Reçus en commission budgétaire pour apprécier le projet de loi des finances pour la gestion 2020, transmis au parlement par le gouvernement béninois, les acteurs du secteur privé béninois ont fait plusieurs propositions. Dans cette interview, Albin Feliho, président de la Confédération Nationale des Employeurs du Bénin et membre du Groupe de Travail Fiscalité du secteur Privé (GTF) explique les préoccupations du secteur privé dans la perspective du vote du budget 2020.
L’économiste : Quelle appréciation faites-vous du projet de loi des finances pour la gestion 2020, actuellement sur la table des députés ?
Albin Feliho : Globalement nous avons travaillé sur le contenu de la loi de finance 2020. Avant tout propos je vais fortement regretter que les organisations professionnelles, patronales, consulaires, n’aient pas été associées dans la confection de ce document précieux pour chacun des béninois. Nous avons des plateformes de discussion et d’échange qui sont pratiquement en dormance comme si, ces passerelles de communication entre le secteur privé et l’administration deviennent inopportunes. Ces préalables ainsi déclarées se justifient parce que les honorables députés qui nous ont fait l’aimable privilège de nous entendre sur le sujet avaient eu le sentiment que nous étions venus pour démonter la loi de finance 2020. Pour dissiper tout malentendu, nous avons dû leur expliquer que si on venait les voir, c’est parce qu’il y a des aspects dans cette loi de finance qui méritent d’être améliorés justement pour éviter toute confusion et contrariété au point de rendre peu performante ladite loi.
Le problème de non association du secteur privé revient tous les ans. Pourquoi cela ?
Moi je dis de façon factuelle telle que les choses se présentent à nous. Il y a quelques années, il y a des rencontres qui se faisaient soit tous les deux mois, soit de façon sectorielle ou générique. Par cet état de cause, le secteur privé était quelque peu, intimement liés aux discussions. Probablement est-ce par suffisance de l’administration des finances d’en savoir un peu trop au point de ne pas se sentir obligée d’avoir le point de vue du secteur privé, je ne sais pas. Il y a un péché qu’il faudra éviter à l’avenir.
Je dois avouer qu’à l’hémicycle les honorables députés ont eu une bonne écoute de nos préoccupations et ont regretté l’absence de discussions préalables entre le secteur public et privé. Convaincus que s’il avait été ainsi certaines de nos préoccupations auraient pu être pris en compte par l’administration des finances.
Quelles sont les préoccupations majeures du secteur privé par rapport à cette proposition ?
Nous sommes en position de faire des propositions d’amélioration de ce document qui apparait comme un document de travail pour rendre exécutoire avec efficience le Programme d’action du gouvernement (PAG). Au regard de cela, nous avons au sein du GTF constaté qu’il y avait un peu trop de taxe. On en avait dénombré une trentaine et nous craignons que trop d’impôt ne tue l’impôt. Nous avons aussi regretté dans ce document le caractère de pouvoir exorbitant de donner à la Direction générale des impôts (DGI) la possibilité de perquisitionner le domicile d’un dirigeant d’entreprise sans recourir au juge et sur simple soupçon. Le risque d’une violation de domicile est grand surtout que le siège social de l’entreprise n’est pas le domicile de son dirigeant. Par ailleurs, l’article 1108 nouveau du Code Général des Impôts prévoit que le contribuable ne peut contester le bien-fondé ou la quotité des impositions mises à sa charge sans verser au préalable 25% cash du montant en cause au Trésor public. Cette disposition a été renforcée par l’article 1165 alinéa 10 de la même loi qui dispose clairement que « Nul ne peut surseoir aux poursuites en recouvrement des Impôts, taxes assimilées et amendes, sauf versement, au Trésor Public, par l’opposant d’une caution valant paiement cash de 25% du montant total de la somme contestée ». Le paiement cash de 25 % du montant du redressement fiscal imposé par la loi de finances avant une décision finale est une mesure préjudiciable aux entreprises déjà fragilisées par la morosité économique. Ainsi, cette obligation empêche les entreprises d’aller au contentieux et par voie de conséquence, met à leur charge, des montants qu’elles ne doivent pas forcément. Là aussi, même si on comprend le fondement d’une telle approche, c’est quand même extrêmement risqué pour une entreprise ou s’en tenir à l’approche précédente.
