La Cour suprême a fait, vendredi 18 octobre dernier, sa rentrée judiciaire au titre de 2024-2025, placée sous le thème : « Justice administrative au Bénin : Enjeux et perspectives ». L’audience solennelle a été…

Rentrée judiciaire 2024-2025 de la Cour suprême: L’urgence d’agir pour une justice administrative efficace au Bénin

Rentrée judiciaire 2024-2025 de la Cour suprême: L’urgence d’agir pour une justice administrative efficace au Bénin

La Cour suprême a fait, vendredi 18 octobre dernier, sa rentrée judiciaire au titre de 2024-2025, placée sous le thème : « Justice administrative au Bénin : Enjeux et perspectives ». L’audience solennelle a été réhaussée par la vice-présidente de la République, Mariam Chabi Talata, représentant le président de la République, Patrice Talon, président du Conseil supérieur de la magistrature. 
Par   Thibaud C. NAGNONHOU

L’audience solennelle de la rentrée judiciaire de la Cour suprême pour le compte de 2024-2025 aura été l’occasion, vendredi 18 octobre dernier, de mettre à nu les insuffisances de la justice béninoise. Elle a permis de savoir que ça va mal en termes de rendement dans les chambres administratives des tribunaux de première instance et cours d’appel du Bénin. Les dossiers du contentieux administratif s’entassent et ne sont pas jugés. Une situation qui s‘apparente à un déni de justice s’observe dans ces juridictions du fond. Lesquelles juridictions ont hérité depuis 2017 la gestion de la justice administrative jusque-là assurée à titre transitoire par la chambre administrative de la Cour suprême. Le problème était en débat lors de la rentrée judiciaire qui a porté sur le thème : « Justice administrative au Bénin : Enjeux et perspectives ». Des réflexions de haut niveau ont été faites et des pistes nouvelles ont été ébauchées pour sonner le glas des dysfonctionnements notés.

Sans langue de bois, le président de la Cour suprême, Victor Dassi Adossou, abordant le thème, a mis le couteau dans la plaie. « Les stocks de dossiers recensés au 29 juin 2024, pour la Chambre administrative au niveau de toutes les juridictions du fond s’élèvent à 1010 dossiers enrôlés avec seulement 28 vidés et 982 en cours d’instruction. Nous frôlons le déni de justice. Il faut agir », a révélé le président de la Cour suprême. Les chambres administratives des tribunaux de première instance et de cours d’appel peinent ainsi à prendre le pli des réformes initiées par le gouvernement pour une justice administrative prévisible, crédible et de qualité, rendue dans des délais raisonnables.  Il est déploré une certaine lenteur qui serait due à la perception négative de la justice administrative notamment par les magistrats. Lesquels magistrats considéraient le contentieux administratif comme accessoire par rapport aux autres matières notamment civile, pénale, commerciale et sociale, avec le dépassement des délais de production des rapports et des conclusions, l’absence de moyens humains, l’effectif réduit de magistrats en charge du contentieux administratif. « Des missions d’accompagnement des juridictions du fond qu’a effectuées la chambre administrative de la Cour suprême du 5 au 9 juin et du 7 au 11 août 2023, il ressort que les collègues en charge des chambres administratives perçoivent cette discipline comme un pensum, comme rébarbative, avec, corrélativement, un stock important de dossiers en déshérence », a-t-il ajouté.

Presque un déni de justice 

Cette situation, relève le président de la Cour suprême, est inadmissible dans un Etat de droit en construction au Bénin, exigeant l’affirmation au quotidien du règne du Droit par le juge. Victor Dassi Adossou se réjouit que le gouvernement ait pris la mesure des enjeux en initiant des sessions de formation en contentieux administratif au profit des juges du fond. Il salue ce projet de formation que soutient la haute juridiction qui se voit désormais attribuer de fait, une fonction d’accompagnement pédagogique des juridictions du fond. « Il faut insister et persévérer dans cette dynamique de formation », a souligné le président de la Cour suprême. Mieux, Victor Dassi Adossou aussi les autres initiatives prises toujours dans le but de corriger les dysfonctionnements des chambres administratives dans les juridictions du fond et de les remettre au travail. Il s’agit de l’envoi en stage d’immersion à la Cour suprême, du 20 novembre au 2 décembre 2023, de 17 auditeurs de justice. « Reste maintenant à ce que tous les magistrats, tous les greffiers se convainquent de l’idée que le contentieux administratif, tout comme les autres contentieux (civil, commercial, social, pénal), relève de leur compétence d’attribution, qu’il n’est pas un contentieux supplémentaire ou complémentaire », a espéré le président de la Cour suprême. Seulement, insiste Victor Dassi Adossou, cette prise de conscience individuelle et collective devra être suivie de la prise de mesures telles que l’institution d’une fiche de rendement pour mesurer la performance quantitative des magistrats et la mise à la disposition des juridictions, de ressources humaines suffisantes en tenant compte de la charge pondérale de chaque juridiction par rapport au volume national des affaires relevant des divers contentieux. Le président de la Cour suprême recommande également l’organisation de « sessions des stocks » au niveau de certaines juridictions notamment les tribunaux de première instance de Cotonou et de Porto-Novo ; la poursuite du renforcement des capacités techniques notamment des magistrats et l’intensification des contrôles par l’Inspection des services judiciaires en vue de mettre un accent particulier sur la gestion des dossiers de contentieux administratif. 

