La ville historique d’Agoué, le plus grand et plus peuplé arrondissement de la commune de Grand-Popo, située à 110 km de Cotonou et servant de frontière terrestre avec le Togo…

Découverte: Agoué, une destination touristique menacée de disparition

Découverte: Agoué, une destination touristique menacée de disparition

La ville historique d’Agoué, le plus grand et plus peuplé arrondissement de la commune de Grand-Popo, située à 110 km de Cotonou et servant de frontière terrestre avec le Togo voisin par Hilla-Condji, regorge de vestiges anciens qui font d’elle une ville à forte potentialité touristique.

Royaume d’Agoué aujourd’hui arrondissement d’Agoué, a une histoire atypique. « Aux XVII et XVIIIème siècles, des travailleurs Ané, originaires d’Elmina, région aurifère de l’actuel Ghana, sont chassés de leur pays par les invasions Achanti. Ils s’installèrent alors sur la partie de la côte appartenant au roi de Tado et fondèrent Aného, signifiant littéralement « la maison des Ané », aujourd’hui Anécho », raconte Edouard Akpaka, natif du milieu qui aurait appris l’histoire de sa grand-mère.
« La traite des Noirs était alors prospère. Les Ané travaillèrent pour le compte des trafiquants portugais, anglais et hollandais. Mais en 1821, une guerre civile éclata à Aného. Elle met aux prises les trois chefs Ané : Komlangan, Lawson et Francisco de Souza. Komlangan ayant perdu cette guerre, s’enfuit vers l’Est et fonda Agoué en 1823, en face d’Agouégan, sur une bande de sable qui sépare la lagune de la mer. Il y installa son fétiche Adjigo, importé d’Accra et protecteur de la tribu Ané. Il sera rejoint plus tard par ses partisans d’abord, puis de nombreux autres affranchis du Brésil, de Cuba, des Antilles, et de Sierra-Leone le rejoignent surtout à partir de 1835, avec Joachim d’Almeida alias Zoki Azata », poursuit-il.
« Ago yé ya » qui signifie littéralement « Voici enfin la berge » sera abrégé en « Agoè », aujourd’hui francisé Agoué. Cette cité connaîtra alors une prospérité grâce au commerce et à l’installation des missionnaires.
« Avant, comme me l’ont dit mes grands-parents, Agoè a eu des moments de prospérité. La traite négrière a fondamentalement enrichi Agoué, puis après le commerce de l’huile de palme et d’arachide », se souvient Ekoua Johnson, une ancienne de la ville, âgée de 80 ans.
« En 1868, Agoué, la ville la plus considérable des Popo, comptait déjà près de 8.000 habitants dont plus de 80 Européens. Enfin, en 1874, Agoué a connu une autre ascendance dans son histoire avec l’installation des missionnaires qui y fondent une école qui devient très vite une pépinière des fonctionnaires. L’A.O.F (Afrique Occidentale Française) y trouvera ses futurs cadres. En 1883, Agoué devient la capitale religieuse du Dahomey d’alors, actuel République du Bénin, et elle le restera jusqu’en 1901 », retrace Richard Toyi, un dignitaire de la localité. Il raconte l’histoire de sa ville avec une telle passion et précision dans les dates qu’on aurait cru qu’il a écrit tout un livre sur le sujet.
« J’ai fait des recherches et j’ai lu beaucoup d’articles écrits par les premiers prêtres catholiques », confie-t-il avant de continuer. « Malheureusement, cette gloire qu’a connue Agoué ne va pas durer dans le temps. Trois facteurs fondamentaux ont irrévocablement conduit cette ville à la décadence.

Primo, le royaume d’Agoué a été victime de son isolement naturel. En effet, après le déclin du trafic de la traite des Noirs, le commerce n’a pu prospérer à cause de manque de voie naturelle (voie navigable) vers l’intérieur du pays. De plus, en 1873, une épidémie de variole a fait environ 1.500 victimes faisant fuir les commerçants. Secundo, la 1ère convention franco-allemande de 1885 n’a pas du tout été favorable à Agoué.

Le 15 avril 1885, Agoué devient protectorat français sur demande du roi. La même année, le 24 décembre, les Français cèdent aux Allemands Anecho et Porto-Séguro (connu aujourd’hui sous le nom d’Agbodrafo, un canton du Sud Togo dans la région maritime) en échange de quelques comptoirs en Guinée. Cette cession a été désastreuse pour Agoué et son annexion en 1894 à la colonie du Dahomey n’aura rien changé à la convention : la ville est plus que jamais isolée. Enfin tertio, la 2ème convention franco-allemande de 1897 viendra clouer davantage la ville jadis florissante d’Agoué. Car, dans cette nouvelle convention une partie du royaume d’Agoué (la rive droite du Mono, de Tokpli à Agbannaken, le Nord de la lagune, de Agbannaken à Agouégan et Agokpamé) sera cédée à l’Allemagne », ajoute-t-il.


