À un moment où dans le monde l’accent est mis sur l’éducation inclusive, au Bénin, des enfants en situation de marginalisation et de vulnérabilité peinent à voir leurs besoins spécifiques être pris en compte. Entre la mobilisation des acteurs non étatiques et les efforts du gouvernement pour l’atteinte des objectifs en la matière, tout n’est pas encore rose chez les apprenants atteints d’albinisme.
Suivant le Plan sectoriel de l’éducation (Pse) post 2015 (2018-2030) du Bénin, qui se base sur les principes directeurs pour l’inclusion dans l’éducation de l’Unesco (2005), l’éducation inclusive est un « processus visant à accroître la participation et réduire l’exclusion. Ceci en répondant efficacement aux différents besoins de tous les apprenants. Elle prend en compte les besoins individuels en matière d’enseignement et d’apprentissage de tous les enfants et jeunes gens en situation de marginalisation et de vulnérabilité. Il s’agit d’enfants de la rue, filles, groupes d’enfants appartenant à des minorités ethniques, enfants issus de familles démunies financièrement, enfants issus de familles nomades/ réfugiées/ déplacées, enfants vivant avec le Vih/Sida et enfants handicapés. L’éducation inclusive a pour but d’assurer à ces enfants, l’égalité des droits et des chances en matière d’éducation ». Pour Edmond Hountondji, Directeur de l’enseignement secondaire général, « Beaucoup de choses sont en train d’être faites » par le Bénin dans le respect du contenu des instruments internationaux et nationaux auxquels le pays a souscrit. Il a cité l’existence d’ écoles expérimentales ou centres spécialisés où sont formés des sourds, des aveugles, des enfants handicapés moteurs avec le concours d’ enseignants ou de spécialistes formés pour les langues de signes, l’écriture braille et qui aident ces enfants à comprendre les matières enseignées à leurs pairs n’ayant pas de handicap. Désormais, « on tient compte des personnes à besoins spécifiques pour construire les salles de classes, les latrines. Il y a des rampes qui sont fabriquées pour permettre l’accès aux établissements et aux lieux d’aisance pour les enfants », précise-t-il. Au Directeur de l’inspection et de l’innovation pédagogique du ministère des enseignements maternel et primaire, Rock Germain Ahokpossi, d’ajouter : « Depuis quelques années, les tableaux sont disposés de façon à ce que tous les enfants puissent avoir accès. Non seulement ils sont disposés à une hauteur accessible à tous, mais on élève quelques fois le plancher pour permettre que celui qui est d’une certaine taille puisse accéder aussi facilement à la lecture. Lorsque vous entrez dans certaines classes, des enseignants avertis disposent certains enfants en première ligne parce que l’enfant a un problème auditif, porte des verres médicaux, de manière à ce que leur position favorise l’apprentissage. Les toilettes aujourd’hui sont conçues pour permettre à filles et garçons de s’acquitter dignement de leurs besoins, d’avoir toutes les commodités possibles ».
« La situation (…) n’est pas vraiment reluisante »
En dépit des efforts déployés par l’Etat appuyé par les ONGs internationales et locales ainsi que les PTFs du secteur, des apprenants à besoins spécifiques ne s’identifient pas encore dans un système éducatif inclusif. Houètèhou Franck Hounsa est le président de Divine connexion worldwide (Dcw), une Ong qui défend depuis près de 9 ans les droits des personnes atteintes d’albinisme : « La situation par rapport aux personnes atteintes de l’albinisme n’est pas vraiment reluisante. En septembre 2017, nous avons fait un plaidoyer auprès de l’État pour que les personnes atteintes d’albinisme puissent être davantage prises en compte dans l’enseignement ; mais jusqu’à présent il n’y a pas encore quelque chose de potable.». Selon M. Hounsa, lui-même personne atteinte d’albinisme et par ailleurs Traducteur/Interprète en Anglais, le plaidoyer est relatif à : former les enseignants pour un bon encadrement des écoliers et élèves atteints d’albinisme ; mettre ces enfants aux premières tables pour leur faciliter la vue ; proposer des épreuves à la taille 18 à 20 ; écrire gros au tableau, noircir le tableau, parler fort quand on est en train d’écrire, que les tables aient une surface oblique avec une pente où le devant est un peu relevé. Il parle également des épreuves aux examens qui doivent respecter le contraste blanc noir et non varier de couleurs. Le