Le gouvernement aurait bien dans un agenda secret la volonté de supprimer la Commission électorale nationale autonome (Cena). Si c’est le cas, l’aventure pourrait se solder pour un échec ;…

Suppression annoncée de la Cena : Pourquoi le Chef de l’Etat va échouer

Suppression annoncée de la Cena : Pourquoi le Chef de l’Etat va échouer

Le gouvernement aurait bien dans un agenda secret la volonté de supprimer la Commission électorale nationale autonome (Cena). Si c’est le cas, l’aventure pourrait se solder pour un échec ; une nouvelle défaite pour le président Patrice Talon.

Depuis quelques semaines, des informations persistantes annoncent  la création d’un groupe d’experts visant à réfléchir sur le système politique national. Au nombre des réformes prévues pour être réalisées, beaucoup citent la suppression de la Cena. Certaines personnes avaient pris la défense du gouvernement en démentant l’information. Mais hier jeudi, la minorité parlementaire a étalé à nouveau la même inquiétude. Dans une déclaration lue à la tribune de l’Assemblée nationale, Justin Adjovi a, au nom de 23 députés, souligné les craintes d’une partie de la population. « La révision du code électoral qui se prépare en catimini par certains de nos collègues est le prochain complot contre notre peuple.  Il se susurre que la Cena  est dans le viseur des complotistes», a-t-il fait savoir. Avant d’ajouter : «Il nous plait de rappeler ici que la Cena est une expérience heureuse, copiée par les Etats d’Afrique et qu’elle nous a évité les crises post-électorales. Nous voudrions attirer l’attention de l’opinion nationale et internationale sur la gravité exceptionnelle de la disparition ou de défiguration de la Cena ; la paix post-électorale dans notre pays dépend de ce fleuron de notre démocratie». Le gouvernement ne s’est pas encore exprimé sur le sujet. Mais compte tenu de l’importance de la question, les 23 députés ont décidé d’alerter l’opinion et de montrer les effets pervers que comporterait une telle réforme. La démarche de ces élus est bonne, car les choix  réalisés par le gouvernement depuis le 06 avril 2016 ne rassurent pas. En réalité,  faire disparaître simplement la Cena, c’est redonner au ministère de l’Intérieur les compétences nécessaires pour organiser les élections. Et selon plusieurs sources, ce bien l’intention du gouvernement. Dans un pays où les échéances électorales sont faites de suspicion généralisée, responsabiliser à nouveau le gouvernement pour cet exercice délicat relève d’une erreur monumentale. L’option pourrait exposer le Bénin à de graves crises électorales.

Certes, les dénonciations et les mises en garde se multiplient. Mais Patrice Talon et ses collaborateurs pourraient bien se lancer dans la réforme décriée. Le gouvernement de la Rupture qui s’est toujours illustrée par sa gestion cavalière pourrait envers et contre tous, élaborer un tel projet à cause de ses visées électoralistes. Le Chef de l’Etat et certains de ces fidèles l’ont d’ailleurs proclamé à maintes reprises : « Nous allons gouverner avec la ruse et la rage ». Le gouvernement de la Rupture compterait-il ruser pour gagner les prochaines élections? C’est une préoccupation qui taraude les esprits. D’ailleurs, plusieurs observateurs affichent leurs inquiétudes, vu la gouvernance de Patrice Talon.  Au  Bénin, les contrats de gré à gré sont devenus la règle, les décisions liberticides sont monnaies courantes. Pis, le président de la République donne l’impression de prendre comme modèle Paul Kagamé qui a installé un régime répressif au Rwanda.  Supprimer une institution autonome pour mieux contrôler l’organisation des élections, c’est bien une offre de courtisans que le Chef de l’Etat ne repousserait pas. C’est trop tentant.

Un nouvel échec…

Après l’échec du projet de révision de la Constitution en avril dernier, Patrice Talon pourrait également essuyer une nouvelle déculottée. En effet, s’il réussit avec la ruse et la rage à faire passer le projet portant suppression de la Cena au Parlement, avec la complicité de ses députés godillots, le Chef de l’Etat pourrait bien faire face à l’opposition de la Cour constitutionnelle. La création de la Cena reste en réalité une avancée démocratique réelle. Et tout prouve que sa disparition donnerait un coup de frein au processus de démocratisation en cours. Pour rappel, lorsque la Commission électorale avait été créée en 1994 à la veille des premières législatives, elle avait suscité des controverses. Le Chef de l’Etat d’alors avait saisi la Haute juridiction pour contrôle de constitutionnalité. La Cour constitutionnelle par sa décision Dcc 34-94 du 23 décembre 1994 avait affirmé que « la création de cet organe participe des prérogatives constitutionnelles du Parlement et ne viole pas le principe de la séparation des pouvoirs », mais a surtout reconnu que « la Cena s’apparente à une autorité administrative indépendante du pouvoir législatif et du pouvoir exécutif». Mieux, les 7 Sages ont souligné que « l’institution de  la  Cena  se  fonde  sur  les  exigences  de  l’État  de  droit  et  de  la  démocratie pluraliste affirmées dans le Préambule de la Constitution du 11 décembre 1990». Ils montreront par ailleurs que « la création de la Cena (…) est liée à la recherche d’une formule permettant d’isoler, dans l’administration de l’État, un organe disposant  d’une  réelle  autonomie (…) pour l’exercice d’attributions concernant le domaine sensible des libertés publiques, en particulier des élections honnêtes, régulières, libres et transparentes». Autant de formules qui défendent le bien-fondé de l’initiative. La Cour avait ainsi consacré définitivement l’institution comme un régulateur déterminant du système électoral national. S’inspirant de cette jurisprudence historique qui fonde la légitimité et la constitutionnalité de la Cena,  les 7 Sages pourraient bien écarter toute initiative visant à détruire ladite commission et à fragiliser davantage les processus électoraux au Bénin. La Cour s’est bien attribué des rôles par le passé pour épargner le Bénin du pire. Elle n’hésitera pas à nouveau à faire preuve d’audace en rejetant un projet porteur de germes de déstabilisation.

Mike MAHOUNA