Dieudonné Lokossou, ancien secrétaire général du Syndicat des travailleurs de la Sonacop (Syntra-Sonacop) et ancien secrétaire général de la Confédération des syndicats autonomes du Bénin (Csa-Bénin) se prononce ici sur l’encadrement récent du droit de grève adopté par le Parlement. Estimant que c’est une mauvaise innovation, il conseille d’éviter de tricher avec le peuple.
La Nation : L’actualité syndicale est marquée par la prise d’une loi qui encadre le droit de grève au Bénin. Si cette loi est promulguée en l’état, les travailleurs n’auront droit qu’à dix jours de grève par an. Quel commentaire faites-vous à propos de cette innovation ?
Dieudonné Lokossou : Depuis que j’ai eu le privilège d’avoir dirigé la Confédération des syndicats autonomes du Bénin [ndlr : Csa-Bénin], nous n’avions rien obtenu comme avantages matériels ou financiers pour les travailleurs sans une motion de grève. Aucun gouvernement spontanément ne se lève à travers peut-être la fête du 1er mai ou du 1er août pour dire « compte tenu de la cherté de la vie nous relevons le niveau de salaire des travailleurs de la fonction publique et des secteurs parapublic et privé ».
Quand nous prenons le Smig [ndlr : Salaire minimum interprofessionnel garanti] qui est à 40 000 francs Cfa aujourd’hui, c’est largement dépassé. Quelqu’un qui est à ce salaire vit dans la misère.
Maintenant, les grèves n’ont pas été faites sans que le gouvernement ne soit averti. Chacun doit jouer sa partition ! Je crois que sur ce terrain-là, la grève est professionnelle. Il n’y a pas de grève politique. Mais, on trouve toujours une main invisible derrière, comme si les gens avaient un don d’ubiquité.
On ne peut pas accuser les travailleurs de ce qu’ils font grève. La grève a une cause, et ce n’est pas seulement des causes financières. Il y a des grèves qui n’ont pas des incidences financières.
Donc, moi en tant qu’ancien secrétaire général, même si certains pensent que nous sommes dépassés et qu’il faut changer de paradigme, je soutiens que les députés sont allés trop loin pour faire plaisir au gouvernement. Et ensuite la manière dont ils ont procédé. Ils n’ont pas eu le courage d’appeler les acteurs sociaux, les syndicalistes pour échanger avec eux sur le sujet. Donc, c’est une décision unilatérale. Je pense qu’ils n’ont pas trouvé la formule. On aurait dû laisser et négocier et discuter.
Dans ces conditions, quelles sont les perspectives qui s’offrent aujourd’hui au mouvement syndical béninois ?
Ce qui est sûr, les lois sociales ne sont pas des lois statiques. Elles sont évolutives. Aussi, une loi sociale doit tenir compte des acquis. Donc, je suis confiant. Il faut toujours espérer. Une loi qui est votée aujourd’hui, peut être révisée dans 10 ou 15 ans. Compte tenu de la situation, les gens peuvent revenir là-dessus. La preuve, la Cour constitutionnelle a pris des décisions, et lorsqu’une nouvelle cour a été installée, il y a eu revirement jurisprudentiel.
Quel est votre regard sur l’usage de la grève ces dernières années au Bénin?
Quand on fait une comptabilité macabre, on peut dire qu’il y a une exagération des grèves. Mais, tous les régimes ont connu des grèves. Il y a même des grèves qui ont fait chuter le président en 1989 au Bénin! La grève c’est l’arme fatale, et il faut l’utiliser avec discernement. C’est le dernier recours.
Mais, lorsque vous déposez une motion, il y a des étapes: avertissement, sit-in, et on commence l’exécution des grèves graduellement. On ne se lève pas pour dire qu’on a décrété une grève illimitée. La gestion d’une grève n’est pas facile pour le secrétaire général d’un syndicat. Ce n’est pas avec plaisir que les gens font des mouvements. Je pense que la responsabilité du gouvernement est beaucoup plus grande que celle des travailleurs.
Avez-vous l’impression qu’au Bénin, les différentes étapes que vous avez citées plus tôt soient toujours respectées avant le déclenchement d’une grève ?
D’abord, il existe des structures dans le pays qui prônent le dialogue social. Il y a le Conseil national du travail, la grande Commission mixte paritaire qui réunit le gouvernement et les centrales, et actuellement le Conseil du dialogue social, dont j’ai eu l’honneur de signer les clauses avant de passer la main. Mais, est-ce que le gouvernement respecte lui-même ses engagements ? Non ! C’est une question de crédibilité et de confiance. Depuis bientôt trois ans, les travailleurs n’ont pas vu leurs conditions s’améliorer de façon visible. Si les enseignants n’avaient pas fait ce mouvement-là, auraient-ils eu ce qu’on leur a octroyé avant la rentrée ? Il faut faire avec.
Les gens respectent les textes qui régissent les mouvements de grève. Aucune grève n’est improvisée. C’est la manière de négocier qui compte. Si le gouvernement négocie mal une crise, cela ne peut que perdurer. Je ne dis pas qu’il faille tout donner. On ne peut même pas tout donner. L’État a des ressources limitées. Si les peines ne sont pas équitablement partagées, il y a problème. S’il y a une minorité qui est bien traitée et la majorité est laissée pour compte, il ne peut pas avoir la paix sociale.
Que pensez-vous de la division qui a régné entre les confédérations à l’origine du déclin du mouvement de grève entre avril et mai dernier ?
On peut être ensemble et ne pas dire les mêmes choses. Cela dépend de la base sur laquelle les confédérations sont parties. Il faut aussi tenir compte de l’autonomie organisationnelle de chaque confédération. J’ai, en tant qu’ancien secrétaire général, regretté cette division. Mais, le mouvement syndical n’est pas linéaire. Il peut y avoir par moments des contradictions internes et avec la bonne volonté des uns et des autres, on peut revenir à la normale.
Cette situation n’a pas arrangé les confédérations, encore moins les travailleurs, parce que c’est ensemble qu’on est fort.
Moi, je souhaite pour mon pays la paix, mais tout le monde doit y contribuer.