président de Dcw, pour faciliter la vision aux enfants atteints d’albinisme en situation de classe, pense que l’Etat pourrait les doter de monoculaires et de loupes qui sont des instruments essentiels qui permettent de rapprocher et de lire les écritures fines. Sur le terrain, le constat des préoccupations abordées a été fait par-endroits. Henri Thierry Ahouandjinou est une personne atteinte d’albinisme. Âgé de14 ans, il est élève en classe de 5ème dans un cours secondaire privé à Agblangandan dans la commune de Sèmè-Podji. Dans la soirée du mercredi 3 et la matinée du jeudi 4 novembre 2021, nous sommes allés à sa rencontre respectivement à domicile et dans son établissement. « Pour la petite histoire, à cause des problèmes de vision, il a redoublé les classes de Ci, Cp et Ce2 », confie sa génitrice Reine Koukpo. Elle précise ensuite que grâce à Dcw qui intervient depuis peu dans la formation et la sensibilisation des enseignants et autres responsables d’écoles, les choses se sont améliorées et l’enfant évolue normalement. Cependant, le tableau de la classe est vert et Henri Thierry déclare qu’il arrive des fois où il ne voit pas correctement, bien qu’étant à la première table de la troisième rangée, à moins de deux mètres du tableau. « C’est vrai, il ne voit pas bien. L’année passée il a commencé la classe de 6ème avec nous. C’était le tableau vert qu’on utilisait. Mais dans sa classe, là où il est resté l’année passée, on a mis la peinture noire à cause de lui. Cette année, il fait la 5ème. Le tableau devrait être peint en noir, ce n’est pas encore fait. Mais la peinture est déjà achetée », a expliqué Xavier Oké, le Censeur de l’établissement. Pendant que nous mettions sous presse le 7 décembre, et après vérification, l’ardoisine noire n’a toujours pas été appliquée. Contrairement à Henri, l’écolier Dona Moise Ahouanvoèkè, lui, il porte des verres médicaux. Mais ce n’est pas la panacée. Rencontré le 6 novembre au quartier Yénawa à Akpakpa où il habite, ce garçon de 10 ans, au Cm2 dans un cours privé, a ressorti ses difficultés à bien lire parfois en classe quand bien même le tableau est de couleur noire. Spécialement, une table et une chaise lui ont été aménagées devant, proche du tableau pour lui permettre de bien copier ses cours. Il souligne toutefois que quand son maître écrit bien gros, il arrive à lire aisément de sa place. « En classe je suis comme un ‘’noir’’ à part quand je passe devant les écoles publiques où on se moque de moi », déplore-t-il faisant allusion à la couleur de sa peau. Les parents de Moïse affirment d’ailleurs que c’est dans l’optique d’une prise en compte efficace de ses spécificités qu’ils ont fait le choix de l’inscrire au privé depuis le Ci. Mais le Directeur de l’inspection et de l’innovation pédagogique du ministère des enseignements maternel et primaire s’est voulu rassurant. Même dans le public, déclare-t-il, il y a des missions d’inspection périodiques pour voir si : « l’environnement de travail est propice à l’apprentissage, et si l’enseignant fait travailler régulièrement les enfants dans les conditions idéales », entre autres.
Les préoccupations ne sont pas tombées dans les oreilles d’un sourd…
Pour Franck Hounsa de l’Ong Divine connexion worldwide, il urge que les gouvernants se penchent sur les spécificités soulevées ; sinon, « la plupart des personnes atteintes d’albinisme ne franchissent pas le cap du Bepc. Tous ceux avec qui j’ai fait le secondaire et qui sont des personnes atteintes d’albinisme, aucun d’eux n’est venu à l’université alors qu’on était trois ou quatre », alerte-t-il. Du côté des autorités, on est bien conscient des défis à relever pour une éducation véritablement inclusive même si on se surprend de ces besoins spécifiques exposés. « Pour la taille des écritures, les couleurs des épreuves à l’examen, je vous remercie de partager cette information avec moi. Je vais pouvoir la partager avec mon collègue de la Direction des examens et concours (Dec). On va peut-être les surprendre », promet le Desg, Edmond Hountondji, qui estime que tous les problèmes soulevés ne doivent pas être imputés au gouvernement si déjà le chef d’établissement jouait sa partition dans la prise en compte des préoccupations des enfants. Quant à son collègue du primaire, Rock Germain Ahokpossi, « Paris ne s’est pas fait construire en seul jour. C’est un processus. Et le système ne peut y aller que progressivement ».
A. Jacques BOCO