« Selon ce que j’ai appris de l’histoire, c’est cette convention franco-allemande qui fait que Agoué s’est trouvée amputée de la partie qui lui donnait ses richesses, c’est-à-dire que Agoué est isolée de tous les villages situés derrière la lagune d’où elle tire ses produits agricoles. La ville d’Agoué est française et toutes ses fermes sont allemandes. D’où la création de deux douanes, une allemande à Agouégan et l’autre française à Agoué et même la disparition de ces douanes après la défaite de l’Allemagne en 1918, n’a pas arrêté la décadence de la ville. Ses habitants s’expatrient alors au profit des grandes villes et des pays voisins », renchérit Innocent Sylvey, enseignant et natif d’Agoué.

Ce passé glorieux inscrit Agoué parmi les villes historiques du Bénin et lui confère des atouts certains pour le développement du tourisme.

« Yêkê-Yêkê », la fête des retrouvailles

« La fête des retrouvailles Yêkê-Yêkê, serait dérivé d’un adage ‘’Yaka- yo kin’’ qui se traduit littéralement par ‘’c’est dans le désordre qu’on s’est servi et gratuitement’’, est une fête traditionnelle qui date de très longtemps. Elle est le symbole de la réconciliation entre les frères Guin et Akamu après une guerre ethnique les opposant. A la fin de cette guerre, les frères ennemis se sont retrouvés autour de la même table, et se sont réconciliés. Ils décidèrent alors du retour de tous les frères exilés d’où la naissance de Epé-Ekpé, signifiant littéralement ‘’nouvel an’’. Cette réconciliation ne sera pas de longue durée. Car, en 1660, une nouvelle guerre ethnique éclata entre les frères Akamu et Guin. Cette nouvelle donne entraîna l’exode des Guin et Mina vers l’Est. Mais en quittant le Ghana, le chef de guerre Ayih du clan Tougban prit sur lui le trône royal et fut suivi par les clans Adjigo, Ahouandjigo Ela, Dégbénousimpé, Adangbé, Akangban, Kéta, et Yadou », explique Richard Toyi.

Mais au cours de leur exode, Ayih et ses alliés ont fait un arrêt à Zinwla dans la préfecture des Lacs (Togo). « C’est à Zinwla que le trône convoité fut caché dans le fleuve en 1662 afin d’empêcher l’ennemi de s’en emparer. En 1663, ils fondèrent le royaume des peuples Guin à Glidji (Togo) et le premier roi fut sa majesté Foli Bébé. Malgré les séquelles de la guerre, les Guin ont toujours célébré le « Epé-Ekpé » en mémoires des leurs qui ont perdu la vie au cours des combats. Et pour cultiver davantage l’esprit de confiance mutuelle, la fête a été réimplantée. Elle inaugure le nouvel an chez les Guin et sert de point de retrouvailles », ajoute-t-il.

Et depuis des lustres, le Yêkê-Yêkê est célébré chaque année suivant des étapes ancestrales précises. « Aujourd’hui, cette fête ancestrale va au-delà d’une simple fête de retrouvailles. Cette fête annuelle qui fait revenir au village tous les enfants d’Agoué et leurs amis représente un atout touristique certain. Car plusieurs activités culturelles et cultuelles sont menées offrant des tableaux artistiques impressionnants.
La mairie de Grand-Popo et même le Bénin devraient tirer de grands profits de cette fête vielle de plus de trois siècles et demi », estime Donatien Folly, fils d’Agoué. Mais, la fête de Yêkê-Yêkê ne saurait être seule source d’attrait touristique pour la ville d’Agoué.

Les atouts d’une ville à valoriser

Station balnéaire, et fort de la richesse de son histoire, Agoué regorge de beaucoup de vestiges devant faire d’elle une destination touristique au Bénin. « Agoué est une ville qui devrait drainer des touristes de tous genres vu son histoire. Par exemple, c’est ici à Agoué que les tout premiers missionnaires catholiques ont atterri. Donc, la toute première Eglise catholique du Bénin est construite ici à Agoué. Même si cette première bâtisse est détruite, l’histoire retient que c’est ici que la première église est construite. Et la preuve est que les tombes de ses premiers prêtres sont encore des témoins palpables », confie Reine Mededjisso, fidèle catholique et fille d’Agoué.
La mission catholique d’Agoué est ainsi un « musée » qui draine des curieux qui veulent en savoir sur l’histoire de cette ville.

