Au nombre des Communes concernées par le cordon sanitaire dans le cadre de la lutte contre la pandémie du coronavirus au Bénin, il y a celle d’Akpro-Missérété. Dans un entretien accordé à votre journal, le Maire de cette Commune, Michel Bahou, nous parle des conséquences du respect du cordon sanitaire en question sur le fonctionnement de la mairie et ses recettes. Il n’a pas manqué d’attirer l’attention sur la nécessité de renforcer le cordon sanitaire en question à cause de la porosité des limites territoriales entre la zone à risque et la zone non concernée.
Vous êtes le Maire de la Commune d’Akpro-Missérété. Aujourd’hui, le monde entier est frappé par une crise sanitaire qui n’a pas épargné le Bénin, la pandémie du coronavirus. Comment vivez-vous la situation à votre niveau ?
Vous savez que pour cette pandémie du Covid-19 qui défraye la chronique, ma Commune fait partie de celles qui sont à risque parce qu’une Allemande testé positive y a séjourné et eu des contacts avec plusieurs personnes. Très tôt, avant même la prise des mesures gouvernementales contre cette pandémie, le Conseil communal d’Akpro-Missérété s’est déjà réuni à deux reprises pour débattre de la question. Grâce à notre médecin-chef, nous avons été entretenus sur les symptômes de cette maladie. Ensuite, nous avons pris des dispositions pour que les chefs quartiers et les chefs villages soient informés, afin que les populations soient sensibilisées sur le danger qui les guette. Nous en étions là quand le gouvernement s’est réuni en Conseil des Ministres pour prendre des dispositions au niveau national. C’est ainsi que nous avons reçu la correspondance du gouvernement qui nous a permis de renforcer les mesures que nous avions déjà prises à notre niveau par le biais des radios communautaires et des gongoneurs.
En dehors des mesures de prévention prises par le gouvernement, il y a depuis quelques jours le cordon sanitaire qui concerne aussi la Commune d’Akpro-Missérété. Comment gérez-vous cette réduction de la circulation de vos administrés ?
Effectivement, il y a désormais un cordon sanitaire et depuis, avec le médecin-chef, la police et le conseil communal, nous nous sommes réunis pour monter des postes de contrôle pour empêcher la traversée dudit cordon. Cela se passe très bien au niveau de la Commune d’Akpro-Missérété. La police veille au grain pour arrêter d’éventuels hors-la-loi.
Monsieur le Maire, vous n’êtes pas sans savoir qu’il est pratiquement impossible de contrôler les frontières entre votre Commune et plusieurs Communes voisines comme Avrankou et Dangbo par exemple qui ne sont pas concernées par le cordon sanitaire. Comment faire pour que l’objectif visé soit atteint ?
Je l’avoue. Le fait d’écarter Avrankou du cordon sanitaire par exemple peut paraître une erreur du point de vue géographique même si on peut comprendre la décision du gouvernement puisqu’une partie d’Avrankou fait frontière avec le Nigéria où le mal sévit. Mais malgré le dispositif mis en place au niveau d’Avrankou, bien de gens circulent entre cette Commune et les Communes à risque comme Akpro-Missérété. Parfois, vous êtes même surpris qu’on vous dise que des gens quittent Akpro-Missérété pour aller au Nigéria ou que d’autres quittent le Nigéria pour venir à Akpro-Missérété malgré le cordon sanitaire.
Est-ce que cela ne pose pas un problème d’implication rigoureuse des responsables des collectivités territoriales dans la mise en œuvre des mesures prises au niveau du gouvernement ?
Normalement, on devrait repenser l’accompagnement à apporter aux Communes pour rendre efficaces les mesures contre la pandémie du Covid-19. J’ai eu à dire au cours d’une réunion que le dispositif de lavage des mains devrait être mis au niveau de tous les services publics dans les Communes concernées par le cordon sanitaire sans oublier les écoles primaires et secondaires. Déjà au niveau d’une Commune comme celle d’Akpro-Missérété, la situation engendre des dépenses non prévues. La situation fait déjà des malheureux au niveau des ménages puisque les activités économiques sont au ralenti. C’est le cas par exemple des conducteurs de véhicules de transport qui sont obligés de garer leurs voitures et camions. Il faut absolument des mesures d’accompagnement et je suis certain que le gouvernement du président Patrice Talon y pense. S’agissant de la porosité de nos limites territoriales, sans vous mentir, la tâche ne sera pas facile pour les forces de sécurité puisque les populations maîtrisent mieux les points de passage entre Communes que les forces de sécurité voire plus que les autorités communales que nous sommes.
Vous avez à votre charge une administration communale. Est-ce que la situation de mise en œuvre du cordon sanitaire ne pèse pas négativement sur vos recettes ?
