Après le voyage pontifical au Bénin en 1982, le souverain pontife, grand voyageur de l’Église Catholique, chantre du dialogue interreligieux, est venu à la découverte du Renouveau démocratique sous la présidence de Nicéphore Dieudonné Soglo…. Retour sur ce voyage effectué 11 ans après le premier.
Le Pape Jean-Paul II effectue son deuxième déplacement officiel au Bénin, du 3 au 5 février 1993. Une visite désormais inscrite en lettre d’or dans les annales des relations diplomatiques entre le Vatican et l’État béninois, relations qui célébraient ses 30 ans d’existence !
Et vint la polémique
La mobilisation générale battait son plein quand une polémique a vu le jour ! En effet, le Pape Jean-Paul II a émis le souhait de rencontrer, au cours de son séjour au Bénin, la délégation des responsables du culte Vodoun. Certains Curés, certains prêtres et non des moindres, ont publiquement, au cours de leur homélie dans les paroisses, désavoué cette initiative de dialogue interreligieux prôné par le Saint-Père. Ils voyaient d’un mauvais œil cette rencontre programmée et voulue par le Souverain Pontife, avec les responsables du Culte Vodoun au Bénin. Mgr Isidore de Souza, Archevêque de Cotonou, à cette époque, ne comprenait pas l’utilité de ce débat qui ne devait pas mobiliser les médias !
Ce débat a galvanisé l’ardeur des vodounons et vodounsis à accueillir dans la joie et le respect, le Guide éclairé de l’Église Catholique, à travers le monde. Imperturbables, sereins et déterminés, Mgr Isidore de Souza et le Président Nicéphore Soglo ont conduit tous les débats et séances de travail, avec doigté, clairvoyance et dans la vision de l’État du Vatican : celle du dialogue interreligieux, cher au Pape JeanPaul II.
Homélie pleine de portées historiques
C’est le 3 février 1993 à 14h 30mn, que l’Airbus A300 d’Alitalia, spécialement affrété par le Vatican, se posa comme prévu à l’aéroport international de Cadjèhoun. Déjà vers 14h, les premières personnalités arrivent à l’Aéroport, alors que la foule venue nombreuse, s’installe autour de l’Aérogare au bord de la piste. Le Président de l’Assemblée Nationale, Maître Adrien Houngbédji, les anciens Présidents de la République, Hubert Maga, Emile Derlin Zinsou, Justin Ahomadégbé Tomètin, Maurice Kouandoté, Paul Emile de Souza, les six évêques du Bénin et à leur tête Mgr Isidore de Souza, les membres du gouvernement, le Corps diplomatique au grand complet, les délégations extérieures, surtout celles du Togo, les cadres à divers niveaux, ont pris place le long du tapis rouge disposé en bordure du pavillon d’honneur.
A 14h12mn, le président Nicéphore Soglo, chaleureusement accueilli, applaudi par l’assistance, fait son entrée dans le Salon d’honneur de l’aéroport. Une rumeur sourde monte de la foule. Quelques cris, puis une formidable acclamation. L’ancien chef d’État, le général Mathieu Kérékou vêtu d’une austère costume bleu-nuit fait une entrée triomphale sur la piste où il rejoint les autres personnalités. A 14h36mn, l’avion du SaintPère s’immobilise.
Le Nonce Apostolique et Mgr Lucien Agboka, président de la Conférence épiscopale du Bénin, montent à bord. Quelques minutes plus tard, le Pape apparaît sous les applaudissements nourris. Le Souverain pontife salue la foule, descend la passerelle, en bas de laquelle l’attendent le président Nicéphore Soglo et son épouse Mme Rosine Vieyra Soglo. S’ensuivent des poignées de mains chaleureuses, les 21 coups de canons, l’exécution des hymnes du Vatican et du Bénin, la revue des troupes et la présentation des personnalités présentes.
Effectuant pour la seconde fois un séjour au Bénin, le Saint-Père n’a plus embrassé le sol à sa descente d’avion. Le Souverain Pontife et le président Soglo, installés sur un podium, prononcent à tour de rôle, leurs discours. Après avoir souhaité la bienvenue au Pape, le Chef de l’État béninois salue _« le digne représentant de l’Église catholique, le Pape des causes justes, de la paix, de l’amour, de l’amitié et du dialogue entre fils de Dieu…»_ Il a remercié le Saint-Père pour avoir accepté de rendre visite une seconde fois au peuple béninois, malgré son agenda très chargé.
