Il y a 32 ans, jour pour jour, Thomas Sankara, le chef de la révolution d’août, quittait ce monde dans les circonstances que l’on sait. C’était un certain 15 octobre 1987. Ses bourreaux ont motivé leur acte ignoble en martelant entre autres ceci : « Le Front populaire décide de mettre fin, ce jour 15 octobre, au pouvoir autocratique de Thomas Sankara, d’arrêter le processus de restauration néocoloniale entrepris par ce traître à la révolution ». Au fil des ans, l’histoire a démontré la vacuité des arguments brandis pour justifier son assassinat au point qu’aujourd’hui, l’homme est célébré non seulement au Burkina, mais aussi presque partout en Afrique et dans le monde. Ni donc le temps, ni les tentatives éhontées de falsification de l’histoire n’ont pu altérer l’image de l’homme. Pour équilibrer l’analyse, il sied d’entrée de jeu de dire que Thomas Sankara était loin d’être un ange. Et de son vivant, il ne manquait pas de temps à autre de jeter un regard critique sur la marche de la révolution. Dans cette logique, il avait épinglé les pseudo révolutionnaires et les dérives de certains Comités de défense de la révolution (CDR), allant jusqu’à les qualifier de « CDR brouettes ». Peu avant sa mort, il avait même perçu l’impérieuse nécessité d’apporter des réajustements à l’action révolutionnaire. C’est peut être pour cette raison que ses bourreaux se sont empressés de le qualifier de « traître à la révolution ». Cela dit, on peut s’arrêter sur quelques valeurs incarnées par Sankara. La première est son patriotisme. En effet, l’illustre disparu a aimé le Burkina au point qu’il était prêt à tout pour que le reste du monde tienne compte de l’honneur et de la dignité de son peuple. Au nom de ce principe, il avait mis un point d’honneur à ce que, lors de ses déplacements à l’étranger, ses hôtes, quelle que soit leur envergure, le traitent comme le président d’un pays respectable, indépendant et souverain.
L’icône Sankara est restée intacte
Cette posture a fait connaître le Burkina en Afrique et dans le monde. Et comme la culture participe de la visibilité d’un pays à l’étranger, il a mis un accent particulier sur la promotion de la culture du Burkina. La création de la Semaine nationale de la culture (SNC) répond à cette vocation. Et Sankara était le premier ambassadeur de la promotion de cette culture hors des frontières du pays. La deuxième grande valeur incarnée par Sankara est l’intégrité. On peut aussi ajouter la gestion transparente et rigoureuse des ressources de l’Etat. Sankara, en effet, avait une aversion pour les « mouta mouta » et le « kalaboulé » pour reprendre une expression de l’époque empruntée au Ghana voisin et qui signifiait « affaires louches ». Et ce qui rendait davantage crédible sa politique de moralisation et d’assainissement, est qu’il était le premier à appliquer à lui-même cette exigence. On se souvient encore, comme si c’était hier, que l’homme n’hésitait pas à reverser dans la cagnotte nationale, les biens et autres espèces sonnantes et trébuchantes dont on le gratifiait à l’occasion de ses voyages à l’étranger. Et que dire de la croisade courageuse qu’il a entreprise contre les prédateurs des biens de la République ? Après sa mort, on a tenté de déconstruire cette image d’homme intègre. Pour ce faire, ses bourreaux ont présenté à l’opinion nationale et internationale, une valise remplie de billets de banque prétendument découverte à la présidence et dont on disait que Sankara en était le propriétaire. Le caractère abject et ridicule de cette mise en scène, a été vite perçu par tout le monde, y compris par les metteurs en scène eux-mêmes. Parmi les grandes œuvres de Thomas Sankara, on peut aussi ajouter sa politique volontariste de l’habitat. Et grâce à cela, bien des Burkinabè peu nantis ont pu se procurer un toit. A comparer avec la politique de l’habitat développé depuis les rectificateurs jusqu’à nos jours, c’est le jour et la nuit. Une autre idée lumineuse de Thomas Sankara est sa vision de la défense de la patrie. Pour lui, en effet, cette tâche incombait à l’ensemble du peuple. Le concept de la « guerre populaire généralisée » qu’il a expérimenté lors de la guerre de Noël, tire ses origines de cette vision. Par ces temps qui courent où les terroristes sont en train de massacrer au quotidien les populations, cette formule pourrait être revisitée, car l’on peut dire que, quelque part, elle a fait la preuve de son efficacité. Bref, 32 ans après son assassinat, l’icône Sankara est restée intacte et les Burkinabè ont des raisons de regretter l’homme. Et ce regret n’est pas seulement endogène, il est aussi international. Faites par exemple un tour au Cameroun, et vous aurez l’opportunité de mesurer l’immensité de l’homme.
Sidzabda