Komi Koutché, l’ex-ministre d’État chargé de l’Économie, des finances et des programmes de dénationalisation sous le règne de l’ancien président Boni Yayi, ne sera pas poursuivi devant la Haute cour de justice dans l’affaire relative à une importante somme d’argent qui aurait disparu à son domicile et pour laquelle, lui-même avait porté plainte. Ainsi en ont décidé les députés hier au cours de la plénière consacrée à l’examen de cette affaire qui s’est soldée par un vote défavorable, 78 « contre » et trois « pour ». En effet, suite à l’examen des pièces jointes à la lettre adressée par le collège des avocats de Komi Koutché, la Commission des lois de l’Assemblée nationale a soumis le rapport de ses travaux à l’appréciation de la plénière. L’ancien argentier national serait victime du vol d’une somme de 800 millions de francs CFA à son domicile, selon le Procureur de la république qui, suite à l’enquête ouverte par la police scientifique, a estimé que la détention d’une si importante somme est un fait d’enrichissement illicite et de blanchiment de capitaux prévus et punis par les textes en vigueur. C’est se fondant sur ces dispositions qu’il a sollicité auprès de l’Assemblée nationale, le vote de la décision de poursuite contre Komi Koutché. Ceci, conformément aux dispositions des articles 136 et 137 de la Constitution du 11 décembre 1990, des articles 15.1 et 15.2 de la loi organique de la Haute Cour de justice et des dispositions du Règlement intérieur.
Au cours du débat qui a suivi la lecture du rapport, le député Guy Dossou Mitokpè s’est une fois encore, insurgé contre ce qu’il a appelé la lutte sélective dans laquelle le régime actuel excelle. Tout en approuvant la détermination du pouvoir actuel à lutter efficacement contre la corruption, l’élu du parti Restaurer l’espoir se « refuse de cautionner la traque orientée contre les députés de l’opposition politique ». Car, « la vengeance ne saurait remplacer la lutte contre la corruption ». Et comme pour indexer ses collègues du camp de la mouvance présidentielle qui semblent être imperturbables, le député Mitokpè a énuméré un certain nombre de dossiers sur lesquels la lumière n’a pas été faite. Il s’agit de l’éléphant blanc érigé à l’entrée de la ville de Porto-Novo, la nébuleuse machine agricole, l’affaire Maria Gleta, le Fonds d’aide à la culture et le financement des partenaires néerlandais destiné à approvisionner les populations en eau potable. Les députés qui en sont auteurs ne s’inquiètent pas, dira-t-il, parce qu’hébergés sous les ailes du Bmp. « Les dossiers que nous traitons aujourd’hui ne sont pas des dossiers dont on reproche les faits aux mis en cause ou aux présumés mis en cause depuis 2016. C’était sous le régime précédent ». C’est en ces termes que son collègue Jean-Michel Abimbola a semblé lui répliquer avant de rassurer la plénière de l’impartialité de la lutte menée contre la corruption sous le régime du président Patrice Talon. « Je voudrais dire que les dossiers, s’il y en avait ailleurs, viendront. Je voudrais que la justice, surtout le Procureur général, continue sans désemparer à vérifier si tel est de l’opposition ou de la majorité parlementaire » a-t-il rassuré. Il a par ailleurs, déploré certaines attitudes de ses collègues. « Si par notre propre bouche, nous disons que nous sommes systématiquement tous pourris et tous corrompus, nous sommes en train de saper les bases de notre démocratie, nous sommes en train de saper les fondements de la république. »
« Le document est rempli de contre-vérités »
L’honorable Nourénou Atchadé a souligné que le procureur a énuméré des chiffres sans en avoir les preuves dans un dossier déjà vidé dans un tribunal du Bénin. Il dénonce de ce fait, un acharnement contre une personne et a invité les uns et les autres à cesser avec les règlements de compte qui ne font pas avancer un pays. « Le document émanant du cabinet du procureur est rempli de contre-vérités, on parle du vol d’une somme de plus de 800 millions alors que les voleurs ont reconnu à la brigade qu’ils ont emporté 95 millions. Il a gardé les sous par devers lui parce qu’ils étaient destinés à faire les campagnes électorales de 2016 dans les communes de Ouèssè, Dassa, Savalou, Glazoué et Bantè », a renchéri l’honorable Léon Dègny, suppléant de l’ancien député Komi Koutché. «C’est pour la première fois qu’on nous soumet un cas de perte d’argent parce qu’on est ministre. Je me demande si c’est parce qu’on est ministre qu’on n’a plus de vie privée. On fabrique des motifs et on cherche à trouver les chefs d’accusation », a martelé Barthélémy Kassa. La procédure est, à son avis, biaisée et l’ancien argentier national ne doit comparaitre devant la Haute cour de justice pour une perte d’argent qui n’est pas liée à sa fonction de ministre de la République. Il a par ailleurs déploré l’attitude des avocats qui, à son avis, se sont mêlés au jeu en demandant à l’Assemblée nationale de se transformer en juge pour analyser les pièces alors qu’ils sont supposés être éclairés pour éclairer les autres. « Je plaide pour le rejet de tous ces dossiers, vous connaissez ma sensibilité, vous connaissez le combat qu’on a fait contre le régime précédent pour la paix dans mon pays, je veux que la tension s’estompe », a plaidé le premier vice-président, Éric Louis Houndété.