En prendre de la graine

« L’enjeu est de garantir l’Etat de droit et aucune branche du droit, aucun contentieux ne devra échapper au contrôle et à la sanction du juge », a martelé Victor Dassi Adossou. C’est d’ailleurs pour cela, dit-il, que la Cour suprême a dédié l’audience solennelle de sa rentrée judiciaire à ses jeunes collègues des juridictions du fond en charge du contentieux administratif afin qu’ils en prennent de la graine avec l’espoir qu’elle sera pour eux une source d’engagement et de repère. La même situation de presque de déni de justice administrative dans les juridictions du fond a été déplorée aussi par le procureur général près la Cour suprême, Saturnin Affaton, dans ses réquisitions lors de l’audience solennelle, et le bâtonnier de l’Ordre des avocats du Bénin, Me Angelo Hounkpatin, au nom de l’ensemble des auxiliaires de justice.   

Mariam Chabi Talata, vice-présidente de la République, représentant le président de la République, Patrice Talon, président du Conseil supérieur de la magistrature, partage les mêmes constats. Elle rassure les uns et les autres que le gouvernement intensifiera les initiatives pour inverser la tendance dans les juridictions du fond pour que les dossiers du contentieux administratif bénéficient des mêmes attentions que ceux des autres matières judiciaires■

Les défis de performance relevés à la Cour suprême

L’année judiciaire 2023-2024 écoulée a été très laborieuse pour la Cour suprême en lien avec la vision pragmatique de l’institution: une juridiction ne fonctionne que lorsqu’elle rend des décisions, des décisions de qualité et dans des délais raisonnables. Ainsi, accomplissant sa mission juridictionnelle, la haute juridiction a poursuivi l’assainissement de ses stocks de procédures. La chambre judiciaire a rendu 602 arrêts, contre un objectif annuel de reddition de 500 arrêts, soit un taux de production de 120,4 %, a indiqué le président de la Cour suprême, Victor Dassi Adossou. Selon lui, la quasi-totalité des procédures non encore jugées à la chambre judiciaire datent seulement des années 2023 et 2024. Le point de la moyenne du taux de cassation des procédures connues par la chambre judiciaire et dont les pourvois émanent des trois Cours d’appel du Bénin à savoir celles de Cotonou, d’Abomey et de Parakou ; de la Cour de répression des infractions économiques et du terrorisme (Criet) et de la Cour spéciale des affaires foncières (Csaf) n’a pas été passé sous silence. Ici, le président de la Cour suprême a informé que le taux de cassation au plan national est de 8,67 % soit 7,50 % pour la Cour d’appel de Cotonou, 9,66 % pour la Cour d’appel d’Abomey, 10,96 % pour la Cour d’appel de Parakou, 11,76 % pour la Criet et 0 % pour la Csaf. “La production juridictionnelle de la chambre judiciaire qui est en nette évolution depuis des années, est malheureusement questionnée par le nombre de pourvois enregistrés au cours de l’année et qui s’est élevé à 868 avec un pourcentage de 52,71 % de pourvois introduits en matière foncière”, a ajouté Victor Dassi Adossou. L’augmentation importante des pourvois dans la matière foncière, analyse-t-il, est à mettre en corrélation avec la réforme législative opérée avec l’adoption de la loi n° 2022-12 du 5 juillet 2022 portant règles particulières de procédure applicables devant les formations juridictionnelles de la Cour suprême, qui en son article 3 rend suspensifs les pourvois introduits en matière de droit de propriété foncière. S’agissant de la chambre administrative, elle aura rendu le maximum d’arrêts qu’elle pouvait rendre soit 52 décisions, faute de contentieux. Il n’y a que 21 dossiers en cours d’instruction devant la chambre administrative et qui n’ont été introduits qu’à partir du mois d’avril 2024.

Le Parquet général, au confluent de toutes les procédures de la Cour suprême, a reçu en communication au cours de l’année 2023-2024, au total 774 procédures dont 56 de la chambre administrative et 718 de la chambre judiciaire. Il a produit ses conclusions sur la totalité des 774 procédures communiquées, s’est réjoui le président de la Cour suprême. Tous les acteurs de la haute juridiction sont encore mobilisés pour le même exercice au cours de l’année judiciaire qui vient de commencer.

La Nation