DECISION DCC 19-081 du 28 Février 2019 La Cour constitutionnelle, Saisie d’une requête en date à Cotonou du 20 avril 2018, enregistrée à son secrétariat le 23 avril 2018 sous…

Recours contre le conseil des ministres du 18 avril 2018 : Des directeurs soupçonnés de vol de vivres déboutés

Recours contre le conseil des ministres du 18 avril 2018 : Des directeurs soupçonnés de vol de vivres déboutés

DECISION DCC 19-081 du 28 Février 2019
La Cour constitutionnelle,

Saisie d’une requête en date à Cotonou du 20 avril 2018, enregistrée à son secrétariat le 23 avril 2018 sous le numéro 0724/116/REC-18, par laquelle monsieur Ayodélé AHOUNOU, avocat au barreau du Bénin, demeurant et domicilié es-qualités au lieudit « Agla les pylônes », forme un recours contre le Conseil des ministres du 18 avril 2018 pour violation des principes de la présomption d’innocence et de la séparation des pouvoirs ;
Saisie d’une autre requête en date à Cotonou du 08 mai 2018 enregistrée à son secrétariat à la même date sous le numéro 0826/137/REC-18, par laquelle monsieur Moriac ADONON, demeurant à Abomey-Calavi, forme un recours pour violation par le Gouvernement du principe de la présomption d’innocence ;
Considérant que monsieur Ayodélé AHOUNOU expose que le Conseil des ministres du 18 avril 2018 a cité les noms des personnes qualifiées d’ « auteurs » et a mis à leur charge de façon individuelle et détaillée les quantités de vivres dites « détournées » ; que ce Conseil des ministres s’est substitué à la justice, seule compétente pour prononcer la culpabilité de personnes suspectées ; qu’ainsi, il a violé le principe de la présomption d’innocence et celui de la séparation des pouvoirs ; que se fondant sur les articles 3 in fine, 17 alinéa 1er, 121, 122 et 125 alinéa 2 de la Constitution, il demande à la haute Juridiction de déclarer recevable son recours et contraire à la Constitution le relevé du Conseil des ministres du 18 avril 2018 en son point II-1 ;
Considérant que monsieur Moriac ADONON expose que suivant relevé n°14/2018/PR/SGG/CM/OJ/ORD du Conseil des ministres du 18 avril 2018, le Gouvernement a publié les identités des directeurs d’école mis en cause dans le présumé détournement de biens publics, notamment des vivres des cantines scolaires ; que ces faits constituent selon lui une infraction pénale ; que le Gouvernement en déchargeant les mis en cause de leur fonction et en procédant à une telle publication alors qu’aucune juridiction compétente n’a encore établi leur culpabilité a violé selon lui, leur droit à la présomption d’innocence.
Considérant qu’en réponse, le Secrétaire général du Gouvernement d’une part, sollicite la jonction du recours n°0826/137/REC-18 avec le recours n°0724/116/REC-18 introduit par monsieur Ayodélé AHOUNOU qui porte selon lui sur le même objet et tend aux mêmes fins ; que d’autre part, il fait observer que les faits en cause sont susceptibles d’une qualification pénale ; que le principe de la présomption d’innocence ne s’oppose pas à ce que l’Administration prenne des mesures conservatoires ou des mesures qu’elle juge appropriées au plan disciplinaire contre ces agents ; qu’il ne s’oppose pas non plus à ce que l’Administration informe les citoyens sur les motifs de ces mesures ; que par ailleurs, en informant les citoyens, le Conseil des ministres n’a donné aucune qualification pénale aux faits ; qu’on ne saurait donc lui faire grief d’avoir violé le principe de la présomption d’innocence ;

1- Sur la jonction de procédure
Considérant que les deux requêtes portent sur le même objet et tendent aux mêmes fins ; que dès lors, pour une bonne administration de la justice, il y a lieu de les joindre pour y être statué par une seule et même décision ;

2- Sur la violation du droit à la présomption d’innocence
Considérant que les articles 17 alinéa 1er de la Constitution et 7.1.b) de la Charte africaine des droits de l’Homme et des peuples disposent respectivement : « Toute personne accusée d’un acte délictueux est présumée innocente jusqu’à ce que sa culpabilité ait été légalement établie au cours d’un procès public durant lequel toutes les garanties nécessaires à sa libre défense lui auront été assurées », « Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue. Ce droit comprend … le droit à la présomption d’innocence, jusqu’à ce que sa culpabilité soit établie par une juridiction compétente… » ; que le droit au respect de la présomption d’innocence est un principe attaché à la procédure pénale et aux droits de la défense ; qu’il a pour vocation de protéger les personnes faisant l’objet de poursuites pénales ; qu’en ce sens, il interdit de présenter publiquement une personne poursuivie pénalement comme coupable d’une infraction avant sa condamnation ; que dans le cas d’espèce, les directeurs d’école présumés impliqués dans le détournement de vivres des cantines scolaires ne faisaient encore l’objet d’aucune poursuite pénale ; que c’est dans le but d’engager de telles poursuites que le Conseil des ministres les a nommément identifiés et a instruit le ministre en charge de la justice ; que cette désignation des personnes à poursuivre pénalement ne saurait s’analyser comme une présentation publique de personnes mises en cause ; que dès lors, il y a lieu de dire et juger qu’il n’y a pas violation de la Constitution ;

3- Sur la violation du principe de la séparation des pouvoirs
Considérant que la Constitution dispose respectivement en ses articles 125 et 126 : « Le pouvoir judiciaire est indépendant du pouvoir législatif et du pouvoir exécutif. Il est exercé par la Cour suprême, les cours et tribunaux créés conformément à la présente Constitution », « …les juges ne sont soumis, dans l’exercice de leurs fonctions, qu’à l’autorité de la loi… » ; qu’il résulte de la lecture combinée de ces dispositions constitutionnelles que le Législatif et l’Exécutif ne doivent ni s’immiscer dans l’exercice du pouvoir judiciaire ni faire entrave à la Justice ; dans le cas d’espèce, la désignation des personnes à poursuivre pénalement ne saurait s’analyser comme une immixtion du Gouvernement dans l’exercice du pouvoir judiciaire et ne compromet non plus la séparation des pouvoirs ; que dès lors, il y a lieu de dire et juger qu’il n’y a pas violation de la Constitution ;

DECIDE :
Premièrement : Il n’y a pas violation de la Constitution.
Deuxièmement.- La présente décision sera notifiée à monsieur Moriac ADONON, à monsieur Ayodélé AHOUNOU, à monsieur le président de la République, et publiée au Journal officiel.

Source : Hospice HOUENOU de DRAVO
Attaché de Presse/ PCC