue, le médicament, mal utilisé, peut devenir un problème pour le consommateur. Dr Moutiatou Tidjani Toukourou, titulaire de la pharmacie de l’abattoir à Cotonou, explique dans cette interview qu’elle nous a accordé, les facilités qu’offrent les pharmaciens au consommateur pour un bon usage du médicament.
Propos recueillis par Reine AZIFAN
La Nation : Qu’appelle-t-on médicament ?
Dr Moutiatou Tidjani Toukourou : Le médicament de façon générique, c’est toute substance qu’on présente comme ayant des vertus ou des propriétés thérapeutiques, curatives, préventives, diagnostiques vis-à-vis des maladies humaines et animales. Le médicament sert donc à guérir, à prévenir et à faire le diagnostic d’une maladie. Il y a plusieurs formes de médicaments. Nous avons les formes solides comme les comprimés et les suppositoires ; nous en avons sous forme liquide, notamment les injectables, les collyres qu’on met dans les yeux et les oreilles, il y a aussi des liquides qu’on met dans l’anus pour faire les lavements ; nous avons les sirops. Parmi les sirops, on peut classer nos médicaments traditionnels que nous buvons sous forme de tisane. Nous en avons aussi sous forme de pommade et lait pour la surface de la peau.
A quel moment doit-on recourir au médicament ?
On doit prendre un médicament lorsqu’on est malade. Mais il y a plusieurs sortes de maladies. Il y en a qui sont passagers, par exemple un mal de tête ou un rhume, les yeux qui coulent, bref, vous avez un petit bobo. Ce sont souvent des signes qui annoncent quelque chose dans l’organisme. Quand vous avez ces genres de manifestations, vous avez deux solutions : soit vous vous dites je prends un calmant ou bien vous allez dans une pharmacie pour trouver une solution à votre problème. Il faut dire que ce que nous faisons en pharmacie est assez sommaire, nous ne faisons qu’orienter le patient en lui proposant un produit ou en lui disant franchement, si ça ne va pas, d’aller voir le médecin qui va pousser beaucoup plus loin son diagnostic et prescrire un traitement. Le mieux, avant tout recours au médicament, c’est de s’adresser à une personne qualifiée et la première personne qualifiée, là où vous rentrez sans même payer, c’est la pharmacie.
Quels sont vos conseils pour un bon usage des médicaments ?
Je demande aux populations de faire confiance à leurs pharmaciens, à leurs médecins. Ce sont des gens qui ont été formés et dans un environnement donné. Ils sont là pour les aider à se prendre en charge sans trop de risques. Il y a toujours un risque à prendre un médicament et tout le monde n’a pas la même sensibilité. Le médicament qui est bon pour X peut ne pas être bon pour Y. Le pharmacien est renseigné là-dessus et peut vous aider, vous orienter. Si vous n’avez pas les moyens d’aller voir un médecin, rapprochez-vous au moins d’un pharmacien avant toute prise de médicament. C’est un produit tellement spécial qu’il a une définition juridique donc c’est dans la loi. C’est un produit très important même dans un système sanitaire, car si vous avez le meilleur médecin, les meilleurs appareils pour faire les meilleurs diagnostics, si le médicament est mauvais, tout ce que vous avez fait avant est vain. Quand on prend l’ensemble d’un traitement pour d’un malade, le médicament représente 76 % donc il ne faut pas se tromper de médicament. Il faut prendre le bon médicament au bon moment. Il ne faut pas détenir beaucoup de médicaments à la maison, il faut avoir juste de quoi vous avez besoin et avoir un endroit où les entreposer. De préférence en hauteur pour que les enfants ne puissent pas y avoir accès facilement. De temps en temps, il faut regarder ces médicaments, en particulier les dates de péremption et jeter ceux qui sont périmés. Dommage que dans notre pays on n’ait pas encore de système de récupération de ces médicaments périmés. J’espère qu’on va y arriver un jour. Que chacun joue son rôle pour le bonheur de nos populations.
Le médicament ayant aussi un rôle préventif, dans quels cas peut-on en prendre à ce titre ?
A titre préventif par exemple, les médicaments que nous pouvons prendre sont les vaccins. Vous n’êtes pas malade mais vous vous faites vacciner pour prévenir certaines maladies. C’est l’exemple-type de médicament à visée préventive. Dans les temps anciens, on faisait la prévention contre le paludisme en prenant certains médicaments mais aujourd’hui, ce n’est plus conseillé sauf pour les femmes enceintes pour lesquelles un traitement préventif intermittent (Tpi) est mis en place. Si on laisse la femme enceinte contracter le paludisme, c’est très grave et pour elle-même et pour le bébé. C’est pourquoi dans ce cas aussi, on fait de la prévention.
