« La loi se conçoit pour l’avenir, pour la postérité, pour les générations à venir. Partout où on fait des restrictions contre un individu ou un peuple dans une loi, ça tourne toujours mal ». Le député Guy Dossou Mitokpè n’est pas allé de main morte contre le nouveau code électoral voté en commission. Invité le vendredi 10 août dernier du press club « Café médias plus» à la Maison des médias à Cotonou, l’élu de la 16e circonscription électorale a fustigé le rapport de la commission des lois de l’Assemblée nationale qui approuve la proposition de loi relative au nouveau code électoral en République du Bénin. Selon ses explications, le nouveau code électoral contient des « incongruités ». Les points de discordance avec ses pairs du Bloc de la majorité parlementaire (Bmp) sont relatifs à la caution de candidature pour l’élection présidentielle qui passe de 15 à 250 millions de FCFA, la caution de candidature pour l’élection législative qui passe de 8.300.000 à 200.000.000 FCFA, à la question des 15% que doivent réunir les partis politiques pour espérer représenter le peuple à l’Assemblée nationale, ainsi qu’au financement des partis politiques, pour ne citer que ces points. Pour le Bmp, affirme Guy Mitokpè, il faut être en possession de la quittance de la caution versée au Trésor pour prétendre déposer les dossiers à la Cena. Ce qui limite le nombre de candidats à ces postes. A en croire l’invité du 197ème numéro de « Café médias plus », cette loi ne vient pas répondre aux besoins du moment, mais démontrer un « esprit de revanche » des membres du Bmp après deux échecs du projet de révision de la Constitution. « Les propositions sont pertinentes mais illustrent le ressentiment des collègues d’en face, après deux échecs sur le projet de révision de la Constitution. On peut prendre des dispositions dans une loi pour recadrer des décisions politiques mais, quand elles visent un groupe de personnes, cela ne donne rien de bon », a dit Guy Mitokpè. Pour lui, une loi votée doit répondre à l’image du pays et à l’ambition de ses populations : « Voter une loi est une question de postérité. Une loi doit être à l’image de la République et aussi bénéfique au peuple. Nous devons avoir des lois qui nous protègent ». Le député pense qu’il n’est pas nécessaire de changer forcément les choses tant qu’elles n’ont pas posé de problèmes par le passé. A ce sujet, il promet continuer sa lutte contre l’adoption en plénière de cette proposition de loi : « Je vais faire des amendements de suppression sur les deux cents et deux cent-cinquante millions pour que cela revienne à la normale. Je ferai enfin une suppression totale des 15%».
Dans ses échanges avec les journalistes, Guy Mitokpè est revenu sur sa position au sujet de la révision de la Constitution. « Ma position peut changer mais si elle changeait parce qu’on m’a convaincu, je viendrai dire qu’elle a changé », a-t-il poursuivi. A l’en croire, les membres du Bmp n’étaient pas convaincus des propositions qu’ils faisaient : « Quand le moment viendra, la révision se fera. Je ne suis pas un antirévisionniste, mais je crois qu’on ne peut pas prendre des alibis et arguments qui ne tiennent pas pour réviser la Constitution. Je suis contre ».
