L’Assemblée nationale a organisé les 15 et 16 février 2018 à Cotonou, un séminaire parlementaire sur la réforme du système partisan. Une occasion pour la représentation nationale de soumettre, à la société civile et aux représentants des partis politiques, ce, en présence des députés, la nouvelle proposition de charte des partis politiques. Mais à la lecture, il s’agit d’une proposition irréaliste, liberticide ayant tendance à prôner, à n’en point douter, le retour au parti unique.
En 70 articles seulement, le Bloc de la majorité présidentielle (Bmp) au parlement soutenant les actions du président Patrice Talon fait une proposition de loi tendant au retour au parti unique au Bénin. Sous le fallacieux prétexte de la nécessité du financement public des partis politiques.
En effet, s’il est constant que la plupart des hommes politiques en trouvent à redire sur le système partisan au Bénin, ce n’est pas une raison pour piéger tout un peuple. Ceci, à travers une proposition de loi portant nouvelle charte des partis politiques et transmise le 15 janvier 2018 par le député Louis Vlavonou-ancien secrétaire général de la douane-au président de l’Assemblée nationale. La proposition, contrairement à la réforme de la Constitution béninoise du 11 décembre 1990 rejetée il y a an, a été soumise les 15 et 16 février 2018 à la classe politique élargie à la société civile. Un document liberticide et qui sera difficile d’application s’il était adopté en l’état. Retour sur quelques dispositions à polémique.
Déjà l’article 11 qui propose une agence. Cette structure administrative dite pourtant indépendante dénommée ” Agence nationale d’enregistrement et de suivi des partis politiques” sera dirigée par un Directeur exécutif qui sera nommé par le chef de l’Etat et dont la plupart des membres proviennent des ministères. L’agence même dépendra du ministère de l’intérieur. Dans ces conditions, pourquoi ne pas renforcer juste la Direction générale des affaires intérieures qui a fait le boulot jusque-là? Pourquoi créer partout des agences dans le pays à la place des ministères? Et en plus, une agence budgétivore alors que les fonctionnaires de la République peuvent faire le travail?
7700 personnes pour un congrès constitutif
L’article 21 de la proposition prévoit que pour créer désormais un parti, il faut 100 membres fondateurs par commune. Etant donné que le Bénin compte 77 communes, cela va s’en dire que pour le congrès constitutif du parti, il faut 7700 présences. Ces congressistes vont pouvoir se regrouper dans quelle salle au Bénin pour la tenue de ce congrès; sans oublier les autres invités. Quid des moyens pour faire déplacer et nourrir tout ce beau monde présent au congrès constitutif? Bref, s’il faut s’aventurer sur une petite estimation, sans les charges de la tenue du congrès constitutif, soit pour tenir les pièces à jour, il faut au moins 40 millions de francs Cfa pour créer un parti. Il n’est pas à écarter les risques de perte des dossiers de 7700 personnes. Il faut désormais être riche pour s’aventurer sur le chemin de la création des partis politiques; le vote censitaire n’est donc plus loin si cette proposition de la majorité des députés passait.
Par ailleurs, il existe dans la proposition d’autres dispositions qui causent problème et qui montrent à suffisance la tendance pour le retour à ce que dame Rosine Soglo appelle le retour au parti unique et ce que le président Houndété qualifie de risque de bipartisme. Il s’agit des articles 44 et suivants. Selon la proposition, ce financement ne concerne que les partis qui sont représentés à l’Assemblée nationale. Que faire des partis politiques qui font élire des conseillers communaux ou de village et de quartier de ville? Comment vont-ils supporter les charges relatives à l’animation de la vie politique?
Ou alors veut-on nous faire croire que l’animation de la vie politique n’a lieu qu’au parlement?
En outre l’article 40 dispose que le financement provenant de l’extérieur est interdit.
En réalité, à y scruter de près, quoi qu’une proposition de loi, l’article 45 est un morceau du projet de constitution rejeté. Ainsi, cet article dispose que pour bénéficier du financement public, il faut avoir au moins 17 députés et dans 10 circonscriptions différentes. L’histoire politique du Bénin au lendemain de la Conférence nationale, enseigne que c’est impossible. Combien de partis ou alliances de partis politiques par législature ont pu avoir 17 députés dans 10 circonscriptions électorales différentes. En 1999, seule la Rb a fait un raz de marée historique en décrochant 27 sièges mais dans moins de 10 circonscriptions électorales. Ce qui signifie que si cette loi était en vigueur depuis la Conférence nationale aucune liste ne serait éligible au financement public en 1991; 1995; 1999. Et on peut continuer par donner des exemples. Sans insister sur le fait que la proposition ne dit pas la conduite à tenir lorsqu’un seul parti réussit, par miracle, à avoir le 1/5 des sièges. Va-t-il ramasser seul les plus de 5 milliards ? Dans la réalité, seul le parti au pouvoir peut réussir à avoir 17 sièges dans plusieurs circonscriptions électorales pouvant atteindre ou non 10. On court un risque de concentration des ressources financières aux mains d’une seule liste, ou au plus deux.
Il est aussi à dénoncer que la proposition de nouvelle charte ne favorise pas l’approche genre.
L’article 66 sur les dispositions transitoires prévoit un délai de 6 mois aux partis existants pour s’y conformer alors que pour la charte en vigueur la loi a disposé d’un délai d’un an pour la mise en conformité.
“On se croit aujourd’hui fort et on veut éliminer certains du financement public des partis politiques à venir. Cela veut dire par exemple que le PCB ne pourra pas bénéficier d’un financement alors que c’est grâce entre autres au PCB qu’on parle de démocratie au Bénin et en Afrique noire. C’est l’un des partis les plus structurés” a déploré le député Noureni Tidjani le vendredi 16 février 2018 au séminaire parlementaire sur la réforme du système partisan.
Le coup de gueule de Rosine
Pour Rosine Vieyra Soglo, ex première dame et député de la minorité à ce séminaire, il n’est pas opportun de mettre en place une nouvelle loi portant Charte des partis politiques en République du Bénin. “Il faut peut-être corriger les insuffisances de la charte actuellement en vigueur”. Mme Rosine va plus loin en affirmant que c’est le président de la République, Patrice Talon qui impose cette proposition à travers sa majorité. “C’est une manière pour Talon de nous mettre la corde au cou. Mais il oublie que c’est grâce à l’actuelle charte qu’il a été élu président de la République. Et pourquoi il trouve aujourd’hui que la charte est mauvaise. Il faut juste corriger la Charte qui est en vigueur. Nous n’avons pas de problème de charte. Nous avons des problèmes de faim. Le peuple a faim M. Le Président”.
Sur la question du financement, Mme Soglo estime que les membres fondateurs des partis existant ne libèrent pas les cotisations. Elle prend exemple sur son parti, la Rb. Avec la proposition de consacrer 0.5 des ressources propres du budget aux formations politiques, elle pense que c’est une manière déguisée de retourner au parti unique PRPB. “Jupiter est en train de le (ndlr: Talon) rendre fou”.
Pour plus de précision, selon l’encyclopédie, dans la mythologie grecque, Jupiter est le dieu le plus important. Il règne sur la terre, et sur le ciel, mais aussi sur tous les dieux et sur les hommes.
M.M