Yaya, Djibril, Djènontin et Codjo livrés à la justice
C’est par 60 voix pour et 21 contre que les députés ont autorisé la poursuite devant la justice de l’ancien ministre du régime de Boni Yayi, Aboubacar Yaya, conformément aux dispositions de l’article 137 de la Constitution qui exige les 2/3 composant l’Assemblée nationale. Demande sollicitée par le Procureur général près la cour d’appel de Cotonou pour sa poursuite devant la Haute cour de justice. L’ancien ministre du Travail et de la fonction publique est accusé de fraudes dans les normes requises en matière d’organisation de concours national et de corruption. Il est lui reproché spécifiquement, des « faits d’infraction de fraudes dans les concours publics, abus de pouvoir, délit d’initié », prévus et punis par la loi portant lutte contre la corruption.
Le cas de Fatoumata Amadou Djibril et Valentin Agossou Djènontin, respectivement ex-ministre de l’Agriculture, de l’élevage et de la pêche et ex-ministre de Justice, a été examiné suivant la requête du Procureur général près la cour d’appel de Cotonou. Suite à une enquête ouverte sur la gestion de la Sonapra et autres structures intervenant dans la campagne cotonnière, les fournisseurs retenus dans le cadre de l’achat des intrants ont été substitués par des adjudicataires non agrées. Il leur est reproché le « détournement de fonds, d’abus de pouvoir, de délit d’initié, etc.». Soumis au vote, la plénière a autorisé leur poursuite par 57 voix pour, 24 contre et 0 abstention.
Simplice Codjo, le dernier cas examiné
Pour le cas de l’ex-ministre de l’Intérieur et de la sécurité publique, Simplice Dossou Codjo, la demande a été approuvée par 59 députés et 22 contre. En effet, le rapport de la Commission stipule que dans le cadre de la sécurisation des élections de 2015, il a été affecté suivant le cadrage du ministère de l’intérieur et de la sécurité publique, des fonds spéciaux à la direction départementale de la police nationale d’alors. Sur les 240 millions affectés à ladite direction pour ce qui concerne les élections législatives d’avril 2015, le ministre de l’Intérieur d’alors, avait amputé 110 millions de francs Cfa puis 100 millions sur les 450 millions affectés dans le cadre des élections communales et municipales de 2015. Selon le procureur, il y a eu également l’utilisation des fonds dits de patrouille mixte à des fins non encore élucidées. L’actuel député de la 20ème circonscription électorale aurait donc distrait lesdits fonds et se trouve aujourd’hui être accusé entre autres, « d’abus de fonction, de complicité de détournement de denier public, d’enrichissement illicite, de corruption, de blanchiment de capitaux et de blanchiment de produits de crimes ». Des faits prévus et punis par la loi portant lutte contre la corruption et autres infractions et la loi portant Code pénal en ses articles 45, 46, 53, 104 à 106 et 56.
La clairvoyance des députés du Bmp saluée
La clairvoyance des députés du Bloc de la majorité parlementaire (Bmp) est à saluer, à la suite des débats qui se sont déroulés hier au parlement dans cette affaire, et qui ont abouti à un rejet écrasant contre la poursuite de l’ancien ministre des Finances de Yayi, Komi Koutché. Ils ont fait la part des choses en ne mélangeant pas les sujets, en reconnaissant que ce dossier ne relève pas de la Haute cour de justice, mais des tribunaux de l’ordre judiciaire, donc de la justice ordinaire. Tout ceci pour démontrer clairement à l’opinion qu’il n’y a pas de « chasse aux sorcières », ni d’acharnement et que les députés du Bmp votent en toute conscience. La majorité confortable dont ils disposent aurait pu, s’ils en voulaient à un homme plutôt que de s’en tenir aux faits à eux soumis, les contraindre à voter les yeux fermés en considérant que l’intéressé aurait l’occasion de démontrer devant la Haute cour de justice qu’elle n’est pas compétente pour connaître de ce dossier. Mais ils ont voulu suivre la raison, prouvant par ailleurs à l’opinion que le président Talon est un homme de justice.
Germin DJIMIDO