Le président Nicéphore Soglo a rappelé que lors de la première visite papale le 17 février 1982, _« le pays expérimentait alors une conception du monde et de l’homme dont la pratique basée sur le déterminisme, ennemi de toute spiritualité et de toute liberté, a entraîné ses enfants vers les périlleux sentiers du doute, de la suspicion et de la division. Aujourd’hui, grâce à la Conférence des forces vives de la nation, le peuple qui accueille dans la joie et l’allégresse Votre Sainteté est au contraire rempli d’espoir. L’Église catholique, par la valeur de ses équipes, de ses fidèles, la cohérence de sa doctrine, la fermeté de ses desseins, a joué en la personne de Mgr Isidore de Souza, un rôle éminent dans cette renaissance de notre patrie »._ Le président Soglo est chaleureusement applaudi. En réponse à cette courte allocution, le Souverain pontife salue l’expérience démocratique béninoise et _« se réjouit de la ferveur de l’accueil qui est plein de sens et de vivacité, dans la pure tradition de l’Église catholique du Bénin, du travail des Fidèles, des Prêtres, des Curés, des Diacres, des Sœurs religieuses et des Laïcs…»._
Jean-Paul II a encouragé les Béninois et leurs dirigeants à plus de responsabilité, au devoir, à l’équité, à la justice, à la gouvernance et à la solidarité. Il loue l’expérience béninoise qui est synonyme _« d’un vaste effort de renouvellement qui stimule les autres membres de la famille des nations du continent et fait la fierté de l’Afrique et de la communauté internationale. Le Bénin ne cessera jamais de nous étonner, car engagé dans un processus de dignité, de valeurs multiples à partager, dans des sacrifices, de responsabilités, de victoire et de détermination …»_
Après ces mots francs et directs, ces échanges à l’aéroport, le cortège s’ébranla vers le stade de l’Amitié de Kouhounou à Cotonou. Debout dans sa “Papamobile”, une 4×4 Mercedes Blindée, qui le suit partout dans ses voyages Jean-Paul II quitte l’aéroport pour un circuit d’une quinzaine de kilomètres en ville. Tout au long du parcours, une foule immense et enthousiaste l’acclame, agitant des fanions aux couleurs du Bénin et du Vatican. Et c’est dans une ambiance bon enfant que le cortège fait son entrée dans le stade de l’Amitié.
C’est l’Apothéose ! Des cris de joie venaient de partout ! Des chants et danses s’exécutaient par des fidèles heureux de recevoir le Chef Suprême de l’Église Catholique dans le monde ! Après un tour de piste, le Pape rentre dans les vestiaires convertis pour l’occasion en sacristie. A tour de rôle, les personnalités gagnent leur place en bas de l’autel sur la pelouse. En matière de sécurité, toutes les dispositions utiles et adéquates ont été prises par les différents responsables sous l’autorité du Ministre de l’Intérieur, feu Richard Adjaho.
Messe de bénédiction papale
Le soleil, qui nous menaçait depuis le matin, au stade de l’Amitié, s’est brusquement transformé en un ciel gris, laissant entrevoir une pluie prochaine. Et c’est sous cette menace d’averse qui n’interviendra pas que toutes les cérémonies prévues au stade de l’Amitié se sont déroulées, en fait, avec un temps béni du Seigneur et du Saint-Esprit !
La messe de bénédiction papale aura duré plus de trois heures d’horloge. Elle sera marquée par une riche et historique homélie et par l’ordination sacerdotale de onze diacres. Ce furent d’intenses moments de prières, de communion, de solidarité et de respects envers des peuples d’Afrique meurtris par la guerre, la famine, la dictature et l’oppression militaire. Jean-Paul II était en communion avec les peuples du Togo, d’Angola, du Tchad, du Libéria, de la Sierra Léone, de la Guinée-Conakry, du Sud-Soudan, de la Guinée-Bissau.
Il est vrai que la situation politique au Togo en février 1993 était préoccupante, très tendue : droits de l’homme bafoués ; journalistes et membres des Ong poursuivis et arrêtés ; hommes et femmes politiques interpelés; les libertés publiques confisquées. La situation au Togo inquiétait beaucoup le Saint-Père. C’est pourquoi dans son homélie, JeanPaul II a salué _« le courage de l’Église catholique du Togo, le travail des fidèles, des laïcs, des jeunes, des femmes, de nos mères qui supportent l’humiliation et les intimidations, pour rendre possible la parole de Dieu, le message de l’Église… La violence et le mépris des aspirations légitimes des citoyens n’ont jamais conduit au progrès civique et social. On peut même dire qu’ils traduisent souvent un comportement irresponsable. Seules les valeurs qui cimentent l’ordre démocratique et la consolidation de l’État de droit permettent de préparer un avenir meilleur…»_
Ces propos, prononcés en direct, sur plusieurs chaînes de Télé, de Radios devant plus de 90.000 personnes, par le Saint-Père à l’endroit des peuples opprimés et humiliés d’Afrique, surtout à l’égard de la forte délégation de l’Église catholique du Togo, présente à cette Grande Messe de bénédictions papales, ont déclenché des applaudissements incessants de la part de tous. C’est vers 19h30 mn que le Pape quitte le stade de l’Amitié pour rejoindre l’Archevêché en compagnie de Mgr Isidore de Souza.
S’adressant aux sept évêques du pays, le Souverain pontife fixe des limites très strictes à l’action politique des prêtres : _« Je suis très heureux du grand service que la hiérarchie de ce pays, en la personne de Mgr Isidore de Souza, a rendu à la Nation, à un moment important de son histoire et je vous félicite vivement. D’une manière générale, je forme le vœu que celui qui a cru devoir accepter exceptionnellement, par esprit évangélique, une mission temporaire d’ordre politique revienne sans tarder à sa mission propre, la charge d’âmes, pour laquelle il a reçu l’ordination. En effet, dans ce domaine, il convient que le relais soit passé aux fidèles laïcs dès que possible, selon ce que déclare le catéchisme de l’Église catholique : il n’appartient pas aux pasteurs de l’Église d’intervenir directement dans la construction politique et dans l’organisation de la vie sociale…»._
Cette déclaration du Pape Jean-Paul II a eu l’effet d’un véritable coup de tonnerre sur la scène politique béninoise. Mgr Isidore de Souza occupait une position de tout premier plan. Il occupait la fonction de président du Haut Conseil de la République, l’organe qui a supervisé et proclamé tous les résultats des premières élections démocratiques au Bénin, en 1990 et 1991. Le Saint-Père a seulement rappelé le bien fondé des choses et la doctrine de l’Église catholique romaine.
Par Constant Agbidinoukoun, Journaliste-Chercheur
Souce Extérieure