L’Assemblée nationale a voté, dans la nuit du 20 au 21 octobre 2021, la modification de la loi 2003-04 sur la santé sexuelle et la reproduction. Le texte modifié encadre notamment l’interruption volontaire de grossesse tout en élargissant les cas dans lesquels on peut y faire recours. De même, il réglemente rigoureusement la pratique.
Face aux députés à l’Assemblée nationale, Benjamin Hounkpatin, ministre de la Santé, a souligné tout l’intérêt de la démarche du gouvernement et la portée sociétale de cette loi.
Lire l’intégralité de son discours…
——– Discours du ministre de la Santé devant l’Assemblée nationale ——-
Monsieur le président de l’Assemblée nationale,
Mesdames, messieurs les députés,
Je voudrais vous remercier, de me permettre d’intervenir au nom du gouvernement dans le cadre de ce débat sur le vote de la loi modificative sur la santé sexuelle et de la reproduction.
Je voudrais avant tout propos, vous rassurer que le président Patrice Talon et l’ensemble de son gouvernement sont conscients des implications du vote de cette loi.
La loi 2003-04 sur la santé sexuelle et de la reproduction, en son article 17, limite les conditions de réalisation de l’interruption volontaire de grossesse et n’autorise son recours que dans des conditions exceptionnelles notamment quand la grossesse met en danger la vie et la santé de la femme enceinte, lorsque la grossesse est la conséquence d’un viol ou d’une relation incestueuse, ou lorsque l’enfant à naître est atteint d’une affection d’une particulière gravité au moment du diagnostic.
Après une vingtaine d’années de mise en œuvre de cette loi, quels sont les constats ? Qu’est-ce qui motive l’introduction à votre auguste Assemblée du projet de loi modifiant et complétant la loi N° 2003-04 du 3 mars 2003 relative à la santé sexuelle et à la reproduction en République du Bénin ? Pourquoi proposer cette modification et consacrer ainsi une pratique jusque-là jugée délictueuse ?
Cette modification de la loi et l’élargissement des conditions de réalisation de l’interruption volontaire de la grossesse sont proposés, car malheureusement tout montre que la situation actuelle est déplorable et dramatique et le gouvernement doit prendre ses responsabilités. Il ne peut éluder le sujet.
En effet, les enquêtes démographiques et de santé successives menées dans notre pays montrent une mortalité maternelle élevée et stationnaire depuis pratiquement une trentaine d’années à environ 400 décès pour 100 000 naissances vivantes malgré les interventions de santé publique menées depuis toutes ces années.
Ces études révèlent également une précocité des rapports sexuels chez les femmes. Avant l’âge de 18 ans, 59 % des filles ont déjà eu leurs premiers rapports sexuels. Cette précocité des rapports sexuels associée à l’absence ou à l’irrégularité de l’utilisation d’une méthode contraceptive sont à l’origine de grossesses précoces et non désirées qui se soldent par des avortements clandestins réalisés pour la plupart dans des conditions sanitaires inadéquates et non sécurisées.
Les décès maternels qui résultent des complications de ces avortements clandestins et non sécurisés représentent un cinquième des décès maternels enregistrés au Bénin.
Nous sommes tous conscients que ces dernières années, le nombre de filles victimes de grossesses précoces dans les écoles et collèges augmente avec son corolaire de déperdition scolaire. Contraintes de cacher leur état, sans espoir de trouver une personne pour les écouter, les éclairer et leur apporter un appui et une protection, la majorité d’entre elles finit par recourir à un avortement clandestin non sécurisé.
Malgré la loi 2003-04, force est de constater que les avortements clandestins continuent dans les cabinets, les cliniques et les centres de santé, parfois à la demande des parents.
Certains de ces avortements se font dans des conditions acceptables de sécurité sanitaire pour ceux qui en ont les moyens mais au risque et au péril de la carrière de l’agent de santé qualifié qui y contribue.
Combien de personnes peuvent avoir accès à un avortement sécurisé avec un personnel qualifié autorisé, dans un environnement adapté ? Combien savent qui voir pour obtenir un avortement sécurisé ?
Dans la grande majorité des cas, les avortements se font dans la clandestinité, dans des conditions d’asepsie déplorables par un personnel non qualifié et en violation flagrante de la loi même lorsque le personnel qualifié est disponible.
Nous savons aussi dans cette salle, sauf hypocrisie, qu’une femme décidée à interrompre sa grossesse, finit toujours par trouver le moyen de le faire. Si nous lui refusons nos conseils et notre soutien, nous la repoussons dans la solitude et l’angoisse d’un acte qu’elle finira par perpétrer dans les pires conditions, qui risquent de la laisser mutilée à jamais.
