L’ancien président de la République, Yayi Boni ne tarit pas de réflexions sur l’avenir de l’Afrique. Le financement des infrastructures sur le continent l’a préoccupé dans cette tribune que nous publions dans notre parution du jour. Dans sa réflexion, l’ancien de l’Etat du Bénin et ancien président de l’Union africaine expose lesmodes de financement qui s’offrent aux gouvernements pour le développement des infrastructures, facteur essentiel du développement durable. Le partenariat public-privé a occupé une place importante dans sa Tribune intitulé « Le Financement des infrastructures en Afrique : l’Etat des lieux ».
La question des infrastructures représente un défi majeur pour le développement de l’Afrique, en particulier pour l’Afrique au sud du Sahara. Certes, des progrès considérables ont été réalisés au cours de ces dernières décennies. Des milliers de routes ont été bitumées ou asphaltée, des ports ont été construits. Des aéroports ont été aménagés. L’offre de services sociaux s’est élargie notamment dans les villes à la faveur d’une urbanisation galopante. Mais l’Afrique est loin d’avoir atteint la masse critique d’infrastructures pour opérer un décollage économique de nature à impulser les transformations structurelles économiques et sociales pour garantir l’émergence de ce continent comme une plateforme pleinement intégrée contribuant de façon significative à la création de la valeur ajoutée à l’échelle de la planète.
Avec 38% de la population africaine ayant accès à l’électricité́, moins de 10% de taux de pénétration de l’Internet, avec seulement un quart du réseau routier de l’Afrique bitumé, des installations portuaires peu développées, l’Afrique a d’importants défis à relever, aussi bien en terme d’accès que de qualité́.
Les couts de transport sont estimés à entre 30 et 40% des prix des produits exportés dans le cadre des échanges intra-Afrique. Cela a un impact négatif sur le flux des investissements directs étrangers (IDE) et induit une productivité́ industrielle limitée, une participation faible dans le commerce mondial tout cela constituant un frein pour la compétitivité́ des produits africains.
L’Afrique a pris des initiatives louables dans le cadre du processus d’intégration régionale qui connait un nouvel essor depuis l’avènement de l’Union Africaine, l’adoption du NEPAD, le lancement du Programme de Développement des Infrastructures en Afrique (PIDA), l’initiative de la Banque Africaine de Développement pour la création de Africa 50, une plate-forme d’investissement en infrastructure visant à̀ réduire sensiblement l’écart de financement des infrastructures en Afrique.
L’on ne peut que se réjouir des progrès réalisés par la Banque Africaine de Développement dans la mise en œuvre de Africa 50 et en particulier la mise en place d’une ligne de financement initiale d’un montant de 500 millions de dollars et une contribution maximale de 100 millions de dollars pour le développement du projet d’entreprise de Africa 50.
L’Afrique dépense déjà annuellement pour financer ses projets d’infrastructures, 45 milliards de dollars dont les deux tiers sont couverts par la mobilisation des ressources internes et le tiers seulement par des ressources extérieures.
L’Afrique devra aussi tout mettre en œuvre pour mobiliser davantage de ressources sur le marché financier mondial pour dynamiser de manière significative le secteur des infrastructures comme partie intégrante de son industrialisation, en jouant sur ses atouts.
A cet égard, les stratégies dans le domaine de l’urbanisation, des infrastructures et de l’industrialisation doivent être mises en synergie pour une accélération de la croissance économique soutenue et auto -entretenue qui puisse impulser un vrai développement durable.
Le plus grand défi à relever dans le domaine des infrastructures réside dans la mobilisation des ressources pour leur financement. La Troisième Conférence Internationale sur le financement du développement a mis en évidence les besoins actuels à l’échelle de la planète. Ils se chiffrent entre 1 000 milliards à 1 500 milliards de dollars par an.
Pour l’Afrique, le développement des infrastructures constitue un facteur essentiel du développement durable. En adoptant l’Agenda 2063, les dirigeants africains ont tenu à souligner le rôle vital du développement des infrastructures dans l’accomplissement de la vision de l’Union Africaine, à savoir l’unification, la pacification et la prospérité du Continent. L’objectif du plan décennal de mise en œuvre de l’Agenda 2063 est de parvenir à construire un excellent réseau d’infrastructures qui quadrillerait l’Afrique de part en part.
