La Cour constitutionnelle vient de rendre trois décisions relatives aux recours des mois d’avril et de mai 2018. Le premier recours est relatif au transfert en prison du député Taofick…

Transfert du député Hinnouho à la prison sans avis médical : Une décision conforme à la constitution selon la Cour

Transfert du député Hinnouho à la prison sans avis médical : Une décision conforme à la constitution selon la Cour

La Cour constitutionnelle vient de rendre trois décisions relatives aux recours des mois d’avril et de mai 2018. Le premier recours est relatif au transfert en prison du député Taofick Moamed Hinnouho sans avis médical par le procureur de la République près le tribunal de première classe de Cotonou. Après analyse dudit recours formé par le sieur Robert Mathieu Fiovi, les sages ont décidé qu’ « Il n’y a pas violation de la Constitution ». La Cour a également statué sur le recours formé par l’honorable Hinnouho lui-même. Celui-ci est un recours en inconstitutionnalité de la décision n° P. 2018-03/AN/PT du 07 mai 2018 et de la demande de levée de son immunité parlementaire faite par le Procureur général près la cour d’Appel de Cotonou. « Il n’y a pas violation de la Constitution » a décidé la Cour constitutionnelle après analyse du recours de l’honorable. Le dernier est celui formé contre le conseil des ministres du 18 avril 2018. Pour ce, la Cour constitutionnelle, dans sa décision DCC 19-081 du 28 Février 2019, a déclaré qu’il n’y a pas violation de la Constitution. (Lire ci-dessous les trois décisions)

DECISION DCC 19-083 du 28 Février 2019
La Cour constitutionnelle
Saisie d’une requête en date à Abomey-Calavi du 16 mai 2018, enregistrée à son secrétariat le 17 mai 2018 sous le numéro 0895/149/REC-18, par laquelle monsieur Robert Mathieu FIOVI, demeurant à Abomey-Calavi, forme un recours en inconstitutionnalité du transfert à la prison sans avis médical préalable d’un malade hospitalisé ;
Considérant que monsieur Robert Mathieu FIOVI expose que le dimanche 13 mai 2018, le Procureur de la République près le tribunal de première Instance de première classe de Cotonou a ordonné à monsieur le régisseur de la prison civile de Cotonou de déposer à la prison civile monsieur HINNOUHO Mohamed Taofick, député à l’Assemblée nationale, alors interné en psychiatrie au Centre hospitalier universitaire Hubert Koutoukou MAGA ; que le Procureur de la République n’a pas pris au préalable l’avis du médecin traitant du malade et qu’en dépit de l’opposition du malade, il a été conduit et déposé à la prison civile de Cotonou par monsieur Fulbert S. KONTO ; que ce faisant, il y a violation du droit à la santé du malade et des articles 8, 19 al 2, 35 et 36 de la Constitution ;
Considérant qu’en réponse, le régisseur de la prison de Cotonou observe qu’au moment des faits, il était en stage au Gabon ; que c’est à tort que le requérant cite son nom dans cette affaire ; qu’au soutien de ses observations il a produit au dossier les notes de service n°18-0516/EMG/PSRI/DRI/BEA/SA du 20 février 2018 et n°222/DGPR/SG/DRHC/SOPR/SA du 07 août 2018 ;
Considérant que le Procureur de la République près le tribunal de première Instance de première classe de Cotonou, n’a pas répondu aux mesures d’instruction de la Cour ;
Considérant qu’aux termes des articles 8 et 18 alinéa 1 de la Constitution, « La personne humaine est sacrée et inviolable. L’Etat a l’obligation absolue de la respecter et de la protéger. Il lui garantit un plein épanouissement. A cet effet, il assure à ses citoyens l’égal accès à la santé, à l’éducation, à la culture, à l’information, à la formation professionnelle et à l’emploi. » et « Nul ne sera soumis à la torture, ni à des sévices ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. » ;
Considérant qu’il résulte du dossier que monsieur HINNOUHO Mohamed Taofick, député à l’Assemblée nationale, a été interpellé et déposé à la prison civile de Cotonou dans le cadre d’une procédure judiciaire de flagrant délit; que compte tenu de son état de santé, il avait été conduit au Centre hospitalier universitaire Hubert Koutoukou MAGA où il a reçu des soins ; que dans ces conditions, on ne saurait faire grief au Procureur de la République et au régisseur de la prison civile de Cotonou de l’avoir déposé à la prison civile une fois qu’il a quitté le centre hospitalier ; qu’il y a donc lieu de dire qu’il n’y a pas violation de la Constitution ;