Ces détresses, ces désastres et ces drames sont côtoyés au quotidien par le personnel de santé en général et plus particulièrement, les gynécologues obstétriciens et les sages-femmes. Des images insoutenables de jeunes filles arrivant dans les structures sanitaires, leurs intestins enveloppés dans un pagne, marchant difficilement, infectées totalement du fait du travail de boucher perpétré par des apprentis avorteurs officiant dans les coins de rue à la recherche de ces proies faciles en détresse ;
des images de perforations utérines et autres organes de voisinage, de gangrènes utérines, d’hémorragies foudroyantes, de nécroses vaginales et utérines du fait de pratiques d’auto-avortement à l’aide de tiges, d’aiguille à tricoter, d’utilisation de produits corrosifs ou caustiques pour obtenir l’arrêt coûte que coûte de ces grossesses non désirées, toutes choses se soldant par des décès maternels ou des mutilations.
Monsieur le président de l’Assemblée nationale
Mesdames et messieurs les députés
Le crash d’un avion de quelque capacité que ce soit aurait plongé tout le pays dans un émoi à nul autre pareil. Et pourtant, chaque année, c’est au moins 200 de nos filles, épouses et sœurs représentant la capacité d’accueil d’un airbus 330, qui meurent dans ces drames en silence.
C’est ce cauchemar qu’il convient de faire cesser. L’intime conviction du gouvernement est que l’avortement doit rester l’exception, l’ultime recours pour des situations sans issue. Aucune femme ne recourt de gaieté de cœur à l’avortement. Il suffit d’écouter les femmes. C’est toujours un drame.
Mais si la femme est amenée à prendre la décision de faire une interruption volontaire de la grossesse, elle devrait bénéficier des conseils avisés, de l’accompagnement de l’Etat et avoir accès à des soins sécurisés. C’est cela que propose la modification de la loi 2003-04. Je voudrais insister pour dire que la modification du texte en vigueur vise à mettre fin aux avortements clandestins, qui sont le plus souvent le fait de celles qui, pour des raisons sociales, économiques ou psychologiques, se sentent dans une telle situation de détresse qu’elles sont décidées à mettre fin à leur grossesse dans n’importe quelles conditions. C’est pourquoi, le gouvernement a estimé préférable d’affronter la réalité et de reconnaître qu’en définitive la décision ultime d’interrompre ou pas une grossesse devra être prise par la femme.
Le gouvernement a fait l’option d’une autorisation encadrée en lieu et place d’une interdiction source d’actes effectués dans la clandestinité avec ses corollaires.
Aussi, pour éviter tous risques physiques et psychiques ou toutes autres complications, toute interruption de grossesse doit être précoce c’est-à-dire intervenir au plus tard la douzième semaine d’aménorrhée. Pour donner plus de sécurité à la femme, l’intervention ne sera permise qu’en milieu sanitaire adéquat.
Monsieur le président de l’Assemblée nationale,
Mesdames et messieurs les honorables députés,
Certains parmi vous estimeront qu’ils ne peuvent pas voter ce texte par objection de conscience ou pour des raisons religieuses.
Comme le disait Montesquieu :
«La nature des lois humaines est d’être soumise à tous les accidents qui arrivent et de varier à mesure que les volontés des hommes changent. Au contraire, la nature des lois de la religion est de ne jamais varier. Les lois humaines statuent sur le bien, la religion sur le meilleur».
Si le gouvernement a pris la responsabilité de soumettre ce projet de loi au Parlement, ce n’est qu’après une réflexion approfondie, dénuée de toute hypocrisie, sur tous les aspects de la problématique, et après en avoir mesuré la portée immédiate et les conséquences futures pour la nation.
Il est difficile de fermer les yeux sur les 200 Béninoises qui meurent chaque année des suites des complications des avortements non sécurisés et sur les centaines d’autres qui, chaque année, en sortent mutilées à vie.
La loi, si vous consentez à la voter, sera accompagnée de toutes les autres mesures d’éducation et de sensibilisation pour que, y recourir soit un fait rare. Nous veillerons à ce que l’avortement ne soit jamais considéré comme une méthode contraceptive.
Prenons la loi, mais éduquons ! Eduquons ! Eduquons !
L’histoire nous montre que les grands débats qui ont divisé un moment les hommes apparaissent avec le recul du temps comme une étape nécessaire à la formation d’un nouveau consensus social, qui s’inscrit dans la tradition de tolérance de notre pays.
C’est pour ça que monsieur le président de l’Assemblée, mesdames et messieurs les députés, le gouvernement vous invite à voter pour la modification de la loi N°2003-04 du 3 mars 2003 relative à la santé sexuelle et à la reproduction en République du Bénin.
Je vous remercie.