Au cours des dix prochaines années, les pays africains vont s’engager dans la construction du chaînon manquant de l’autoroute transafricaine, la libéralisation du ciel africain et, d’ici 2020, à une augmentation de 50% de la production et de la distribution d’électricité, à l’opérationnalisation de tous les pôles d’énergie et, à une augmentation de 50% de l’accès à internet à haut débit.
L’Agenda de Dakar adopté en juin 2014 lors du Sommet de Dakar sur le financement des infrastructures en Afrique, encourage le partenariat entre les secteurs publics et privés, considéré comme un levier pour la mise en œuvre de seize projets régionaux d’infrastructure.
Les pays africains ont intensifié leurs efforts pour mobiliser les ressources internes pour le développement de leurs infrastructures. Malgré ces efforts, le développement des infrastructures en Afrique souffre encore d’un manque cruel de financements. Selon les estimations de la Banque mondiale, il faudrait environ 50 milliards de dollars par an pour combler ce manque. De mauvaises infrastructures affaiblissent la croissance. Selon certaines estimations, le faible accès à l’énergie couterait 3% du Produit intérieur brut de l’Afrique.
Tant que les pays africains ne parviendront pas à résoudre la question du financement de leurs infrastructures, leurs chances d’atteindre les objectifs inscrits dans l’Agenda 2063 seront très minces. Par contre, investir dans les infrastructures se traduira plus que probablement par une productivité accrue, des gains de compétitivité, une économie plus diversifiée et, enfin, par la création d’emplois.
Les investisseurs ne semblent pas profiter pleinement des possibilités offertes par le continent, sans doute par manque d’information ou faute d’un environnement économique propice ou encore à cause d’une perception générale négative vis-à-vis de l’Afrique, démentie par ailleurs par des fondamentaux macro-économiques solides. Pour les dix prochaines années, la Banque mondiale estime à plus ou moins 90 milliards de dollars par an les besoins en investissements pour l’infrastructure.
Cette réalité économique est une invitation à l’action concertée des pays africains pour chercher tous azimuts des sources de financement.
Face à l’ampleur du défi et aux besoins énormes en investissements, les pays africains devront explorer la possibilité d’utiliser les fonds de pension pour le financement et le développement de leurs infrastructures.
À ce jour, ces ressources internes sont largement sous-exploitées. Et pourtant, les fonds de pension en Afrique ont connu une croissance remarquable ces dix dernières années. En 2013, le total des avoirs des fonds de pension africains était estimé à 350 milliards de dollars. Pour 2020, les estimations parlent de 600 milliards et de 7 billions de dollars en 2050.
Ces chiffres remarquables s’expliquent, en grande partie, par la croissance de la population, par l’urbanisation et son corollaire, la montée en puissance d’une classe moyenne. Néanmoins, le nombre de cotisants reste faible, de même que le montant moyen de leurs cotisations. En Afrique, seulement 7,5% de la population cotise à un fonds de pension, soit nettement moins que la moyenne internationale.
Les projets de développement à long terme s’avèrent les plus ardus à financer mais, par essence, les fonds de pension recherchent des investissements fiables à long terme pour couvrir leurs obligations contractuelles.
