Tel qu’annoncé, Novotel Hôtel de Cotonou a abrité, vendredi 20 août 2021, le lancement de l’ouvrage “Bris de silence” de la journaliste Angela Kpeidja. Un livre de témoignages à travers lequel l’auteure a décidé de briser le silence et de raconter son histoire sur le harcèlement sexuel. C’était devant un parterre de personnalités et autres invités.
Angela Kpeidja a sauté le verrou. Sur la loi du silence qui caractérise les victimes des violences basées sur le genre, celles du harcèlement sexuel en milieu professionnel et estudiantin, elle a entrepris un bris. Le résultat de son action donne un livre autobiographique de 252 pages, subdivisé en 6 parties, publié aux Éditions Abcd en Août 2021. Avec la première de couverture en noir et le titre de l’ouvrage en rouge, l’auteure entend dire qu’il y a danger et qu’il faut des actions urgentes. “Bris de silence” est pré et post(facé) respectivement par Pierre M’pélé, Médecin, Ancien représentant de l’Oms, Ancien Directeur régional du Programme commun des Nations-Unies sur le Vih/Sida en Afrique de l’Ouest et du Centre et Eveline Diatta-Accrombessi, promotrice de Edan TV et marraine de l’événement.
Justifiant sa présence aux côtés de l’auteure, elle a laissé entendre que “Bris de silence” est un livre de témoignages poignants sur le harcèlement sexuel et la question des violences basées sur le genre. Des faits dévalorisants qui, à l’entendre, déciment les familles, brisent les carrières. “Il nous faut agir aujourd’hui…”, lâche Eveline Diatta-Accrombessi. Et d’une femme à une autre, la Ministre des affaires sociales et de la microfinance, Véronique Tognifodé, a salué à son tour, le courage de Angela Kpeidja. Pour elle, il était temps de briser le mythe lié à la dénonciation des faits susmentionnés. Et quoi de mieux qu’un livre, la voie de la plume pour dire non au refus de leur banalisation, se réjouit-elle.
“Qui pouvait imaginer que derrière mon sourire qui s’affiche à l’écran et ma “jovialité légendaire, des drames se sont joués ? En décidant de contribuer à briser le silence à travers ma plume, j’ai voulu contribuer à ouvrir les portes de l’espoir aux victimes de tous bords… C’est vraiment mon intimité que j’offre en sacrifice pour que notre société se pose les vraies questions sur l’héritage à laisser aux filles, aux garçons, aux hommes et aux femmes de notre pays”, confie pour sa part, Angela Kpeidja. Et, c’est avec les larmes dégoulinant sur le visage que celle qui a été persuadée de lever le voile afin de poursuivre ses rêves professionnels prononcera son discours. “Bris de silence”, signifie-t-elle, ne s’entend ni comme un outil de vengeance ni comme un règlement de compte. Il reste un vibrant appel pour un changement de comportement, un regard sur la condition féminine au Bénin et partout, les violences faites aux femmes étant selon elle, presque devenues une norme dans la société et entretenues dans le terrau du silence. Loin d’un procès, d’un réquisitoire, il est pour son auteure, une aventure thérapeutique pour une paix intérieure après un total désestime de soi. Angela Kpeidja est tout de même consciente que la lutte contre le harcèlement sexuel est un combat de longue haleine mais reste persuadée qu’elle sera gagnée avec le temps.
Un durcissement législatif
Le lancement de “Bris de silence” de Angela Kpeidja a connu l’animation d’un panel sur le “harcèlement sexuel en milieu professionnel et universitaire : quelles solutions pour les femmes et filles”. Aux dires des panelistes, ce livre aura également eu le mérite de révéler les limites de la loi qui encadre le harcèlement sexuel et les violences basées sur le genre. Il se veut un plaidoyer pour que ça change sur tous les plans : institutionnel, administratif, judiciaire et social. L’épineuse question, en effet, de preuve à fournir par la victime pour crédibiliser son accusation, reste un os dans sa gorge et une opportunité pour les auteurs de poursuivre leur besogne.
Comment, en effet, prouver les attouchements des seins, des tapes sur les fesses alors même que la victime ne s’y attendait pas ? Comment prouver que son employeur, après lui avoir intimé l’ordre de le rejoindre dans son bureau, suivait en réalité un film pornographique et dès sa venue, le lui montre, lui demandant de lui tailler une pipe ? Comment prouver alors qu’en mission, quelqu’un torque à la porte de sa chambre d’hôtel, qu’elle ouvre et que son collègue aussi en mission se jette sur elle, la suppliant de le laisser tirer un coup, usant de sa force pour pouvoir arriver à bout de sa libido débordante ? Comment prouver qu’après qu’elle a été appelée, qu’elle se retrouve dans le bureau de son supérieur hiérarchique accompagné d’un autre et que les deux la forcent à leur faire une fellation ? Comment donner les preuves de tout ceci alors même que la victime ne porte pas une caméra sur elle et à priori ne pouvait pas s’attendre à ces traitements ? Des interrogations ainsi paraphrasées du présentateur du livre, qui interpellent et relancent le débat sur les mécanismes de lutte et de sanction. Mais d’ores et déjà, la Ministre des affaires sociales et de la microfinance, Véronique Tognifodé, va rassurer du durcissement législatif afin que les victimes puissent compter sur les Institutions de la République.
L’habillement de la femme, un faux débat.
Entre autres raisons qui justifient le fait qu’une femme soit victime du harcèlement sexuel, son habillement à tendance dénudée. Mais à y voir de près, cela est un prétexte soutient le sociologue Jacques Aguia-Daho. “Dans notre société africaine, la femme s’habille juste à moitié de son corps. Vous passez, vous la regardez, vous la lorgnez deux fois, vous vous rendez compte qu’on vous a convoqué sous l’arbre à palabre et c’est là-bas qu’on vous dit que vous avez regardé la femme d’autrui. Et si vous insistez, il y a des outils traditionnels. Ce que vous voulez aujourd’hui par des preuves, les dieux l’ont vu dans votre état d’esprit…C’est parce qu’on a réussi à mettre hors état de nuire ces outils traditionnels. Une fois qu’on a choisi d’amener dans la société cette forme d’habillement, l’outil qui a régler ça au village, il faut l’amener en ville. Il ne s’agit pas d’interdire l’habillement de la fille mais il s’agit de trouver les moyens qui la protègent dans cet habillement… Si on avait enseigné à chaque homme, à chaque femme ce qu’on appelle le féminin sacré, personne n’oserait créer de la douleur dans le cœur d’une femme, personne ne prendrait le risque de s’approcher de la partie sexuelle d’une femme de la façon la plus accidentelle. Ce n’est pas qu’un espace physique, c’est codifié. C’est codé et structuré. Mais par banalisation de ces choses, on est aujourd’hui dans une vie ordinaire. Peut être même si on ne sait pas faire, d’ici 10, 15 voire 30 ans, on va créer du tort à nos couturiers, nos couturières, nos stylistes parce que simplement, il y en a qui ne supportent pas les jolis habits de nos femmes…”, détaille le sociologue. Pour lui, l’acte de Angela Kpeidja est héroïque. Il faut la célébrer afin que le cri du silence persiste et que plus jamais, les voix ne se taisent.
Cyrience KOUGNANDE