Ça y est ! Neuf mois après le début du procès du coup d’Etat de septembre 2015, celui qui est présenté comme le cerveau de l’opération est enfin à la barre….

Burkina Faso/ Procès du putsch du CND : « Je n’ai ni commandité, ni planifié, ni organisé, ni exécuté… », se décharge le général Gilbert Diendéré

Burkina Faso/ Procès du putsch du CND : « Je n’ai ni commandité, ni planifié, ni organisé, ni exécuté… », se décharge le général Gilbert Diendéré

Ça y est ! Neuf mois après le début du procès du coup d’Etat de septembre 2015, celui qui est présenté comme le cerveau de l’opération est enfin à la barre. Le général Gilbert Diendéré parle enfin. Ce 26 novembre 2018, l’homme a débuté son déballage, épisode après épisode, à la barre du tribunal militaire. Mais pour les faits qui l’ont conduit en ces lieux, il faudra encore attendre. L’accusé n’est pas entré dans le vif du sujet, préférant débuter sa déposition par l’insurrection populaire, car, selon lui, les faits sont liés. Mais d’ores et déjà, « Golf » n’a pas reconnu les infractions retenues contre lui.

Des rangs interminables avant le premier poste de contrôle. Des parkings qui grouillent de motos. La salle d’audience connaît une affluence sans pareille depuis le début du procès, le 27 février dernier. Des chaises ont d’ailleurs été ajoutées pour permettre à la multitude de s’installer, mais cela n’a pas suffi ; beaucoup sont restés dehors. Assurément, ce n’était pas « n’importe qui » qui passait à la barre du président Seidou Ouédraogo, ce lundi 26 novembre.

C’est le général Gilbert Diendéré. Golf, « la boîte noire ». Le chef d’état-major particulier de l’ancien président Blaise Compaoré, 21 ans durant. L’éphémère président du Conseil national de la démocratie (CND).

A l’appel de son nom, l’accusé avance à pas rassurés, se présente, avec une pile de documents et un bidon d’eau. Le garde-à-vous est de rigueur. Le « oui » retentit dans la salle d’audience et tous les regards sont tournés vers le Nord où les choses se passent. Né le 3 juillet 1958 à Yako, Gilbert Diendéré est le fils de Samuel Diendéré et de Poko Suzanne Yelkouni. Père de deux enfants, il n’a jamais été condamné.

Mieux, il a été décoré d’une dizaine de médailles dont la plus importante est celle de commandeur de l’Ordre national. Les infractions retenues contre lui sont signifiées. Elles sont cinq au total. Attentat à la sûreté de l’Etat, meurtre de treize personnes, coups et blessures volontaires sur 42 autres, incitation à commettre des actes contraires au règlement et à la discipline militaire, trahison.

L’accusé se reconnaît-il dans ces différents faits ? « Négatif », répondra le général Gilbert Diendéré. Alors que la parole lui est donnée pour dérouler son programme du 16 septembre 2015 et jours suivants, l’accusé a un préalable. Il salue le président, sa cour, le parquet, les avocats de la partie civile et ceux de la défense, l’assistance, ses co-accusés… Il s’incline « avec beaucoup d’humilité et de respect » devant la mémoire de ceux qui ont perdu la vie, il a une pensée à l’endroit des blessés qui souffrent encore et pour les personnes qui ont perdu leurs emplois…

Une négation totale

Après ce préalable, le général Diendéré répond en une phrase aux différentes infractions retenues contre lui. « Je n’ai ni planifié, ni organisé, ni exécuté ce que d’aucun ont appelé coup d’Etat. J’ai assumé une situation donnée sur conseil des sages médiateurs après leur aveu d’échec et sur l’accord de la hiérarchie militaire, suite à son incapacité à trouver une solution à la crise », a expliqué l’accusé, pour qui la qualification de ces faits revient aux hommes de droit.

En revanche, sa narration des faits ne débutera pas par les événements du 16 septembre 2015, comme la plupart des accusés. Golf bâtit son explosé en trois points. D’abord, un résumé de tout ; ensuite un flash-back avec le contexte général qui prévalait au sein du Régiment de sécurité présidentielle (RSP), de l’armée et du pays avant les événements et enfin le coup d’Etat lui-même.

« Les personnels du RSP n’ont pas avalé des comprimés de Tramadol ou bu de l’alcool » pour faire intrusion dans la salle où se tenait le conseil des ministres pour l’interrompre, a campé le général, qui ajoute que c’est une succession d’événements qui a amené les hommes à réagir. Il prévient qu’il n’est pas animé d’une quelconque volonté de justifier le coup d’Etat, mais qu’il s’agit de situer les événements dans leurs contextes.