« Recadrer » Talon
Guy Mitokpè, qui contribué à l’élection du président Patrice Talon en 2016, s’est aussi expliqué sur son opposition à ce dernier. Si, pour lui, le chef de l’Etat a les capacités requises pour conduire le pays au développement, il pense, en revanche, que son encensement, par les acteurs politiques et populations, peut lui être nuisible. D’où, avance Mitokpè, la nécessité de « recadrer » Talon : « Le président Patrice Talon a les aptitudes pour réussir et l’idéal, c’est qu’il réussisse. Le développement du Bénin qui regorge de plusieurs potentialités, tant culturelles, touristiques qu’humaines, ne sera pas un miracle. Le combat que je mène est pour recadrer le président de la République. On l’applaudit trop et il peut se marcher sur les pieds », a expliqué Guy Mitokpè. Le député a rejeté les accusations portées contre lui et faisant état de l’existence d’une « télécommande » qui serait à la base de son opposition et sa verve contre les réformes du régime Talon : « Je ne travaille pas pour que quelqu’un échoue. Je veux voir le Bénin rayonner et je continuerai de faire ma bataille avec honnêteté. Nous n’avons pas un problème d’instabilité politique au Bénin, mais plutôt de pauvreté et de manque d’emploi. Ma position n’est pas un problème de personne, mais il faut travailler pour aller de l’avant ». Guy Mitokpè s’est voulu rassurant, déclarant que cette lutte n’aura aucun impact sur sa vie politique, encore moins sur celle du parti politique « Restaurer l’espoir » dont il est membre. Guy Mitokpè a profité de la tribune de « Café médias plus » pour rassurer l’opinion quant à la bonne santé du parti et de son président Candide Azannai : « Le parti politique Restaurer l’Espoir va bien et ne disparaitra pas politiquement ».
« Il ne faut pas conditionner la candidature d’un citoyen à sa capacité financière »
« Il ne faut pas conditionner la candidature d’un citoyen à sa capacité financière. C’est extrêmement dangereux pour notre démocratie» », avertit le politologue Mathias Hounkpè. Invité de « Zone Franche », l’émission dominicale de Canal 3 Bénin ce 12 août, il trouve « pertinentes » les réformes visant à rationaliser le paysage politique, mais estime qu’il faudra faire en sorte que « les candidats soient élus sur la base de leurs capacités morales et techniques à accomplir leur mission et non sur la base de leurs capacités financières ». Le risque des cautions faramineuses, selon Mathias Hounkpè, est qu’«une bonne masse de citoyens ne pourra pas postuler» pour les élections. «Lorsque dans la charte, vous prévoyez des dispositions pour réduire le nombre de partis politiques, vous ne pouvez pas fixer une caution aussi élevée » a-t-il souligné, préférant que l’on se consacre à « la recherche de vraies solutions aux problèmes que nous avons, au lieu d’aggraver nos faiblesses».
Mathias Hounkpè réagissait ainsi au vif débat qui se mène dans le pays depuis l’adoption du nouveau code électoral par la commission des lois à l’Assemblée nationale, en attendant l’ultime examen en plénière. Le texte en débat propose désormais 250 millions FCFA comme caution financière à verser par tout candidat à la présidentielle, et 200 millions FCFA par toute liste de candidature aux élections législatives. Des cautions que Mathias Hounkpè trouve « inutilement trop élevées ». Jusque-là, la caution pour la présidentielle est de 15 millions et de 8, 3 millions pour les élections législatives. En attendant la plénière où les débats s’annoncent houleux, de grands analystes politiques béninois comme Mathias Hounkpè affichent ainsi une position défavorable à cette gigantesque augmentation déjà approuvée par la commission des lois.
Sur le point relatif à la perte du statut d’ancien président pour tout bénéficiaire qui se porte candidat aux élections législatives, Mathias Hounkpè s’étonne : «Il ne faut pas qu’on nous détourne de ce qui est important. Je ne vois pas le lien qu’il y a entre une personnalité quand elle décide de faire la politique, et son statut d’ancien président ». Il en conclut que ce sont de « polémiques inutiles sur des questions qui ne sont pas pertinentes ». Pour lui, ce que l’on entend par statut d’ancien président n’est presque rien, si on se réfère aux avantages dont ils sont bénéficiaires et qui ne sauraient influencer de quelque manière le jeu politique. « Le président de la République en exercice n’utilise-t-il pas les moyens mis à sa disposition pour être réélu quand les conditions le lui permettent ? La démocratie ne fonctionne pas comme ça. Ceci devrait être laissé à la discrétion de chaque ancien président. C’est un débat qui n’a pas lieu d’être. Et il ne faut pas se laisser influencer par un cas conjoncturel » a insisté le politologue Mathias Hounkpè.
Christian TCHANOU et Rastel DAN