Il a dit tout haut ce que certains officiels pensent tout bas. Ousmane Batoko, président de la Cour suprême n’a pas caressé son alter ego de la Cour constitutionnelle dans le sens du poil. Invité à la cérémonie d’ouverture du colloque scientifique international organisé par la juridiction constitutionnelle sur le thème : « La cour constitutionnelle, entre rupture et continuité », Ousmane Batoko a tenu à se faire entendre. Intervenant en qualité de président de l’association africaine des hautes juridictions francophones, il a jeté un pavé dans la mare de Joseph Djogbénou.
Au prime abord, le timing de ce colloque qui vise à recueillir les réflexions des juristes de haut niveau venus de l’Afrique et de l’Europe sur les pratiques constitutionnelles, lui paraît un peu trop tiré par les cheveux. Et il ne s’est pas gêné pour le souligner. « Je me suis interrogé sur les motifs avouables et non avouables qui pourraient sous-tendre l’organisation du présent colloque à, à peine 15 mois du début de la nouvelle mandature de la Cour ». Poursuivant son développement, il essaie de cerner les tenants et aboutissants de ce rendez-vous scientifique. « Serait-ce pour se donner bonne conscience des actes posés ou des décisions prises dont on souhaiterait obtenir la validation ou l’onction des pairs ? Ou, serait-ce pour se conforter dans la légitimation publique ou tout au moins collective d’une nouvelle approche du dynamisme décisionnel de la juridiction constitutionnelle ? ». En deux interrogations, Batoko a dit l’essentiel. Dans son propos, sont mis en exergue les insatisfactions et étonnements de l’opinion quant à l’essentiel des décisions rendues depuis juin 2018 où Joseph Djogbénou a pris les rênes de la juridiction constitutionnelle. Certes, les différentes mandatures ont connu leur moment de controverse, mais la mandature actuelle donne l’impression de battre tous les records en la matière en peu de temps. Seulement 15 mois se sont écoulés sur 60. Que réservent les 45 restants ?
De profonds bouleversements sont intervenus à telle enseigne que la Cour est devenue un objet de curiosité. « Tout ce qui s’y passe est désormais regardé à la loupe partout dans le monde et singulièrement sur le continent africain. Les décisions de ses juges aussi, et depuis quelque temps, les décisions de son juge constitutionnel ». Que s’est-il passé pour que la Cour suscite autant d’interrogations ? Il n’en fallait pas plus pour que Ousmane Batoko partage avec l’assistance un constat plutôt amer. « Pour certains, aussi bien de l’intérieur que de l’extérieur du Bénin, ce juge semble avoir sonné le glas de la démocratie au Bénin. Certaines des décisions du juge constitutionnel béninois ont en effet ébranlé bon nombre de juristes africains dans leur certitude scientifique ».
Venant du président de la Cour suprême, ce discours vaut son pesant d’or. Batoko a saisi la bonne occasion pour exprimer ses appréhensions au collège de conseillers siégeant à la Cour. En toute responsabilité, il a refusé de faire usage de la langue de bois. Troublé par certaines décisions et peut-être le nouveau mode opératoire de la Cour, Ousmane Batoko qui est un témoin vivant de l’histoire politique de notre pays s’est permis de faire des rappels judicieux à qui de droit. « Cette juridiction est le fruit de la volonté souveraine du peuple béninois qui a su trouver dans son génie propre les ressources nécessaires pour réaffirmer son opposition à tout régime politique centré sur l’arbitraire, la dictature, l’injustice et exprimé sa détermination de créer un Etat de droit et de démocratie pluraliste dans lequel les droits humains, les libertés publiques, la dignité de la personne humaine et la justice sont garantis, protégés et promus. La Cour constitutionnelle du Bénin devrait se dresser comme un véritable gardien de la Constitution et du respect des lois républicaines ».