DECIDE :
Premièrement : Il n’y a pas violation de la Constitution.
Deuxièmement : La présente décision sera notifiée à monsieur Robert Mathieu FIOVI, à monsieur le régisseur, à monsieur le Procureur de la République près le tribunal de première Instance de Cotonou et publiée au Journal officiel.
DECISION DCC 19-084 du 28 Février 2019
La Cour constitutionnelle,
Saisie d’une requête en date à Cotonou du 12 mai 2018, enregistrée à son secrétariat le 14 mai 2018 sous le numéro 0858/160/REC-18, par laquelle monsieur HINNOUHO Mohamed Taofick, député à l’Assemblée nationale, forme un recours en inconstitutionnalité de la décision n° P. 2018-03/AN/PT du 07 mai 2018 et de la demande de levée de son immunité parlementaire faite par le Procureur général près la cour d’Appel de Cotonou ;
Considérant que monsieur HINNOUHO Mohamed Taofick expose que dans le cadre de l’affaire pénale de vente de médicaments falsifiés et d’exercice illégal en pharmacie, le tribunal de première instance de Cotonou, statuant en matière de flagrant délit, a rendu le jugement n°43/1FD-18du 13 mars 2018 ; qu’il n’y a été cité ni comme complice, ni comme auteur ou coauteur ; que dans le but de trouver un cas de flagrance contre lui, la douane béninoise s’est transportée dans ses locaux mis à bail au profit de la société New CESAMEX, agréée par l’Etat béninois pour importer des médicaments, et y a trouvé des stocks de médicaments ; que fort de ce constat, les autorités judiciaires ont ouvert une procédure judiciaire de flagrant délit contre lui pour « exercice illégal en pharmacie, vente de médicaments falsifiés, fournitures, offres de fournitures de produits médicaux contrefaits, fabrication ou fourniture de produits médicaux ne remplissant pas les exigences de conformité, association de malfaiteurs, blanchiment de capitaux, faux en écriture privée et usage de faux en écriture privée » ; qu’étant donné qu’il est député, le Procureur général près la cour d’Appel de Cotonou a alors saisi le président de l’Assemblée nationale d’une demande de levée de son immunité ; que suite à cette demande, le président de l’Assemblée nationale a pris la décision n° P. 2018-03/AN/PT portant création de la commission spéciale chargée d’étudier la demande de levée de l’immunité des députés BAKO Idrissou, DJENONTIN AGOSSOU Valentin et HINNOUHO Mohamed Taofick ; que la demande de levée d’immunité et la décision de création de la commission spéciale sont contraires à la Constitution en ce qu’elle violent les articles 3 alinéa 3, 8, 15, 17 alinéa 1 ; 18 alinéa 3, 26 alinéa 1, 34, 90 et ainsi que le principe du contradictoire ;
Considérant qu’en réponse, le Procureur général près la cour d’Appel de Cotonou observe que la procédure judiciaire que le ministère public, représenté par le Procureur général, a intentée contre le requérant est légale et ne viole en rien la Constitution ; que la demande de levée d’immunité du requérant est motivée par sa qualité de député à l’Assemblée nationale, les exigences de la Constitution ainsi que les nécessités de la manifestation de la vérité et d’une bonne administration de la Justice ; que par ailleurs, le requérant ne rapporte aucune preuve de violation de la Constitution par le ministère public ;
Considérant que le deuxième Vice-Président de l’Assemblée nationale observe que l’immunité parlementaire n’est pas absolue ; qu’elle peut être levée à la suite d’une demande adressée au Président de l’Assemblée nationale suivant la procédure prévue aux articles 70 et 71 du règlement intérieur de l’Assemblée nationale; que la décision de création de la commission spéciale ne viole en rien la Constitution ;
Vu les articles 90 de la Constitution, 69, 70 et 71 du règlement intérieur de l’Assemblée nationale

