Il se développe de plus en plus dans les grandes villes du Bénin, notamment Cotonou, une forme particulière de mendicité. Des personnes bien portantes, richement habillées vous abordent avec des histoires à dormir debout, dans le seul dessein de vous soutirer de l’argent.
Belle, teint clair sur un visage rond surmonté d’un joli grain de beauté, on pouvait tout s’imaginer à la vue de cette belle silhouette, la trentaine, sauf la soupçonner de mendier. Pourtant, c’est ce qu’elle s’est donné comme activité, du moins en cette soirée d’un mardi, sur le parking d’un hypermarché de Cotonou. Assise à bord d’un véhicule Almera Tino, couleur grise et d’immatriculation récente, elle semblait préoccupée sur le volant. Un air soucieux qui n’est en réalité que l’appât qu’elle tend à la plupart des clients qui arrivent ou partent des lieux. « Je suis venue pour faire des achats urgents, mais je me rend compte que mon budget ne me le permettra pas. Pourriez-vous m’aider pour 5000 ou 10 000 francs, s’il vous plaît ? » C’est dans un français impeccable que celle qu’il ne serait pas exagéré de désigner par l’appellation « mendiante » a abordé en un laps de temps, trois passants. Deux d’entre eux ont réussi à s’extirper du piège. Troisième, sur insistance de la mendiante finit par mettre la main à la poche. Difficile de dire de combien il a été délesté. Toujours est-il qu’il s’est laissé prendre au piège.
Cette scène, bien d’autres clients de cet hypermarché de Cotonou l’ont vécue. Loin d’être anodin, le phénomène devient récurrent dans la ville de Cotonou notamment ; et les témoignages sur cette forme d’arnaque ne manquent pas. Il suffit d’évoquer le sujet pour que des victimes ou des témoins de telles scènes se vident, car cela relève désormais du quotidien dans la cité économique du Bénin où la vie a l’air d’être de plus en plus chère.
Elles sont en effet devenues très nombreuses ces personnes qui trouvent un motif pour se jeter dans la rue, se rendre dans les administrations publiques et privées, ou tout autre endroit propice pour solliciter l’aide de ceux qu’ils y trouvent. Tous les arguments sont bons pour opérer. Ils vont des plus simples aux plus inimaginables et saugrenus. Ces mendiants d’un autre genre y vont de toute leur intelligence.
Christian Boko, cadre de l’Administration publique, a également croisé sur son chemin, un dimanche après-midi, un de ces « mendiants de luxe » qui arpentent les rues de Cotonou. « Le monsieur était d’un certain âge, très bien habillé et coiffé d’un beau chapeau. Il disait chercher de quoi payer son taxi pour Porto-Novo. Je m’y rendais aussi, mais toutes mes tentatives pour le convaincre de faire le voyage à deux n’ont pas prospéré. Il insistait pour avoir un billet, ne serait-ce que 1000 francs ». Celui-ci conclut alors qu’il s’agissait d’une arnaque et que son vis-à-vis n’effectuait aucun voyage. Il dut, confie-t-il, le congédier après un bon sermon. Et c’est « sans remords » que l’intéressé aurait poursuivi son chemin, sans doute pour chercher d’autres victimes.
Une ‘‘gangrène’’ sociale
Ces exemples, loin d’être isolés, abondent dans la ville, chaque jour qui passe. Aux abords des banques et des restaurants, parfois même à l’intérieur, on rencontre de plus en plus ce type de personnages, souvent très élégants qui vous abordent avec sérénité et confessent des difficultés certainement imaginaires auxquelles très peu parviennent à résister. Si souvent ces « mendiants Vip » parviennent à se tirer d’affaire en soutirant de l’argent à leurs cibles, d’autres comme Euphrem Monsi Gandaho par contre sont catégoriques sur le traitement défavorable que méritent ces personnes. Ce technicien en génie civil est très remonté contre cette pratique et invite même à une dénonciation. « Ces personnes constituent une gangrène pour la société à plus d’un titre », opine-t-il, invitant les autorités « à prendre des mesures contre toutes personnes bien portantes qui arpentent les rues ». Selon lui, « C’est une autre forme de criminalité silencieuse et il faut vite la freiner ».
Précieuse Nadie Sèmanou, une internaute, n’est pas d’avis contraire. « Si vous disposez de vos quatre membres et décidez délibérément de signer un pacte avec l’oisiveté, vous représentez un danger pour la société », publie cette dernière, racontant sur sa page Facebook, l’exemple d’une vendeuse d’ananas rencontrée dans un marché. « Elle portait son bébé au dos, de l’ananas sur sa tête et n’était portée à son tour que par une seule jambe et une béquille. Malgré une jambe amputée, cette femme a décidé de dire à la vie que c’est elle-même qui décide de ce qu’elle fera de sa vie et de montrer à la vie que les mille raisons qu’elle lui donne pour se coucher dans le lit de la fatalité représentent pour elle une motivation », a publié il y a quelques jours. Précieuse Nadie Sèmanou, un peu comme pour dénoncer la facilité recherchée par certaines personnes.
Des profiteurs
Mais à y voir de près, ce dont profitent ces mendiants dits de luxe, c’est de la réalité sociologique du pays. Karen Houéfa Ganyé, docteur en sociologie, reconnaît cette nouvelle forme de mendicité, qu’elle qualifie de « mendicité de classe ». Elle soutient à ce propos qu’« au Bénin, on nous a inculqué l’esprit d’amour, de solidarité et de soutien aux plus démunis, surtout par le biais de la foi et de la croyance ». Pour elle, en effet, ceux qui se livrent à cette forme de mendicité savent que « le Béninois vient en aide quand il se sait en situation de faire bonne action ou d’être bon Samaritain. Donc ils en profitent ».
Ibrahim Moussa, planificateur de formation et fidèle musulman, indique qu’il est demandé aux musulmans d’être généreux en toute circonstance. Ce qui justifie le fait qu’en tout temps, ces derniers témoignent une certaine affection aux mendiants, toutes catégories confondues, et répondent favorablement à leur quête. Il rappelle à ce propos la prescription du saint Coran qui indique : « Quant au demandeur, ne le repousse pas ». Avis très peu partagé en tout cas, par Fidelia Ahlonsou, responsable d’entreprise et chrétienne, qui oppose à cette vue du planificateur et fidèle musulman, « le passage de la Bible qui indiquera qu’il faut manger son pain à la sueur de son front ».
L’autre explication que donne la sociologue à ce phénomène en pleine expansion, ce sont les crises que connaît de plus en plus la société, avec son corollaire de chômage, de vie dure et chère, sans oublier « la crise économique qui fait que certains n’arrivent plus à tenir ». Hormis les raisons sus- évoquées, Dr Karen Houéfa Ganyé, trouve également que « la paresse et la quête du gain facile » ont une bonne part dans cette option faite par certains.