Les conséquences du cordon sanitaire sur le fonctionnement de l’administration d’Akpro-Missérété sont énormes. C’est vous dire qu’en cette période, la fréquention de l’administration communale est limitée. Ceux qui devraient venir à la mairie pour solliciter ses services sont devenus rares. Vous n’êtes pas sans savoir que les mairies sont comme des entreprises qui vendent des services. Ce sont les recettes de ces services que nous mobilisons pour réaliser des infrastructures et payer les travailleurs de l’administration communale. Avec le cordon sanitaire, retenez que les Communes concernées vont connaître un manque à gagner. Au niveau de la Commune d’Akpro-Missérété, nous avons pris des mesures draconiennes pour limiter les dégâts. Vous ne pouvez pas avoir accès aux bureaux de la mairie si vous n’avez pas observés les mesures de précautions contre le coronavirus.
Au niveau des Communes de l’Ouémé, est-ce que vous prévu des actions de plaidoyer auprès du gouvernement avec vos homologues ?
Une fois que le gouvernement a déjà pris le taureau par les cornes, nous ne pouvons que suivre le mouvement puisque cela nous concerne tous. Les messages aussi bien du ministère de l’intérieur que du ministère de la santé et même du ministère de la décentralisation fusent. Il revient à chaque Maire de penser à la santé de ses administrés. C’est vous dire que la zone à risque étant circonscrite, on n’avait pas de conseils à donner à ceux qui ne sont pas dans le même cas que nous. Déjà à travers les médias nationaux et internationaux comme sur les réseaux sociaux, je pense que chacun mesure la gravité de la situation. Notre souhait est que nous arrivions à vaincre cette pandémie et que la vie redevienne normale dans le monde.
Monsieur le Maire, le gouvernement ne manque pas de communiquer régulièrement sur la situation au niveau national. Le gouvernement a récemment insisté sur la nécessité de signaler la présence des personnes fraîchement revenues de l’extérieur. Est-ce que cela ne vous effraie pas un peu ?
Nous avons prévu le mécanisme susceptible de permettre à la population de signaler les personnes qui arrivent à s’installer sur notre territoire après un séjour à l’extérieur du pays. Pour la petite anecdote, j’ai été appelé il y a quelques jours par des gens qui m’ont dit que quelqu’un venait de rentrer du Niger. Grâce à la police, nous avons découvert qu’il revenait en réalité du Zou ; ce qui ne nous a pas empêché de prendre des dispositions sécuritaires avec l’aide du médecin-chef. Aujourd’hui à Akpro-Missérété, nous avons mis en place un comité de vigilance. Régulièrement, des informations nous parviennent et je puis vous assurer que nous avons déjà pu signaler des personnes revenues du Niger et qui sont en quarantaine dans un hôtel de la place.
Qu’en est-il des vendeurs de médicaments sur le territoire d’Akpro-Missérété ? Le gouvernement a déjà mis en garde les vendeurs et ceux qui les aident dans la publicité sur de supposés médicaments contre le Covid-19.
Sur cette question, je répondrai que le souci du gouvernement est de protéger le peuple béninois contre des vendeurs d’illusion. Cependant, nous devons voir les choses autrement. En Chine, je ne sais si les malades du coronavirus ont été soignés avec des plantes. Mais je sais qu’on soigne des malades dans ce pays à partir de certaines plantes. Idem en Afrique depuis plusieurs siècles. Je me rappelle encore que quand nous étions enfants, nos parents ne connaissaient pas la pharmacie, mais ils arrivaient à nous soigner grâce aux plantes. Autrement dit, la médecine traditionnelle et africaine doit être associée à la recherche des solutions contre la pandémie du coronavirus. Je suis de l’ethnie Tori et dans notre culture, le traitement des malades du paludisme se fait avec succès grâce à la médecine traditionnelle jusqu’à l’arrivée de la médecine occidentale. Même aujourd’hui, la médecine traditionnelle continue de faire des prouesses. Ce qu’il faut, c’est continuer d’organiser le secteur comme cela se fait depuis un certain temps. Nous avons besoin que nos étudiants en biochimie et en médecine fassent des recherches dans le secteur de la médecine traditionnelle. Lorsque j’ai appris il y a quelques jours que notre compatriote Valentin Agon a inventé un médicament qui, en expérimentation au Burkina Faso commence par montrer son efficacité contre le coronavirus, je me suis senti très fier d’être Béninois.
D’aucuns pensent qu’il faut beaucoup investir dans la recherche scientifique en Afrique pour mieux affronter des situations de crise sanitaire. Qu’en pensez-vous ?
Absolument ! Moi je rêve que dans chaque quartier, il y ait une maison de la pharmacopée certifiée par l’Etat après tous les essais cliniques. Cela soulagera nos populations et découragera l’automédication.
Parlons un peu politique. Vous êtes un acteur politique qu’on ne présente plus. Dans quelques semaines, le Bénin organisera les élections municipales et communales. Est-ce que le coronavirus ne perturbe pas un peu votre pré-campagne électorale ?