Enfin un autre point qui a particulièrement touché notre esprit, c’est que dans le souci de respecter les critères d’éligibilité pour améliorer les performances du Doing business, on a voulu qu’il y ait un guichet unique, une sorte d’unicité de collecte de taxe et d’impôt en plus du paiement des cotisations à la sécurité sociale. De notre point de vue il y a un risque de confusion de ces deux collectes dont le risque est que l’administration utilise en cas de besoin les sommes allouées aux retraites et aux prestations sociales. Là, il y a un risque fort, de détournement d’objectif de ces collectes de fonds qui nous fait craindre le pire. Cela a été parfaitement entendu par les députés. Nous comptons sur eux pour qu’il n’y ait pas des confusions du genre, que les taxes soient collectées par qui de droit et les cotisations de la CNSS soient reversées entièrement à la caisse nationale de sécurité sociale.
Vous avez parlé plus haut d’une trentaine de taxes. Est-ce toutes de nouvelles sources de taxation?
Disons que quand on regarde de près, il y a une trentaine de taxes nouvelles auxquelles on n’était pas habitué même si ça se justifie. Si vous prenez la taxe sur la plus-value dans les transactions immobilières, vous voyez que ce sont des sources nouvelles de taxation. Vous pouvez vous en référer aux pages 9 à 12 de notre document de commentaire soumis à l’appréciation des députés.
Est-ce que la loi eu l’état peut favoriser les résultats du Bénin dans le rapport Doing business l’année prochaine ?
Oui de façon générale, la loi est bonne. Mon rôle n’est pas de faire un catalogue des réussites ou des réformes favorables au développement et surtout à la concrétisation du PAG. Pour nous autres, c’est de dire en quoi ce qui est fait selon une vision peut être encore améliorée. Très souvent les critères d’éligibilité du Doing business peuvent être parfois en porte-à-faux avec nos réalités économiques. C’est ainsi que l’interprétation du taux de pression fiscale de 14% au Bénin brandit par l’administration des finances en comparaison aux normes de l’UEMOA qui est de 20% est bien mal apprécié. Le taux de pression fiscale est évalué sur la base du grand nombre d’entreprise au Bénin alors que nous savons combien l’assiette fiscale effective est faible et pourrait faire apparaître en réalité un taux de pression de plus de 35%.
En dehors des taxes, il y a-t-il d’autres aspects du projet de loi qui va en défaveur du secteur privé ?
Oui.
Sur les droits de visite, d’investigations et de saisie au domicile du dirigeant de l’entreprise ainsi que sur l’unicité des collectes des taxes et la cotisation CNSS.
Il y a d’autres aspects dont on n’a pas vu des ébauches de solutions. Notamment, la fermeture des frontières. On aurait pu analyser la situation et chercher des solutions pour éviter de telle crise à l’avenir mais je n’ai pas vu des propositions de solutions. L’autres chose qui nous a un peu choqué c’est la volonté manifeste du chef de l’Etat et de son gouvernement de promouvoir le numérique en république du Bénin au point même où un ministère tout entier y a été consacré. Mais au même moment on lève l’exemption d’impôt sur les matériels informatiques, cela me parait comme aller à contre sens. Ces matériels informatiques qui faisaient objet d’exemption, ne le sont plus aujourd’hui alors même qu’on fait la promotion du numérique.
Votre conclusion !
Le secteur privé dans son ensemble espère que ses préoccupations seront sérieusement prises en compte dans les travaux d’adoption de la loi de finance 2020. Cette loi doit être une loi au service du développement des entreprises.