Les additifs sont présents dans de nombreux aliments industriels pour relever leur goût, leur conservation ou leur aspect visuel. Malheureusement, certains d’entre eux présentent des dangers réels pour les consommateurs. Jeannine Agbolèmey Lawani, spécialiste en nutrition-diététique attire ici l’attention des consommateurs sur ces dangers.
La Nation : Qu’entend-on par produits alimentaires industriels?
Jeannine Agbolèmey : Un aliment industriel est un produit dont la distribution et la commercialisation impliquent un conditionnement et une transformation spécifique par l’industrie agroalimentaire. L’objectif étant d’améliorer, de manière artificielle, le goût, la texture, l’aspect visuel, l’odeur. Bref, c’est tout aliment qu’on transforme et qu’on met sous forme d’emballage ou de conserve dans les industries. On peut citer en exemples : les pains et brioches industriels, les barres chocolatées, les biscuits apéritifs, les sodas et boissons sucrées aromatisées, les soupes instantanées, les plats tout prêts, les sardines. On a aussi des viandes, les poulets congelés importés. Il y a aussi des fruits qui sont transformés pour être stockés. On peut également prendre le cas des tomates et des pois dans des boîtes, des cornichons, des pompons et d’autres fruits secs qu’on transforme dans les industries. Les plats industriels sont de plus en plus présents dans l’alimentation au Bénin et dans le monde. La moitié des aliments que nous consommons chez nous provient de l’industrie; le tiers est fait à la maison et le reste de façon artisanale.
Quels sont leurs risques pour les consommateurs ?
La consommation accrue d’aliments très caloriques riches en lipides est à la base de la progression de l’obésité, de graves problèmes de santé publique.
Ces aliments sont différents de ceux désignés comme les aliments locaux ou simples ne subissant pas de transformation. Ceux-là mêmes qui sont consommés à l’état naturel comme les épis de maïs, le manioc, les oranges, les arachides. Les produits locaux ne subissent pas du tout de transformation. Ils quittent le champ et viennent à la maison pour une consommation directe. Ces aliments sont sans danger et font du bien à l’organisme. Contrairement aux aliments locaux, les produits alimentaires industriels ont de nombreux risques.
Colorants, conservateurs, édulcorants, émulsifiants, exhausteurs, bref, les additifs sont présents dans de nombreux aliments industriels pour améliorer leur goût, leur conservation ou leur aspect visuel. Mais certains d’entre eux présentent un risque réel pour les consommateurs.
La publicité dans les médias fait croire à des bienfaits de ces aliments industriels. Quel est votre avis sur une telle campagne publicitaire ?
Je n’épouse pas cet avis et je ne suis pas extrémiste non plus. Etant donné qu’il n’y a pas un mal à avoir toujours disponibles des produits industriels sur les marchés. Nous ne pouvons pas empêcher ces commerciaux de faire de la publicité autour de leurs produits en invitant les populations à en consommer. Cela ne doit pas être non plus une raison pour ne pas éduquer les populations à la consommation des produits locaux. Il n’est pas un secret que la consommation des produits industriels expose à des dangers. Certains scientifiques, par exemple, affirment que le glutamate est un additif inoffensif, même consommé en grande quantité, tandis que d’autres y voient des risques graves, surtout sur le développement et la bonne santé du cerveau, notamment chez les enfants où le glutamate compte parmi les médiateurs chimiques les plus importants. En concentration excessive, le glutamate serait toxique pour les neurones.
En réalité, ces produits à l’intérieur des boîtes de conserve ne constituent pas des dangers. Mais c’est plutôt le processus de leur transformation et leur consommation. Car le processus de transformation nécessite certaines pratiques qui nuisent déjà à ces produits. N’oublions pas que dans le processus de transformation, on utilise des additifs qui sont parfois nocifs à la santé. Au-delà des additifs dont la nature détermine la qualité du produit à consommer, la conservation aussi peut nuire. Pour m’expliquer, je prends l’exemple de la sardine, on ajoute des nitrates pour sa conservation en empêchant la boîte de se bomber et pour que les protéines qu’elle contient à l’intérieur ne se gâtent. En ajoutant ces nitrates, le produit peut faire une longue durée de conservation. D’où la nécessité d’une veille de sécurité sanitaire des aliments aussi bien pour tout ce qui est produit à l’intérieur qu’à l’extérieur du pays. Je parle aussi des produits à l’intérieur car ils constituent aussi des dangers en raison des engrais qu’on utilise pour la croissance rapide des plantes.