Tout à fait, nous sommes en pleine pré-campagne pour les élections communales et municipales du 17 mai prochain. Le peuple béninois est appelé à renouveler les conseils communaux et municipaux. Voilà que le coronavirus est en train de tout perturber. Nous n’arrivons plus à tenir les réunions pour peaufiner nos stratégies de campagne. Mais je puis vous assurer que nos mandants savent distinguer le bon grain de l’ivraie. Je crois que si la situation de la pandémie perdurait, le gouvernement prendra ses dispositions pour que les choses se passent bien et que les populations aillent voter en toute tranquillité au moment opportun. La situation de confinement nous fait des jours en moins pour la précampagne électorale.
Un mot sur tout ce que vous avez vécu depuis la première mandature de la décentralisation jusqu’à présent.
Il faut être là au commencement pour présenter l’état des lieux. Celui qui n’a pas vécu le début de la décentralisation au Bénin, il lui sera difficile d’apprécier ce qui a été fait. Nous, nous pouvons parler. Nous sommes des handicapés de la décentralisation. Je puis vous dire que nous sommes en train de sortir de notre situation d’handicapés de la décentralisation sains et saufs parce que nous pouvons doigter nos réalisations. Il y a bien sûr des gens qui ne peuvent rien apprécier et qui ont la langue critique parce qu’ils étaient encore enfant quand nous avions commencé le combat du développement de nos Communes. Au niveau de la Commune d’Akpro-Missérété, c’est un sentiment de satisfaction qui m’anime même si, comme le dit l’adage, tant qu’il reste à faire, rien n’est encore fait. Quand nous avions pris en main les choses, nous avions retrouvé des bureaux de l’ex-sous Préfecture d’Akpro-Missérété totalement délabrés. Désormais, on peut doigter des bureaux d’Arrondissements, une mairie dotée d’infrastructures adéquates, des galeries marchandes, des adductions d’eau villageoises, des pistes rurales, des milliers de salles de classes aussi bien dans les écoles primaires publiques que dans les collèges publics. Nous avons même créé plusieurs écoles pour rapprocher les apprenants de leurs lieux de résidence. Je suis venu trouver un personnel de 23 agents avec à peine deux brevetés et tous les autres avec le niveau CEP. Mais aujourd’hui, l’administration communale est composée d’environ 140 agents nantis de diplômes universitaires avec des spécialités utiles au développement de notre Commune. Tous ceux-là sont payés et leurs revenus sont bien bénéfiques pour les familles qu’ils nourrissent. C’est pour moi l’occasion de remercier le gouvernement du président Patrice Talon pour cette route inter-Etats qui traverse la Commune d’Avrankou et qui lui permet d’avoir plus de visibilité sur l’extérieur.
Quel est votre rêve pour la décentralisation ? Pensez-vous comme d’autres qu’il faut un autre accord de partenariat entre le gouvernement et les Communes pour accélérer leur développement ?
Par rapport aux textes sur la décentralisation, le Conseil communal ou Conseil municipal élu élabore son Plan de développement communal (PDC) ou son Plan de développement municipal (PDM) ; bien sûr en se conformant à ce qui est fait au niveau central. C’est vous dire que la liberté est donnée aux Communes pour leur propre gestion. Je puis vous dire que la Commune d’Akpro-Missérété est en partenariat avec une Commune dans la région de Lyon en France et le fruit de cette coopération a permis la réalisation en cours du plus grand château d’eau d’Akpro-Missérété pour desservir 4 villages y compris les écoles de ces villages dans les Arrondissements de Zougbomey et de Gomè-Sota. Nous ne devons donc pas attendre l’Etat central pour développer nos Communes. Il est vrai qu’il y a des interférences de certains cadres qui confondent la politique au développement au lieu d’aider les Communes à évoluer. Moi je fais fi de leurs comportements pour avancer parce que je sais qu’ils ne connaissent rien de la décentralisation et de la gouvernance à la base. Il y a des compétences déléguées, des compétences propres et des compétences partagées pour booster la décentralisation.
Votre mot de fin
Je voudrais très sincèrement vous remercier pour cette opportunité que vous m’offrez pour aborder toutes ces questions. J’en profite pour inviter les populations à la vigilance par rapport à la pandémie du coronavirus. Elles doivent absolument respecter les mesures fixées par le gouvernement. A ceux qui s’impatientent pour la pré-campagne électorale, je voudrais dire de prendre leur mal en patience puisque c’est en étant vivants que nous pouvons faire de la politique. Je voudrais surtout inviter les organes de gestion des élections dans notre pays à la vigilance puisqu’il y a trop de provocations susceptibles d’engendrer des troubles à l’ordre public sur le terrain.
Propos recueillis par Karim Oscar ANONRIN