Après Riyad où il a participé au sommet Arabo-islamique-américain sur le terrorisme et l’intégrisme religieux, le président béninois, Patrice Talon, a également pris part, lundi 22 mai 2017 à Ahmedabad en Inde, à l’Assemblée annuelle du Groupe de la Banque africaine de développement (Bad). Dans un entretien accordé à Financial Afrik, le président Talon revient sur la thématique du financement de l’industrie agricole en Afrique, le tourisme béninois et son projet de révision constitutionnelle.
FA : Quel peut être l’apport de la BAD au financement de l’économie béninoise ?
Patrice Talon : La Bad est une banque fort utile pour nous, d’autant plus qu’elle vient remplir un vide que nous laissent les banques commerciales. Elles ont parfois beaucoup de difficultés à financer les programmes d’investissements qui ont de besoin de financements sur le long terme et à des taux convenables. Je donne l’exemple du secteur agricole, surtout la petite industrie de transformation des produits agricoles. C’est un secteur où tout est à faire en Afrique, notamment au Bénin. En matière agricole, nous transformons très peu, sinon, pas du tout. Mais dans ce domaine, il y a beaucoup de valeur ajoutée, des emplois à créer, bref, il y a un tissu industriel à mettre en place. La Bad est véritablement une institution bancaire qui peut financer ce genre d’investissement, d’infrastructures aussi bien agricoles qu’industrielles et il est important pour nous qu’elle ait les moyens d’accompagner cette panoplie d’investissements. C’est pour cela d’ailleurs qu’à ces assemblées, nous avons plaidé pour que la BAD ait plus de fonds propres pour pouvoir lever davantage de ressources pour financer toutes ces unités de transformation dont nous avons besoin.
Le Bénin réclame à la France, la restitution de ses œuvres d’art pillées depuis l’époque coloniale, et reste d’ailleurs le premier pays africain à en avoir fait la demande officielle auprès du Quai d’Orsay. Quel devra être leur apport à votre économie ?
Le tourisme est un secteur de création de richesses, et peut contribuer à transformer l’environnement économique d’un pays. Or, le patrimoine culturel est un élément important du tourisme. Que ce soit dans nos musées, dans nos centres d’attraction, tout ce qui est attractif et qui appartient à un Etat, s’il peut le favoriser dans le cadre de la promotion touristique, c’est extraordinaire. Et nous voulons ces biens. Nous ne sommes pas dans la revendication, parce que c’est un sujet qui est complexe. Mais nous souhaitons développer avec la France, un partenariat ou une collaboration qui fait que certains biens peuvent être retournés, comme c’est déjà le cas dans le passé dans d’autres pays. Certains peuvent être prêtés pour un temps, et même nous pouvons faire des copies pour d’autres. C’est quelque-chose qui doit nous amener à développer notre programme touristique à travers le patrimoine mémorial historique qui, pour nous, est un élément important de ce programme.
Et où en êtes-vous au jour d’aujourd’hui ?
Les discussions sont en cours entre la France et nous, ça évolue et nous pensons que la France finira par donner une suite favorable à cela.
Parlons politique, monsieur le président. Que devient votre Projet de révision de la Constitution ?
Malheureusement, j’ai échoué là-dessus (rires). Il y a quelques semaines, j’ai présenté mon projet de révision de la Constitution au Parlement. Au Bénin, le vote parlementaire est un préalable à toute forme de modification, même si c’est par voie référendaire. Soit la constitution est modifiée par voie parlementaire, et il faut les 4/5e du Parlement pour la modifier, ou c’est par référendum. Mais avant d’aller au référendum, il faut que les ¾ du Parlement fassent d’abord un vote d’acceptation, un vote de prise en considération du projet. Notre parlement compte 83 députés. Il lui fallait 63 pour approuver le projet avant qu’il ne soit examiné. Malheureusement, j’ai eu 60 députés, et le Projet de révision n’a même pas été examiné. Ça n’a même pas été lu du tout. En fait, ça a été un blocage politique. La démocratie fait que dans les pays, il y a toujours une opposition et parfois, l’opposition a une attitude politique. Au Bénin, elle a une attitude politique. Elle n’a pas cherché à regarder ce que nous proposions. Il ne fallait pas que ça marche. Il ne fallait pas que j’ai ce succès. J’attends donc d’avoir une opportunité plus affirmée, des conditions les plus indiquées pour éventuellement reprendre cette bataille, parce que la révision de la Constitution m’est indispensable pour réformer notre modèle politique.
Pourquoi un tel optimisme dans cette « bataille » ?
Juste parce que notre Constitution a fait son temps, et elle contient beaucoup d’avatars. Je vais donner un exemple très simple. Vous avez une Constitution qui consacre l’impunité. Au Bénin, il n’y a aucun moyen d’enquêter, ou de savoir ce qu’a fait un ministre pendant qu’il a été en fonction. Encore moins de le juger. Vous avez été ministre il y a 10 ans, il y a 20 ans, vous n’êtes plus ministre, personne ne sait ce vous avez fait. Même si la chose est flagrante et tout le monde voit que vous avez agi contrairement à la bonne gestion, à la bonne règle, des choses répréhensibles et reprochables, il n’est même pas possible de vous questionner là-dessus, parce qu’il faut d’abord un double vote parlementaire. Il faut que le Parlement autorise l’instruction, à 2/3 minimum. Après cette étape, même s’il y a une enquête qui prouve que vous avez été coupable de quelque-chose, il faut encore un deuxième vote parlementaire au 2/3 toujours pour que vous puissiez être poursuivis. Autant de choses qui font que jamais au Bénin, on ne peut demander des comptes à un ancien gouvernant. Ce sont des choses qui ne sont pas du tout favorables à la bonne évolution d’un pays, parce que l’Afrique a besoin d’améliorer sa gouvernance. Et ne serait-ce que pour ça, il fallait impérativement réviser la Constitution.
Source : FinancialAfrik.com