Cette pratique des temps anciens ainsi que la dispensation des médicaments sans exigence d’une ordonnance ne favorisent-elles pas l’automédication, une pratique très répandue au Bénin ?
L’automédication est due à notre système sanitaire. Qui paye pour la santé ? Il n’y a pas de système de prise en charge de la population. Donc, on a peur d’aller voir le médecin et on s’adonne à l’automédication. Ce qui est très dangereux, car on peut traiter les symptômes d’une maladie pendant longtemps alors que la maladie est toujours là et s’aggrave. Or, si la maladie est prise en charge dès le début, on peut guérir facilement et sans séquelle. Ce n’est donc pas conseillé de faire de l’automédication et si on veut la faire, il faut se rapprocher des personnes autorisées.
Dans les pharmacies, il y a toujours deux sortes de médicaments. Il y a la médication familiale. Dans certains pays, quand vous allez dans les pharmacies, c’est le client même qui se sert. Ces médicaments n’ont pas besoin d’une ordonnance avant d’être servis. Il y a une deuxième catégorie de médicaments dispensés sur présentation d’une ordonnance. C’est vrai que dans notre pays il y a un peu de laxisme mais de plus en plus, il y a des médicaments que vous ne pouvez pas acheter sans ordonnance. Dans tout système quand il n’y a pas de contrôle, il y a toujours du laisser-aller. Chacun doit faire son travail. On ne peut pas laisser les gens faire ce qu’ils veulent dans un secteur aussi sensible. Les inspecteurs doivent passer et il faut que les dispositions prévues dans les textes qui encadrent le secteur soient appliquées.
Pour que le médicament ne se transforme en poison pour le consommateur, quel rapport devrait-il avoir avec ce produit ?
On dit souvent que le médicament est un poison parce que c’est un produit actif qui agit sur les organes et ça n’agit pas sans laisser de séquelle. Mais on étudie le rapport bénéfices et risques. Donc, en cas de maladie, la personne qualifiée à laquelle vous avez recours connaît la toxicité de tel ou tel médicament et sait que si le traitement dure tel nombre de jours, ce n’est pas nocif. Il vous pose des questions pour savoir si vous n’avez pas telle faiblesse ou telle autre maladie ou si vous ne prenez pas tel médicament. Donc, le spécialiste encadre la prise de médicaments même quand on est malade. Il précise à quel moment il faut prendre les médicaments : à jeun, avant, au milieu ou après le repas, tout ceci pour amoindrir les effets secondaires des médicaments. Mais le consommateur qui ne connaît pas tout ça et qui ne va pas voir le spécialiste ne peut pas encadrer cette prise de médicament.
Dans cette mission d’encadrement de la prise de médicament, quel est le rôle du pharmacien vis-à-vis du consommateur qui est en même temps son client ?
Le rôle du pharmacien, c’est celui d’un conseiller. Le pharmacien, dans son cursus professionnel, étudie non seulement les médicaments, mais il étudie aussi les organes, les maladies, tout au moins les maladies courantes et leurs symptômes. Donc, il peut déjà, à travers quelques questions et réponses du consommateur l’orienter et lorsque cela dépasse ses compétences, le référer vers un médecin généraliste ou un spécialiste ou lui conseiller d’aller faire un bilan. Il y a de petits tests que nous-mêmes nous faisons dans les pharmacies. Nous contrôlons la glycémie, la tension artérielle, le poids et avec tout cela on peut valablement l’orienter vers le spécialiste dont il a besoin.
Il se fait que les pharmaciens ne sont pas toujours disponibles ou accessibles pour le consommateur.
Ça, c’est dans l’ancien temps et cette époque est révolue. Avant on n’avait pas beaucoup de pharmaciens mais aujourd’hui et depuis une dizaine d’années, il y a chaque année des pharmaciens qui sortent de l’école de formation et nous avons ceux qui viennent de l’extérieur, donc il y en a assez dans le pays. Pour les pharmacies qui se respectent, il y a toujours des pharmaciens disponibles pour orienter le consommateur. Les gens viennent demander conseil, sans aucune obligation d’acheter quoi que ce soit et repartent. Le pharmacien est un professionnel de haut niveau qui est plus proche de la population. Dans la plupart des pharmacies, vous avez des pharmaciens assistants qui sont au comptoir.