Malgré cet immense potentiel, le flux des capitaux des fonds de pension n’est pas orienté vers le financement des projets d’infrastructure, à l’exception notoire de l’Afrique du Sud où la Société d’investissements publics a investi une large partie des ressources des fonds de pension dans le développement de ses infrastructures. La volonté des fonds de pension africains à investir dans des secteurs tels que l’infrastructure dépend de leur « compréhension des risques encourus, de l’adéquation entre leur politique et stratégie d’investissement
Pour aider à combler les déficits d’investissement dans le domaine du financement des infrastructures dans les pays en développement, le Programme d’Action d’Addis-Abeba préconise le recours aux ressources gisant dans des instruments internationaux de collecte des épargnes. “Nous encourageons les nouveaux investisseurs institutionnels à long terme, tels que les caisses de pension et les fonds souverains, qui gèrent de vastes capitaux, à allouer un pourcentage plus élevé de ces capitaux aux ouvrages d’équipement, en particulier dans les pays en développement. À ce sujet, nous encourageons les investisseurs à prendre des mesures pour stimuler l’investissement à long terme, notamment par un examen des structures de rémunération et des critères de performance. “
Les Banques multilatérales de développement ont un rôle crucial à jouer pour accompagner les efforts déployés par les Gouvernements dans le domaine de la mobilisation des ressources. Le Programme d’Action d’Addis-Abeba s’est prononcé de manière extensive sur la contribution attendue d’elles. Au paragraphe 33 du Programme d’Action d’Addis-Abeba, il est indiqué ce qui suit:
“33. Si elles fonctionnent bien, les banques nationales et régionales de développement peuvent contribuer au financement du développement durable, en particulier dans les segments du marché du crédit où les banques commerciales ne sont pas vraiment présentes et où il existe de vastes lacunes dans le financement, mais il faudrait pour cela des modalités de prêt et des garanties sociales et environnementales appropriées. Cela concerne les domaines tels que les équipements collectifs durables, l’énergie, l’agriculture, l’industrialisation, la science, la technologie et l’innovation, ainsi que la finance équitable et le financement des micros entreprises, petites et moyennes entreprises. Nous constatons que ces banques nationales et régionales de développement peuvent aussi jouer un rôle anticyclique précieux, notamment durant les crises financières, quand les institutions privées deviennent frileuses. Nous engageons les banques nationales et régionales de développement à accroître leur contribution dans ces secteurs et nous engageons en outre les acteurs internationaux publics et privés compétents à soutenir ces banques dans les pays en développement.”
Une des formules efficaces retenues dans le Programme d’Action d’Addis-Abeba est le Partenariat Public -Privé.
Dans ses paragraphes 48 et 49 ce qui suit sur le recours à ce mode de financement:
“48. Nous constatons que l’investissement public et l’investissement privé ont l’un et l’autre un rôle important à jouer dans le financement des infrastructures, notamment par le canal des banques de développement, des institutions de financement du développement et des instruments et mécanismes tels que les partenariats public-privé, le financement mixte, qui allie le financement public concessionnel et le financement privé aux conditions commerciales et des connaissances spécialisées provenant du secteur public et du secteur privé, les véhicules financiers à vocation spéciale, le financement des projets sans recours, les instruments de réduction des risques et les fonds communs de placement. Les instruments mixtes tels que les partenariats public-privé servent à réduire les risques afférents à des investissements déterminés et à stimuler un financement supplémentaire par les soins du secteur privé dans l’ensemble des principaux secteurs de développement répondant aux politiques et aux priorités régionales, nationales et territoriales en matière de développement durable. Pour exploiter le potentiel des instruments mixtes de financement pour le développement durable, il faut prêter attention à la structure la plus indiquée et à l’utilisation des instruments mixtes de financement. Les projets utilisant ce type de financement et notamment les partenariats public-privé doivent partager les risques et prévoir une rémunération équitable, inclure des mécanismes bien précis de responsabilité et obéir aux normes sociales et environnementales du pays. Nous faciliterons donc la conclusion de partenariats public-privé, notamment en vue de la planification, la négociation des contrats de la gestion, de la comptabilité de la budgétisation des passifs éventuels. Nous nous engageons aussi à tenir des discussions transparentes, ouvertes et sans exclusive au moment d’élaborer et d’adopter des directives et une documentation pour l’utilisation des partenariats public-privé, et à nous appuyer sur une base de connaissances et à échanger, dans les instances régionales et mondiales, les enseignements acquis.