« Agoué est une belle ville, même si elle semble être abandonnée par ses enfants. Les atouts touristiques sont nombreux. On y trouve le ‘’chemin des esclaves’’ à Zomayi. C’est la voie qu’empruntaient les esclavagistes dans l’ancien temps. Au cimetière catholique, vous y verrez la tombe de Sylvanus Olympio, le premier Président du Togo (assassiné lors du coup d’État du 13 janvier 1963, ndlr) qui a d’ailleurs sa maison ici à Agoué », rappelle Abel Todedjrapou pour montrer la richesse touristique de sa ville natale.
« A part les anciennes bâtisses témoignant d’un passé glorieux de notre ville, des bâtisses comme la première mosquée, les constructions datant des années 1600 ou 1700, le palais royal et autres, il faut noter que Agoué est un carrefour pour toutes les divinités, un autre facteur pour attirer les touristes », vante Edouard Akpaka.
« Chez nous à Agoué, nous avons toutes les danses folkloriques animées par plusieurs groupes. Nous avons le Agbadja, le Goumbé, le Gota, le Boulian, pour ne citer que celles-là. Bref, les différentes danses folkloriques qu’on peut trouver au Bénin ou au Togo se retrouvent ici à Agoué », précise dame Atanley, une native de la localité.
Cette diversité de danses est une conséquence directe de la diversité des divinités. « La divinité que nos ancêtres ont implanté ici, c’est Adjigo. Et l’arbre mystique qui l’incarne est toujours là. Mais à côté, nous avons plusieurs autres provenant du Togo, du Ghana, du Nigéria et bien sûr du Bénin. Ainsi, nous avons des divinités comme le Sakpata, le Zangbéto, le Tchaba, le Sakouma, le Trôn, le Egou, le Egoungoun, le Ganbada, le Dan, le Oro et autres. Et tous les couvents de ces divinités sont animées surtout en période de Yêkê Yêkê », ajoute-t-elle.
Agoué, bien que menacée de disparition par l’avancée vertigineuse de la mer, reste une destination touristique incontestable.

Cokou Romain AHLINVI

Erosion côtière à Agoué :Une ville en voie de disparition

Les dégâts causés par l’érosion côtière dans la ville d’Agoué sont incalculables. Il y a une vingtaine d’années, la mer se situait à un peu moins de deux kilomètres de l’Eglise Catholique communément appelée ‘’Fadahomè’’. Et la plage était verdoyante remplie de filaos et de cocotiers et garnie d’habitations. Aujourd’hui, ce ne sont que des reliques de ces arbres que vous verrez avec la disparition quasi-totale des habitations offrant ainsi un spectacle désolant et piteux.

La mer a tout avalé. Des centaines de maisons, de vastes étendues de cocoteraies… Elle ne laisse rien sur son passage. Certes, jusque-là aucune perte en vies humaines n’a été enregistrée. Mais les dégâts matériels sont énormes.
« Moi, quand j’étais au CE2, j’avais ma plantation de cocotiers qui s’étend sur des hectares du côté de la mer devant nos habitations et cocoteraies. Et même pour les pêcheurs, nous construisions des hangars sur la plage. C’est pour dire qu’il y avait suffisamment d’espace entre la mer et nos habitations. Mais aujourd’hui, tout se retrouve dans la mer et vous-mêmes, vous pouvez voir l’espace entre nous et l’océan. A peine dix mètres et les éclaboussures des grandes vagues atteignent même nos concessions », a déploré le conseiller communal, Saïbou Soumanou, pêcheur de profession et natif d’Agoué. Nombreuses sont les habitations qui sont englouties pas l’océan obligeant des centaines de ménages à se déplacer continuellement.
« Nous avons déjà perdu trop d’habitations du fait de l’avancée de la mer et tout récemment nous avons dû trouver de place à plus d’une quarantaine de ménages victimes des affres de l’océan », a rappelé M. Soumanou.
Lentement mais inévitablement, cette avancée va effacer Agoué de la surface de la terre. Il y a 20 ans, la plage se situait à un peu moins de deux kilomètres de la voie bitumée. Aujourd’hui, elle n’est plus qu’à 500 mètres environ de la Route inter-Etats Cotonou-Lomé, la seule qui traverse la ville et qui dessert tous les pays de la sous-région. Et même de cette voie, on peut apercevoir les vagues de la mer dans leurs mouvements menaçants.
C’est dire que d’ici cinq à dix ans, à en croire les riverains, la voie bitumée sera dans la mer. C’est la preuve que la situation est extrêmement grave quand on sait que l’arrondissement d’Agoué, le plus grand et le plus peuplé de la commune de Grand-Popo qui s’étant de Nicoué-Condji jusqu’à Hilla-Condji (frontière Bénin-Togo), se situe entre l’océan et un bras du fleuve Mono. De l’autre côté de la voie inter-Etats, il faut à peine décompter un kilomètre et demi par endroit pour atteindre le fleuve. La situation est plus que critique. Lentement mais sûrement, la mer avance, rongeant peu à peu la ville d’Agoué.
Du côté de Hilla-Condji, tout un village est déjà englouti par l’océan tout récemment. Ce qui a une fois encore fait sortir les populations de leur gong et elles ont manifesté leur colère contre le mutisme des autorités.
Le gouvernement actuel pense remédier à la situation avec le projet de protection de la côte. La réalisation de projet permettra de sauver de la disparition Agoué ou ce qui en reste de son patrimoine.

Cokou Romain AHLINVI