1- Sur la demande de levée d’immunité

Considérant que le requérant soutient que bien qu’il ne soit que bailleur des locaux dans lesquels les médicaments ont été découverts et non propriétaire ni gardien de ces produits, une procédure judiciaire de flagrant délit a été, à tort et en violation de la Constitution, ouverte contre lui ; que fort de cette procédure, le Procureur général a adressé au président de l’Assemblée nationale une demande de levée de son immunité parlementaire ; que cependant, il apparaît que la demande de levée d’immunité a été faite dans le cadre d’une procédure judiciaire de flagrant délit et conformément aux articles 70 et 71 du règlement intérieur de l’Assemblée nationale ; qu’ainsi, en l’état où il n’est pas reproché à la procédure ouverte par les autorités judiciaires la méconnaissance des droits de la défense, il n’y a pas violation de la Constitution ;

2- Sur la décision n° P. 2018-03/AN/PT du 07 mai 2018 portant création de la commission spéciale chargée d’étudier la demande de levée de l’immunité des députés BAKO Idrissou, DJENONTIN AGOSSOU Valentin et HINNOUHO Mohamed Taofick
Considérant que le requérant demande à la Cour de contrôler la conformité à la Constitution de la décision n° P. 2018-03/AN/PT du 07 mai 2018 ; que cependant, il apparaît qu’en ce qui concerne le requérant, la saisine du président de l’Assemblée nationale et la prise de la décision querellée sont consécutives à une procédure de flagrant délit ouverte à son encontre ; que par ailleurs, il n’a pas été relevé que les dispositions des articles 70, 71.1 et 71.2 précités du règlement intérieur de l’Assemblée nationale ont été méconnues ; qu’il s’ensuit qu’il n’y a pas violation de la Constitution ;

DECIDE :
Premièrement: Il n’y a pas violation de la Constitution.
Deuxièmement : La présente décision sera notifiée à monsieur Mohamed Taofick HINNOUHO, à monsieur le Procureur général près la cour d’Appel de Cotonou, à monsieur le Président de l’Assemblée nationale et publiée au Journal officiel.

DECISION DCC 19-081 du 28 Février 2019
La Cour constitutionnelle,
Saisie d’une requête en date à Cotonou du 20 avril 2018, enregistrée à son secrétariat le 23 avril 2018 sous le numéro 0724/116/REC-18, par laquelle monsieur Ayodélé AHOUNOU, avocat au barreau du Bénin, demeurant et domicilié es-qualités au lieudit « Agla les pylônes, forme un recours contre le Conseil des ministres du 18 avril 2018 pour violation des principes de la présomption d’innocence et de la séparation des pouvoirs ;
Saisie d’une autre requête en date à Cotonou du 08 mai 2018 enregistrée à son secrétariat à la même date sous le numéro 0826/137/REC-18, par laquelle monsieur Moriac ADONON, demeurant à Abomey-Calavi, forme un recours pour violation par le Gouvernement du principe de la présomption d’innocence ;
Considérant que monsieur Ayodélé AHOUNOU expose que le Conseil des ministres du 18 avril 2018 a cité les noms des personnes qualifiées d’ « auteurs » et a mis à leur charge de façon individuelle et détaillée les quantités de vivres dites « détournées » ; que ce Conseil des ministres s’est substitué à la justice, seule compétente pour prononcer la culpabilité de personnes suspectées ; qu’ainsi, il a violé le principe de la présomption d’innocence et celui de la séparation des pouvoirs ; que se fondant sur les articles 3 in fine, 17 alinéa 1er, 121, 122 et 125 alinéa 2 de la Constitution, il demande à la haute Juridiction de déclarer recevable son recours et contraire à la Constitution le relevé du Conseil des ministres du 18 avril 2018 en son point II-1 ;

