La Cour de Répression des Infractions Economiques et du Terrorisme (CRIET) rouvre, le vendredi 03 avril 2020 , le dossier de l’opposant béninois vivant aux Etats Unis, Komi Koutché. Trois de ses anciens collaborateurs gardés depuis février 2018 dans les liens de détention préventive et lui sont convoqués donc vendredi prochain devant les juges de la redoutable Criet, « l’abattoir » des opposants béninois où deux de ses collègues acteurs majeurs de la vie politique béninoise ont déjà été lourdement condamnés dans des conditions qu’ont critiquées leurs avocats respectifs.
A la requête du Gouvernement de la République du Bénin, Komi Koutché est donc poursuivi pour des faits présumés de détournement et de blanchiment de capitaux dans le cadre de sa gestion du Fonds national de la microfinance (Fnm) dont il a été le Directeur général entre fin 2008 et mi 2013, avant son entrée au gouvernement où il a dirigé deux grands ministères dont celui de l’Economie, des finances et des programmes de dénationalisation jusqu’au 06 avril 2016, date d’investiture, du Président Patrice Talon.
A quelques jours de l’ouverture de ce procès dont les enjeux politiques n’échappent à aucun acteur de la vie publique nationale et ni même à la communauté internationale, Matin Libre revient sur quelques faits marquants notamment ceux qui se sont déroulés depuis la fin de l’épisode madrilène où de bon droit, certains croyaient ce dossier clos. En effet, jeudi 11 avril 2019, il y a donc sensiblement un an, Komi Koutché comparaissait devant l’audience nationale de Madrid dans le cadre de l’examen de la demande de son extradition demandée sur le Bénin par les autorités de son pays, suite à son interpellation le 14 décembre 2018, alors qu’il se rendait à Paris à l’invitation de ses compatriotes membres de la diaspora béninoise en Europe.
A l’issue de l’audience de ce jeudi 11 avril 2019, la décision du juge espagnol a été sans équivoque : refus d’extradition motivé entre autres par l’incapacité de la partie béninoise à prouver les faits pour lesquels le prévenu serait recherché et les réserves de la justice espagnole quant à la crédibilité et l’impartialité de la Criet, la juridiction qui devrait juger Komi Koutché une fois extradé.
La traque de l’homme et de ses biens
Depuis la fin de l’épisode de Madrid où les autorités béninoises n’ont pu obtenir son extradition, et en dépit des notifications régulièrement faites par Interpol aux avocats du concerné de ce qu’il ne figure guère sur la notice rouge de l’institution, Komi Koutché a continué d’être traqué pendant ses déplacements dans le monde jusqu’à ce que récemment, le virus Covid-19 ne vienne mettre un coup d’arrêt aux mouvements des hommes sur la planète. Ce fut le cas en Guinée Conakry fin mai – début juin 2019 selon une dénonciation faite le 03 juin 2019 à Dakar par son avocat sénégalais El Hadji Diouf, au cours d’une conférence de presse. Plusieurs autres tentatives ont suivi avec parfois un début de collaboration des unités de police de certaines capitales africaines et le refus catégorique d’autres, à en croire l’entourage de l’opposant. Mais en plus de la traque physique à laquelle l’homme est soumis à travers le monde et notamment sur ses destinations en Afrique, les mouvements effectués sur ses comptes bancaires, ses réalisations et autres acquisitions de biens mobiliers et immobiliers … ont subi à nouveau des fouilles d’une minutie que ses avocats confient n’avoir jamais vécu dans leur carrière de défenseurs de causes. Ses comptes sont donc fouillés et bêchés comme le recommande la fable de La Fontaine « Le laboureur et ses enfants ». De la longue et minutieuse fouille, il ressort des mouvements chiffrés à deux cent millions (200.000.000) de francs CFA que la commission d’instruction de la Criet que dirige un magistrat à la retraite, par ailleurs beau père de l’actuel Président de la Cour constitutionnelle, a jugé « trop élevé au regard des revenus de notre client… », renseignent les avocats de Komi Koutché, le raccompagnant d’un large sourire avant de faire le commentaire suivant : « c’est même un chiffre ridicule pour une personne qui a été par la suite ministre de la communication, ministre de l’Economie et des finances puis ministre d’Etat de l’Economie et des finances ».
Empêcher Komi Koutché d’être présent à son procès ?
Le principal prévenu dans l’affaire, Komi Koutché ne pourra, encore une fois, pas répondre à la convocation du juge. Et ce ne sera certainement pas sa faute. Même s’il comptait braver l’annulation de son passeport entre temps décidée par les autorités de son pays, ce qui à priori pourrait rendre difficile son voyage sur le Bénin, il y a désormais aussi la crise sanitaire mondiale au Covid -19 qui, on le sait, tous, a conduit à des mesures dont la fermeture de la plupart des aéroports dans le monde. Pourquoi c’est seulement dans ce timing que la justice béninoise a décidé de programmer le jugement de cette affaire ? L’on se rappelle la mesure d’annulation de son passeport et conséquemment son interrelation à l’aéroport de Madrid en décembre 2018 sont intervenues quelques jours avant sa comparution attendue devant la commission d’instruction de la Criet prévue pour le 17 décembre 2018. Mais au delà de l’hypothèse qui consiste à empêcher Komi Koutché d’être présent à son procès au Bénin et de pouvoir , comme il la fait devant le juge d’instruction déjà en avril 2018 qui l’a relaxé, et ainsi qu’il s’est défendu aussi devant la justice espagnole qui l’a également libéré en avril 2019, certains observateurs pensent à une stratégie pour passer un dossier aux enjeux politiques majeurs à un moment où le peuple est plutôt concentré sur le mal du Covid-19.