Dans son résumé donc, il explique qu’après l’arrestation de certaines autorités de la Transition dont le président Michel Kafando, le Premier ministre Yacouba Isaac Zida et certains ministres, la haute hiérarchie militaire et des sages (l’ancien président Jean-Baptiste Ouédraogo et l’archevêque de Bobo, Mgr Paul Ouédraogo) se sont réunis pour trouver une issue à la crise. La situation une fois présentée, deux personnes ont été déléguées pour aller assurer la médiation auprès des frondeurs au camp Naaba-Koom, en vue de la libération des otages. Peine perdue.

« En raison de l’intransigeance des éléments et de la vacance du pouvoir constatée par les facilitateurs, il a été recommandé que la gestion du pouvoir soit assurée par la haute hiérarchie militaire ». Elle opposera une fin de non-recevoir à cette recommandation, arguant ne pas avoir été à l’origine de ce qui se passe.

La hiérarchie militaire avancera également qu’elle ne peut s’engager dans une telle démarche, surtout avec un RSP « incontrôlable ». « Je me suis vu obligé de me porter aux devants des choses, bien que n’ayant pas moi-même été associé à la préparation », a poursuivi l’accusé, qui ajoute par ailleurs que sa décision a été guidée par le fait qu’il ne fallait pas laisser les sous-officiers gérer la situation, sans quoi les choses ne se seraient pas bien passées. Il fallait aussi essayer de contenir la colère des éléments du RSP.

Les événements se sont succédé, et Golf dit avoir, par la suite, décidé d’abandonner et de remettre le pouvoir. Une « décision audacieuse dans le but d’éviter au Burkina Faso un bain de sang ».
Tel est le résumé de la situation faite par le général à la barre.

Quand un accusé fait un autre procès

Le premier point de sa narration terminé, l’ancien chef d’état-major particulier de Blaise Compaoré débute le 2e qui concerne le contexte général qui prévalait au sein du RSP, de l’armée et du pays avant le coup d’Etat. Il s’est agi, pour lui, de revenir sur certains événements depuis le 28 octobre 2014 jusqu’à l’insurrection populaire, l’arrivée de Yacouba Isaac Zida au pouvoir, les différentes crises qui ont secoué la Transition.

Pratiquement toute la journée, l’accusé a fait le procès de Yacouba Isaac Zida absent, celui de la Transition et de certains chefs militaires. « La Transition a beaucoup influencé ce qui s’est passé le 16 septembre », a noté le général. Selon lui, cette mise en perspective est importante pour comprendre la suite, même si ce n’est pas ce qui fait l’objet de ce procès.

La « ruse » de son ancien protégé pour arriver au pouvoir ; le pillage des ressources par ce dernier avec des OSC acquises à sa cause ; sa volonté de contrôler le RSP, l’administration et d’autres corps de l’armée ; les pseudo-crises inventées pour dénigrer et humilier le RSP ; la loi sur le personnel des Forces armées nationales taillée sur mesure… tout a été passé au crible par le natif de Yako.

Durant une bonne partie de la journée jusqu’à la pause de 13h, et de la reprise de l’audience à 14h jusqu’à sa suspension avant 17h, Golf a feuilleté page après page les faits saillants de la Transition, son rôle, celui de l’ancien Premier ministre. Par moments, et sur demande du président du tribunal, il s’abaissera pour chercher une pièce, lire des extraits, citer des noms.

Connu pour ne pas être trop bavard, le général Diendéré a tenu le crachoir toute la journée. Alors que l’un de ses avocats intervient aux environs de 16h10 pour demander au président du tribunal d’interrompre l’audience pour permettre à son client de se reposer et de reprendre le lendemain, l’accusé lui-même a préféré poursuivre sa déposition, expliquant qu’il ne lui reste pas beaucoup pour achever le deuxième point. Il poursuivra donc quelques minutes encore.

Ce deuxième point se terminera par une phrase qui sonne comme une transition pour le prochain. « Quand les éléments ont été informés de la situation (ndlr : que le conseil des ministres a décidé de la dissolution du RSP), ce qui est arrivé arriva. C’est ce qui a déclenché le 16 septembre 2015 », a conclu partiellement celui qui était considéré jadis comme l’un des hommes les plus renseignés de la sous-région ouest-africaine et la boîte noire du régime Compaoré. Rendez-vous ce 27 novembre pour la suite du déballage.

Tiga Cheick Sawadogo
Lefaso.net