Considérant que monsieur Moriac ADONON expose que suivant relevé n°14/2018/PR/SGG/CM/OJ/ORD du Conseil des ministres du 18 avril 2018, le Gouvernement a publié les identités des directeurs d’école mis en cause dans le présumé détournement de biens publics, notamment des vivres des cantines scolaires ; que ces faits constituent selon lui une infraction pénale ; que le Gouvernement en déchargeant les mis en cause de leur fonction et en procédant à une telle publication alors qu’aucune juridiction compétente n’a encore établi leur culpabilité a violé selon lui, leur droit à la présomption d’innocence.
Considérant qu’en réponse, le Secrétaire général du Gouvernement d’une part, sollicite la jonction du recours n°0826/137/REC-18 avec le recours n°0724/116/REC-18 introduit par monsieur Ayodélé AHOUNOU qui porte selon lui sur le même objet et tend aux mêmes fins ; que d’autre part, il fait observer que les faits en cause sont susceptibles d’une qualification pénale ; que le principe de la présomption d’innocence ne s’oppose pas à ce que l’Administration prenne des mesures conservatoires ou des mesures qu’elle juge appropriées au plan disciplinaire contre ces agents ; qu’il ne s’oppose pas non plus à ce que l’Administration informe les citoyens sur les motifs de ces mesures ; que par ailleurs, en informant les citoyens, le Conseil des ministres n’a donné aucune qualification pénale aux faits ; qu’on ne saurait donc lui faire grief d’avoir violé le principe de la présomption d’innocence ;

1- Sur la jonction de procédure
Considérant que les deux requêtes portent sur le même objet et tendent aux mêmes fins ; que dès lors, pour une bonne administration de la justice, il y a lieu de les joindre pour y être statué par une seule et même décision ;

2- Sur la violation du droit à la présomption d’innocence
Considérant que les articles 17 alinéa 1er de la Constitution et 7.1.b) de la Charte africaine des droits de l’Homme et des peuples disposent respectivement : « Toute personne accusée d’un acte délictueux est présumée innocente jusqu’à ce que sa culpabilité ait été légalement établie au cours d’un procès public durant lequel toutes les garanties nécessaires à sa libre défense lui auront été assurées », « Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue. Ce droit comprend … le droit à la présomption d’innocence, jusqu’à ce que sa culpabilité soit établie par une juridiction compétente… » ; que le droit au respect de la présomption d’innocence est un principe attaché à la procédure pénale et aux droits de la défense ; qu’il a pour vocation de protéger les personnes faisant l’objet de poursuites pénales ; qu’en ce sens, il interdit de présenter publiquement une personne poursuivie pénalement comme coupable d’une infraction avant sa condamnation ; que dans le cas d’espèce, les directeurs d’école présumés impliqués dans le détournement de vivres des cantines scolaires ne faisaient encore l’objet d’aucune poursuite pénale ; que c’est dans le but d’engager de telles poursuites que le Conseil des ministres les a nommément identifiés et a instruit le ministre en charge de la justice ; que cette désignation des personnes à poursuivre pénalement ne saurait s’analyser comme une présentation publique de personnes mises en cause ; que dès lors, il y a lieu de dire et juger qu’il n’y a pas violation de la Constitution ;

3- Sur la violation du principe de la séparation des pouvoirs
Considérant que la Constitution dispose respectivement en ses articles 125 et 126 : « Le pouvoir judiciaire est indépendant du pouvoir législatif et du pouvoir exécutif. Il est exercé par la Cour suprême, les cours et tribunaux créés conformément à la présente Constitution », « …les juges ne sont soumis, dans l’exercice de leurs fonctions, qu’à l’autorité de la loi… » ; qu’il résulte de la lecture combinée de ces dispositions constitutionnelles que le Législatif et l’Exécutif ne doivent ni s’immiscer dans l’exercice du pouvoir judiciaire ni faire entrave à la Justice ; dans le cas d’espèce, la désignation des personnes à poursuivre pénalement ne saurait s’analyser comme une immixtion du Gouvernement dans l’exercice du pouvoir judiciaire et ne compromet non plus la séparation des pouvoirs ; que dès lors, il y a lieu de dire et juger qu’il n’y a pas violation de la Constitution ;

DECIDE :

Premièrement: Il n’y a pas violation de la Constitution.
Deuxièmement: La présente décision sera notifiée à monsieur Moriac ADONON, à monsieur Ayodélé AHOUNOU, à monsieur le président de la République, et publiée au Journal officiel.