La consommation des conserves doit être limitée. L’on ne doit pas les prendre comme une consommation de premier choix. L’on doit les prendre comme des produits dont nous avons besoin rarement. Faire la promotion des produits bio locaux doit être une nécessité. L’Etat doit penser à sauvegarder la santé de sa population en encourageant la production de ces denrées et œuvrer à leur accès à moindre coût aux plus pauvres. Ces produits doivent pouvoir assurer la sécurité sanitaire de la population. Une population en forme, c’est le développement qui est assuré.
Lorsque les aliments transformés constituent la base de nos régimes alimentaires, nous créons un terrain favorable au développement des maladies chroniques. Par exemple, la science montre clairement que l’adhésion massive à des régimes à base d’aliments transformés observée dans certaines grandes villes augmente les risques d’obésité, de diabète de type 2, de maladies cardiovasculaires et de cancers. Ce qui augmente le taux de mortalité. Les additifs et les modes de conservation constituent les sources de dangers pour les aliments industriels.
Vous parliez tantôt de veille de la sécurité alimentaire. De quoi retourne-t-elle ?
Le Bénin dispose d’une Agence nationale de sécurité sanitaire des aliments (Anssa) qui est sous la direction du ministère de l’Agriculture, de l’Elevage et de la Pêche. Je saisis l’occasion pour rappeler que la veille de la sécurité alimentaire doit être normalement une fédération de forces entre le ministère de la Santé et le ministère de l’Agriculture, de l’Elevage et de la Pêche. Quand on parle de sécurité sanitaire des aliments, ce n’est pas seulement du côté des agronomes, ni de celui des vétérinaires mais cela concerne également les nutritionnistes en termes de qualité et de quantité de ce qui doit être vérifié au niveau des produits présents sur le territoire national. Que ce soit ce qui doit rentrer comme ce qui doit sortir. Par exemple, les yaourts produits au Bénin ont encore beaucoup d’insuffisances. L’étiquetage ne respecte pas encore les normes. En principe, un yaourt dans le commerce doit préciser l’apport en glucides, en lipides et sa densité protéique afin d’orienter les consommateurs selon le cas. Qu’il s’agisse d’un enfant, d’une femme enceinte, d’une personne diabétique. Faute d’une réglementation en la matière, le yaourt comme d’autres produits aujourd’hui sont fabriqués et mis sur le marché sans crainte. Normalement, les étiquetages doivent être surveillés. Et lorsqu’on constate qu’un étiquetage n’est pas respecté, automatiquement ces produits doivent être saisis et détruits. Il s’agit de voir si les produits qui sont fabriqués à l’intérieur comme à l’extérieur ont un bon étiquetage, c’est-à-dire, qui respecte les règles fixées par le pays. Il ne revient pas à l’extérieur de nous fixer les règles. Mais il revient à chaque pays de définir ses règles. Il existe, d’ailleurs, le Code alimentaire à l’international. Ce qui n’empêche aucunement pas chaque pays de s’inspirer des lois de ce code alimentaire pour rédiger ses propres lois. Ce sont l’ensemble de ces lois qui doit être respecté tant pour les produits importés que ceux exportés. Nous avons aussi les lois intérieures que la production intérieure doit respecter.
En tant que nutritionniste, quel serait l’impact de la mauvaise conservation de ces produits sur la santé ?
L’impact négatif de ces produits alimentaires est lié à la nutrition. C’est entre autres le diabète, l’hypertension artérielle, et bien d’autres pathologies comme le cancer, les problèmes digestifs, les problèmes neurologiques, des céphalées. Mais nous lions toujours cela à de vulgaires problèmes. Et c’est l’intestin, la flore intestinale qui est déséquilibrée.
Comment peut-on prévenir les maladies liées aux aliments industriels ?