49. Nous encouragerons l’investissement public et privé dans l’équipement énergétique et l’adoption d’écotechnologies énergétiques, notamment pour la capture et la séquestration du carbone. Nous augmenterons substantiellement la part des énergies renouvelables et doublerons le rythme mondial d’amélioration de l’efficacité et de la conservation énergétiques, dans le but d’assurer un accès universel à des services énergétiques d’un prix abordable, fiables, modernes et durables pour tous en 2030 au plus tard. Nous intensifions la coopération internationale pour fournir une aide adéquate et faciliter l’accès à la recherche sur la technologie des énergies propres, nous développerons les infrastructures et améliorerons le niveau technologique pour fournir des services énergétiques modernes et viables à terme dans tous les pays en développement, en particulier les pays les moins avancés et les petits États insulaires en développement. Nous accueillons avec satisfaction l’Initiative du Secrétaire général pour l’énergie durable pour tous, qui est un cadre utile, et notamment ses pôles régionaux, et au besoin la formulation de plans d’action et de prospectus d’investissement au niveau national. Nous appelons à l’action pour donner suite à ces recommandations, qui permettraient sans doute de lever plus de 100 milliards de dollars d’investissements annuels en 2020, moyennant des initiatives venant du marché, des partenariats et de la mobilisation des banques de développement.”
En plus de cela, il y a lieu de se féliciter de l’initiative prise par l’Administration OBAMA dans le cadre du Programme Power Africa.
Les banques préfèrent travailler dans des conditions de stabilité politique et des certitudes. La stabilité politique est un facteur essentiel, en matière sécurisation des crédits et de mobilisation des ressources internes, pour la réalisation des projets d’infrastructure. A cet égard, la mobilisation des ressources internes devra s’orienter moins vers l’augmentation de la pression fiscale sur les ménages et davantage vers l’activation des ressources naturelles dormantes pour élargir considérablement leur assiette fiscale. La question de l’évasion fiscale des entreprises concessionnaires est une question cruciale dans ce contexte.
D’un autre point de vue, la facilitation des négociations entre les multinationales et les gouvernements, en particulier ceux des pays les moins avancés peut contribuer à conclure entre eux des contrats de long terme équilibrés, offrant à toutes les parties les conditions optimales de déploiement de leurs potentiels de performance. Il conviendrait que le code de conduite adopté par le G7 en 2015, dans le cadre de l’initiative G7 CONNEX, soit observé par les parties aux négociations, à charge pour les pays de mettre en place des dispositifs d’exécution des contrats et de suivi appropriés, équilibrer le jeu entre les Autorités contractantes et les Multinationales et les bailleurs de fonds privés.
Le partenariat public – privé est un mode de financement qui n’a pas que des avantages. Il persiste dans leur mise en œuvre des problèmes sérieux, surtout en matière fiscale, dans le domaine du règlement des contentieux au niveau international, ce, à toutes les étapes du cycle de vie des contrats et des projets. Il y a lieu de s’employer à réduire les écarts considérables de coûts entre les projets réalisés sous financement public et ceux réalisés en PPP et qui peuvent atteindre une différence de plus de 40%, avec des risques énormes à la charge de l’Etat- Partie.
Actuellement, même si la cause d’interruption ou de rupture des contrats est imputable au partenaire privé, les coûts qui en résultent sont à la charge de l’Etat. Les partenaires privés ont la possibilité de trainer les Etats devant des juridictions internationales sans leur accord. Ils peuvent se voir imposer des jugements prononcés à leur encontre sans leur participation adéquate aux procédures. Certains voient des fonds vautours se mettre à leur trousse et opérant la saisie de leurs avoirs internationaux.
Ces sujets de préoccupation doivent être portés au Forum Mondial des Infrastructures institué par la 3e Conférence Internationale sur le Financement du développement dont la prochaine session se tiendra, en octobre 2018 et sera co-organisée avec la Banque Asiatique de Développement. La première session a été tenue en avril 2016 à Washington, DC. La deuxième Session a été organisée en liaison avec la banque Européenne d’Investissement, en avril 2017 également à Washington, DC.
Les gouvernements ont aussi maintenant la possibilité de bénéficier de l’appui de la Facilité mondiale des infrastructures qui aide les pays à formuler des dossiers bancables pour l’accès aux sources de financement.
Boni Yayi
Ancien chef de l’Etat,
Ancien président de l’Union africaine