Pour prévenir les maladies liées aux produits alimentaires industriels, il va falloir élaborer et adopter des lois. Parlant de dangers il y a par exemple ces bouillons que nous appelons cubes. Nous sommes appelés nous-mêmes à décider de l’entrée des produits sur notre territoire. Les exhausteurs de goût dans l’aliment doivent respecter les lois de notre pays et c’est en fonction de cela qu’on doit sensibiliser la population à leur consommation. Ce qui n’est pas le cas du cube. Cela ne remplace pas l’aliment lui-même mais c’est juste un exhausteur de goût. Donc on ne doit pas exagérer. Le sel ainsi que le sucre sont des dangers pour la santé; ce sont des aliments qui causent les maladies cardiovasculaires. Donc, pour régler ces problèmes, nous devons disposer de lois et faire des sensibilisations pour amener chaque secteur à faire son travail.
La sensibilisation telle qu’elle se pratique dans notre pays impacte-t-elle les populations?
Je n’ai pas l’impression qu’il y a déjà de la sensibilisation. La sensibilisation se fait sur plusieurs plans. C’est d’abord communiquer à travers les médias et informer la population sur ces différents sujets. Ailleurs, à l’extérieur on impose aux producteurs bien qu’ils fassent leur publicité de mettre en bas des étiquettes de leurs produits les éventuels risques que courent les consommateurs. Donc, on doit pouvoir informer la population, disposer d’un plan de communication sur les médias et partout dans le pays, les radios locales, les radios de proximité, passer dans les marchés pour expliquer aux vendeurs la nécessité pour eux de disposer uniquement dans leurs rayons de produits de bonne qualité et vérifier les dates de péremption de leurs articles. Il faut vérifier l’étiquetage et tout ce qui est lié à l’aliment complet pour faire sa publicité.
A vous entendre, les risques sont loin d’être négligeables avec la consommation des produits évoqués. Si tel est le cas, que faut-il alors manger ?
Quand on parle de la bonne nutrition, il faut savoir quel est l’apport de tout ce qui est produit alimentaire en fonction de nos besoins pour avoir une bonne santé. Ces besoins dépendent de chacun; ils ne sont pas les mêmes. L’alimentation d’une femme est différente de celle d’un homme. Dans la consommation, on doit respecter certaines règles. Nous avons des groupes d’aliments, les macro-nutriments qui sont les lipides, les glucides, les protides qui sont des aliments qui donnent la force. Mais à un âge donné, l’homme ne croît plus, ce sont les enfants qui croissent. En dehors de ça, nous avons besoin des lipides qui sont des macro-nutriments. En ce qui concerne les micro-nutriments, ils sont tout ce qui a trait aux vitamines. Il s’agit des vitamines B1, B6, B9, tout ce qu’on appelle acide folique, la B12. Il y a plusieurs types de vitamines que l’aliment doit apporter. La B12, on la retrouve dans tout ce qui est alimentation de la viande et du poisson, la B1, B6, la B9 qui est l’acide folique, on ne les trouve que dans les légumes verts et il faut bien les préparer, car s’ils sont mal cuits, ce n’est plus du légume à acide folique. Ce qui entraîne des problèmes d’hypertension artérielle. Donc, on peut faire d’hypertension artérielle par déficit d’acide folique, même l’excès de l’alcool cause des déficits en acide folique. Ce qui crée des problèmes neurologiques que beaucoup ignorent.
Quels conseils à l’endroit de nos gouvernants et des populations ?
Au niveau des gouvernants, je leur dirai que « Prévenir vaut mieux que guérir ». Aujourd’hui, nous investissons plus dans la prise en charge des maladies alors que si nous faisons désormais attention à tout ce que les gens produisent, à tout ce que les populations consomment, on pourra mieux accompagner ceux qui sont déjà malades. Mieux, ceux qui sont en bonne santé ne tomberont plus malades. Nous devons développer l’approche de prévention pour réduire la fréquentation des hôpitaux. En plus, la veille de la sécurité alimentaire doit être une priorité pour le bien-être de tous.
Quant aux populations, elles devront savoir opérer des choix dans leur alimentation.